L'histoire :
La déviation : ou un conte des aventures quasi-démentes d'une petite famille au cours d'un voyage en auto à travers la France, en vue de passer un bon mois de vacances à l'île de Ré. Un documentaire romancé dessiné à la plume par Jean Giraud sur une absence déconcertante et assumée de scénario due au même... Quoi qu'il en soit, ce jour-là, Jean a décidé de sortir des grands axes routiers pour amener à bon port sa femme Claudine et leur fillette Alice. Pourtant, ils vont devoir amadouer un Grand de Surface. Et encore, ils ont de la chance, ces géants aux yeux jaunes, contrairement à leurs congénères, les Grands de Profondeur, sont sensibles à une forme de poésie surannée. A vrai dire, il suffit de leur raconter l'histoire du « chat qu'un son truque » et ils vous libèrent immédiatement. Jean le sait bien et le voici reparti sur la route. Malgré tout, ce premier incident l'inquiète et il pense qu'il augure mal de l'avenir. La route est longue jusqu'à l'île de Ré. Il confie à son épouse qu'il songe aux rumeurs qui courent au sujet de ces bandes de computers-garous, sans parler des rassemblements de tortureurs-rendus-fous-par-la-drogue, ni des malins-malins-et-demie. Il faut s'attendre également à tomber dans une embuscade de petits rosseurs des pauvres ou encore des empêcheurs de passer. Sans compter sur Marie-Thérèse Kowalski et son gang des fausses fractures... Ah, nous vivons dans une drôle d'époque et il faut l'avouer, l'insécurité règne sur nos savanes, on ne le répètera jamais assez...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Dans la préface, l'éditeur annonce clairement la couleur (même si on trouvera du sublime Noir et Blanc) : ce livre a été conçu un peu comme le serait un catalogue d'une exposition imaginaire, qui serait consacrée à Moebius dans la période qui va de ses débuts jusqu'à Après l'Incal, reprise éphémère du personnage que Les Humanos publièrent en 2001. Autant vous dire qu'il est dense et riche car, pour mémoire, la maison d'édition fut créée par trois « monstres » : Gir bien sûr, Jean-Pierre Dionnet et Philippe Druillet. Alors cette sélection de morceaux choisis s'accompagne à chaque fois d'analyses quasi universitaires, tant elles sont travaillées. On se pâmera donc devant les dessins fabuleux du maître, quand on se délectera d'apprendre et de réfléchir aux propos de l'auteur à travers ceux de Daniel Pizzoli, Claude Ecken, Richard Stanley, Pascal Ory, Florent Chastel, Aurélien Lemant et Nicolas Tellop. Oui, Moebius est métamorphe, car son art comme sa narration sont protéiformes. Et ce bouquin est une tentative (grandement réussie à notre sens) d'en faire la démonstration. Si Jean Giraud a révolutionné la BD, ce n'est pas qu'avec un dessin qui a digéré autant d'influences qu'il a généré de carrières de dessinateurs, c'est surtout parce qu'il s'est peut-être d'abord amusé, puis certainement évertué, à casser tous les codes du média, à faire perdre en permanence ses repères aux lecteurs. Moebius a déconstruit la forme pour créer des univers qui se suffisent à eux-mêmes et finalement proposer un matériel que le profane pourrait croire chaotique. Or, l'artiste avait une rigueur scientifique car du chaos, ce n'est pas l'aléa qui résulte, mais bel et bien de nouvelles formes de vie. Oui, Moebius était bel et bien métamorphe et si un enseignement doit être tiré de cet ouvrage, c'est que c'est toute la BD, telle qu'on la connaît aujourd'hui, qui en a bénéficié. Alors si vous avez échappé, par on ne sait quel subterfuge, aux mondes de Moebius, ce bouquin viendra vous enseigner à quel point c'était effectivement un monstre de l'art. Au-delà même de l'art séquentiel... Il est donc logique de qualifier également cette publication de monstrueuse !