interview Comics

Alan Davis

Bonjour Alan Davis, peux-tu nous dire comment tu es arrivé dans le monde des comics ?
Alan Davis : Par pur hasard, voilà comment j'ai commencé dans l'industrie des comics. Je n'avais aucun désir de travailler dans le domaine des comics. J'adorais les comics ainsi que dessiner mais, ce qui s'est passé c'est qu'un jour, j'ai commandé un livre intitulé "Comment dessiner les comics à la manière de Marvel". Le tirage était épuisé et le vendeur par lequel j'étais passé m'en a informé et m'a dit "on ne l'a plus en stock mais, comme vous avez déjà payé, soit on vous rembourse, soit on vous envoie le livre dès qu'on sera réapprovisionnés" et, quand j'ai reçu le livre, celui-ci était accompagné de quelques comics gratuits ainsi que d'une lettre disant "Merci de votre patience" et ce mot était écrit sur un papier filigrané qui semblait donner une réelle importance à ces simples remerciements. J'ai voulu à mon tour les remercier, ces quelques mots sur une feuille blanche, ça ne rendait pas aussi bien alors j'ai décidé de dessiner quelque chose sur la feuille et je la leur ai envoyée ainsi. Le lendemain, ils m'ont appelé et m'ont demandé "Peut-on vous acheter l'original ?" et moi je leur ai dit "Vous avez l'original", ils m'ont alors demandé "Voudriez vous faire quelques illustrations pour notre fanzine ?". Donc, pendant quelques mois, j'ai dessiné des illustrations pour ce fanzine puis, peut-être trois ou quatre mois plus tard, ils m'ont dit "Marvel UK recherche des artistes, pourquoi est-ce que tu n'y irais pas ?", J'y suis allé et ils m'ont dit "On aimerait que vous fassiez Captain Britain".

Quelles sont tes influences ?
Alan Davis : Tout ce sur quoi j'ai pu poser mon regard a été une influence, aussi bien dans le positif que dans le négatif. Historiquement, étant donné que j'ai d'abord lu des comics britanniques, il y a eu le Dan Dare de Frank Hampson, le Steel Claw de Jesús Blasco, Frank Bellamy avec Thunderbirds et aussi avec Heros the Spartan, vraiment de très belles illustrations tout en couleurs. Je me suis ensuite mis aux comics américains et j'ai commencé avec Steve Ditko. J'ai en quelque sorte zappé Jack Kirby, je n'ai jamais vraiment été fan de ce que faisait Kirby. Il était un peu anonyme, pour moi même si je réalise seulement maintenant la force que possèdent ses illustrations et ses histoires. Ensuite j'ai découvert Gil Kane ainsi que d'autres et Neal Adams était le meilleur, c'est lui qui a eu la plus grande influence. C'est là que tout a pris sens pour moi.

Comment définirais-tu ton style ?
Alan Davis : Je n'arrive pas à voir mon propre style. J'y vois toujours les différents éléments. Je vois les différents styles dont je me suis inspiré.

Peux-tu nous parler de ta collaboration avec Chris Claremont ?
Alan Davis : Chris Claremont est sans aucun doute le meilleur auteur avec lequel j'ai pu travailler. Je sais qu'on a tendance à le ridiculiser, aujourd'hui, mais c'est la personne la plus créative avec laquelle j'ai jamais travaillé. Il n'y avait jamais de problème. Si tu lisais un de ses scripts et que tu y décelais un problème, lui il voyait ce problème comme un tremplin lui permettant de modifier et d'améliorer l'histoire. J'étais très intimidé, la première fois que j'ai pu travailler avec lui et j'ai refusé pendant trois ans de travailler sur X-Men. Lui pensait que mon refus était dû au fait que je n'aimais pas les X-Men. Il a alors développé le concept d'Excalibur en ajoutant que Captain Britain y figurerait, afin de me mettre à l'aise. Et ça a marché et l'idée de lancer un nouveau titre sur les X-Men était très séduisante. De là, ça a été facile mais, quand même, les quatre premiers numéros ont été difficiles à réaliser car je n'avais jusqu'alors jamais travaillé avec une réelle intrigue. Je me retrouvais avec tout le contenu de la cervelle de Chris vidé dans le script et il me fallait fouiller pour y retrouver l'histoire. L'histoire est bien restituée, ce n'est pas le problème, mais c'est si dense... Ce n'est pas comme si on me communiquait l'histoire gentiment, avec une petite cuillère, page par page, avec le détail de chaque case et de chaque dialogue. Chris me donnait d'un coup l'ensemble de la page. Et, au début, j'essayais de tout faire rentrer dans douze cases par planche et c'est au fur et à mesure que je me suis rendu compte que je pouvais me ramener à six ou sept cases en interprétant le script plutôt qu'en le retranscrivant tel quel. Mais oui, je dirais que Chris est sans l'ombre d'un doute la personne la plus créative et la plus... optimiste, dans le sens où rien ne pose jamais problème. On n'avait jamais l'impression, quand on trouvait à redire sur le script, qu'on allait avoir une dispute ou qu'il allait se mettre sur la défensive par ce qu'on savait qu'au lieu de ça, il allait dire "Super, faisons plutôt comme ça !" et c'était tout le temps comme ça.

Tu es dessinateur mais aussi scénariste. Quelle activité préfères-tu ?
Alan Davis : La sculpture. [rires] Je ne pense pas que je sois un très bon auteur. Je pense être un bon narrateur mais les dialogues me posent problème. Mais je peut narrer un histoire par le biais d'images, je sais comment rythmer un récit, les émotions ou l'action parce que c'est ce que je fais quand je travaille sur l'intrigue. La différence vient du fait que je dois écrire mes propres dialogues et ça, c'est un problème. Donc non, je ne me vois pas comme un auteur. Je ne me dirais jamais "Tiens, je vais écrire un roman" ou quelque chose dans le genre, je n'ai pas ce talent. Mais je peux écrire des comics.

De quel titre es-tu le plus fier en tant que dessinateur et en tant que scénariste ?
Alan Davis : Je ne suis jamais satisfait de ce que je fais. Quand je repasse sur ce que j'ai fait, je ne vois que les défauts, ce que j'ai raté ou ce que j'aurais pu mieux faire. KillRaven est le titre où l’œuvre finale s'est avérée le plus proche de l'idée que j'en avais. Cela dit, je suis très content de ce que j'ai fait avec ClanDestine, The Nail et Fantastic Four : La fin car j'étais tellement libre ! J'étais comme un fanboy pouvant s'amuser avec tous ces jouets qui, quand j'étais enfant, était les choses les plus importantes à mes yeux. Et tout d'un coup, j'avais la chance de pouvoir en faire tout ce que je voulais.

ClanDestine ne pourrait-il pas revenir par la suite ?
Alan Davis : Ça ne dépend pas de moi. Je veux dire, je pense avoir beaucoup de chance pour que Marvel m'ait donné autant d'opportunités car ClanDestine n'a jamais vraiment bien marché. Ils voulaient mettre ClanDestine en tandem avec d'autres titres pour essayer de le relancer mais je leur ait dit que ça allait à l'encontre du concept même de ClanDestine. On a quand même fait un crossover ClanDestine / X-Men mais ce n'est pas comme si, à l'époque, les gens avaient réagi en disant "tout ce qu'on veut, c'est voir plus de ClanDestine". Il y a certaines choses qui fonctionnent auprès de différents marchés. KillRaven, par exemple, n'a pas très bien fonctionné aux Etats-Unis mais a très bien marché en Europe. De la même manière, pour ClanDestine, je ne pense pas qu'une grande partie du public américain était aussi emballé par ClanDestine qu'elle ne l'aurait été par quelque chose d'un peu plus violent et... moderne. ClanDestine était vraiment un comics à l'ancienne. ça a la sensibilité des années 50 et 60. Quand j'ai conçu le personnage, je savais qu'il n'était pas possible de créer un *nouveau* personnage, j'allais devoir employer des archétypes. Sachant cela, Walter est mon Hulk et Dominic est mon Creeper, etc. Je me contentais de piocher dans différentes générations, différentes époques. Les enfants, Rory et Pandora, ils correspondaient aux personnages de la Légion des Super-héros comme Robin et BatGirl. Je m'inspirais de la sensibilité de cette époque-là et j'assemblais le tout.

Peux-tu nous parler de ton passage sur la série Wolverine écrite par Paul Cornell ?
Alan Davis : Je n'étais pas très satisfait de mon Wolverine, ça ne s'est pas très bien passé. Il m'a été très difficile de travailler sur ce titre. Je ne comprenais jamais ce qui se passait, les scripts arrivaient toujours en retard, tout étais fait à la hâte. Une des histoires se termine d'une façon qui ne colle pas avec celle dont commence la suivante... Il y avait toutes sortes de gros problèmes. Je crois que Wolverine a été le plus gros creux de ma carrière, je n'en n'était pas content. La seule raison pour laquelle je suis resté c'est qu'on m'avait annoncé une énorme confrontation entre Wolverine et Dents-de-Sabre et je m'y suis accroché. Mais, en fait, l'histoire se conclut avec Dents-de-Sabre qui essayer de tuer Wolverine en le saoulant de paroles, il n'y a pas de combat. J'ai trouvé que c'était un des comics les lus ennuyeux qui soit.

Que penses-tu de Miracleman plus de 25 ans après ton passage sur la série ?
Alan Davis : Tu sais, c'est un truc sur lequel j'ai travaillé il y a de ça trente ans, quand je débutais. Certaines des pages que j'ai illustrées... J'étais installé pour dessiner dans un entrepôt, rempli de chariot élévateurs, de caisses et de camions et j'ai dessiné certaines de ces pages à la cantine ou bien à l'arrière d'un camion où je m'étais dissimulé... Dès qu'il n'y avait pas de travail à faire, je sortais ma planche à dessin et je m'y mettais. Donc je n'étais pas un pro, à l'époque, je n'étais qu'un fan à qui on avait donné la chance de pouvoir s'amuser. Pour moi, c'était seulement un hobby rémunéré; mal rémunéré, d'ailleurs et c'est pour ça qu'on m'avait engagé. C'était tellement mal payé qu'aucun dessinateur professionnel ne voulait le faire.


Alan Davis Avengers JLA


Tu dis souvent que tu es plus à l'aise chez Marvel, pourquoi ?
Alan Davis : Marvel m'a toujours bien traité. Le problème avec DC Comics c'est qu'ils ont toujours été très bureaucrates. J'ai eu des problèmes avec eux quand j'ai travaillé sur Detective Comics et où j'étais maltraité. J'ai donc quitté Detective Comics pour aller sur Excalibur. Au fil du temps, DC Comics m'a demandé plusieurs fois de revenir mais il n'y avait jamais rien de tentant, pour moi. Puis j'ai rencontré Archie Goodwin, à Glasgow, et il m'a demandé "Qu'est-ce que tu aimerais faire" et "Pourquoi est-ce que tu ne ferais pas une histoire avec la Justice League ?" je lui ai répondu "Eh bien, oui, j'adorerais travailler avec la Justice League". Lui m'a alors dit "On peut faire une réalité alternative, comme ça tu peux faire ce que tu veux." et là, il m'a convaincu. J'ai alors fait une proposition, qui a été rejetée, définitivement. Je suis alors retourné travailler avec Marvel. DC Comics est revenu me demander ce que je voulais faire avec eux, je leur ai répondu "Vous avez déjà ma proposition" "Mais on ne veux pas de ça", etc. Bref, cinq ans plus tard, je crois que c'est Mike Carlin qui est venu me voir et m'a dit "En gros tu ne feras jamais rien pour nous à moins qu'on ne te laisse faire The Nail ?". Je lui ai dit "Exact" donc il m'a dit "Bon, d'accord, fais-le", et voilà. Et c'était surtout dû à K.C. Carlson qui était éditeur sur le premier JLA : The Nail et qui s'est vraiment battu pour qu'il voie le jour. C'était vraiment un fonctionnement bureaucratique, à l'époque, on me disait "Personne ne s'intéresse à la Justice League" car il n'y avait pas à ce moment là de revue consacrée à la Justice League. Et, surtout, personne ne s'intéressait au Silver Age. Donc tout ce que je proposais était refusé: "Non, non, personne n'est intéressé". Mais, maintenant, je suis très content.

Maintenant que Miracleman appartient à Marvel, reviendras-tu sur le personnage ?
Alan Davis : Je n'ai aucun projet le concernant et je ne sais pas si Marvel en a. Tout ce que j'ai fait c'est une poignée de couvertures, c'est tout. Je ne sais rien d'autre.

Sur quoi travailles-tu en ce moment ?
Alan Davis : Mes projets ? En ce moment je travaille sur un titre consacré aux Avengers, j'ai fini Savage Hulk - une mini-série en quatre épisodes que j'ai moi-même écrits -, j'ai fait un Agents of S.H.I.E.L.D. puis cette mini-série en trois numéros sur les Avengers.

Si tu avais le pouvoir de visiter le crâne d'un autre artiste pour en comprendre son génie. Qui irais-tu visiter et pourquoi faire ?
Alan Davis : Sérieusement ? Le mec qui a peint les mains dans les grottes à... Je ne sais plus où, je crois que c'est en France. J'aimerais bien savoir ce qui se passait là-dedans. C'est probablement la plus ancienne œuvre d'art connue, la plus ancienne illustration - je n'aime pas le terme "art" - mais il est fascinant de penser que les gens laissaient ainsi des marques, qu'ils dessinaient des animaux et que tout a commencé par-là. Fascinant.

Merci Alan !

Remerciements à Sophie Cony pour l'organisation de cette rencontre, à Alain Delaplace pour la traduction, à Faustine Lillaz et Nicolas Demay pour leur présence.


Alan Davis Miracleman


PAR

22 novembre 2014
©Panini Comics édition 2014

De nombreux artistes britanniques ont révolutionné le monde du comics américain, et ce depuis plusieurs décennies. Parmi les noms légendaires, il y a bien évidemment celui d'Alan Davis. Dessinateur hors pair et scénariste chevronné, l'artiste parvient à chacune de ses prestations à emballer les fans, dont il reste très proche. Toujours aussi actif chez Marvel, l'actualité fait que l'on découvre en France l'une de ses premières séries cultes : Miracleman. En plus de cette dernière, nous avons évoqué avec lui les X-Men, ClanDestine ou encore Wolverine mais aussi le scénariste Chris Claremont. Un bref retour sur une carrière jalonnée de pierres angulaires du comics !

Réalisée en lien avec les albums Miracleman T1, Miracleman T2, Fantastic Four – par Jonathan Hickman, T1, Captain Britain
Lieu de l'interview : Paris Comics Expo