interview Bande dessinée

Batist

©Emmanuel Proust Editions édition 2006

Après l'interview de Bouss, également issu de l’école d’arts appliqués de Chambéry, voici son pote Batist, découvert à l’occasion du festival d’Angoulême. Dessinateur des Chaussettes trouées, Batist a été récompensé le 14 mai 2006 par le prix du meilleur dessin à Decines, pour le premier tome de cette nouvelle série jeunesse. Sans complexe, modeste mais ambitieux, il parle aussi « vrai » qu’il est à bonne école (et non buissonnière !) en compagnie du maître Tarek, LE scénariste de référence chez E.P. éditions.
A lire et mettre entre toutes les mains.

Réalisée en lien avec l'album Les chaussettes trouées T1
Lieu de l'interview : Salon du livre de Paris

interview menée
par
18 mai 2006

Bonjour Batist ! Ce premier tome, « La guerre du slip » des Chaussettes trouées est aussi ton premier album. Un petit mot pour te présenter ? Pourquoi fais-tu de la BD ?
Batist : Au lycée en seconde, un copain m’a fait découvrir la bande dessinée. Il m’a montré des albums et c’est donc seulement à partir de ce moment que j’ai commencé réellement à apprécier. Puis, je me suis dit : pourquoi ne pas essayer de dessiner ? En première, je me suis inscrit à l’option « art plastique » (3 heures par semaine) et les cours de terminale (mathématiques, philosophie, histoire et géographie…) m’ont aussi beaucoup permis de progresser… Bref, après le Bac (que j’ai tout de même réussi à décrocher !) j’ai fait une année de prépa « art graphique » sur Paris avant de repartir sur Chambéry (d’où je venais) pour intégrer une école d’arts appliqués montée quelques années auparavant. Enfin, j’ai rencontré Tarek : un an après l’obtention de mon diplôme, nous avons signé le projet.

Beaucoup de jeunes auteurs récemment interviewés par nous autres Bédiens, semblent sortir de cette école novatrice basée à Chambéry : Bouss…
Batist : … (Il coupe) Un pote ! Cette école ressemble en fait à un lieu où l’on apprend à apprendre. On apprend à rencontrer du monde. Au bout des 3 ans de cursus, on ne possède pas encore un niveau suffisant mais des auteurs [éminents !] comme Fabien Velhmann ou Vincent Bailly, t’enseignent beaucoup, beaucoup, beaucoup de choses. Et notamment à savoir juger ton travail, ainsi, l’on progresse. A mon avis, Bouss et moi mis à part, d’autres talents s’apprêtent à signer leurs débuts. Tout n’est qu’une question de temps.

« Avoir des relations » dans le milieu du 9e art reste primordial, en sus du talent ?
Batist : Les relations demeurent importantes pour atteindre les gens hauts placés et ainsi avoir une visibilité. Tarek a repéré mon boulot sur un festival et m’a proposé le projet. Je ne sais si E.P. l’aurait accepté si j’en avais été aussi le scénariste, par exemple. A contrario, rien que le nom de Tarek… J’ai encore énormément de travail avant d’atteindre un niveau suffisant à mon goût. C’est donc Tarek qui a tout négocié. Le personnage a du bagout, du métier, il argumente plutôt bien [un euphémisme…] et ne lâche jamais rien. En sa compagnie, j’apprends. Débuter sous le parrainage d’un tel tuteur n’est pas donné à tout le monde. Des conditions offertes à peu de jeunes auteurs.

Justement, comment se passe votre collaboration ? Quelle est ta part exacte ?
Batist : Jusqu’à présent, parfaite. J’apporte à l’intrigue une narration visuelle, presque aussi importante que le scénario lui-même (!), tout du moins au regard du résultat final. En outre, Tarek me laisse libre du découpage. Ne s’estimant pas nécessairement qualifié en la matière, il préfère s’en remettre à ceux qu’il juge plus compétents. Par ailleurs, il se ménage ainsi une bonne surprise !

Pourquoi avoir choisi l’édition jeunesse ?
Batist : L’occasion. Tarek m’a proposé un projet jeunesse et l’a négocié auprès d’E.P. A l’origine, je ne rêvais pas absolument de dessiner des titres pour la jeunesse. En fait, je désirais faire de la BD, euh… [Il marque une pose et reprend] Les scénarios de Bouss, par exemple, me plaisent beaucoup ! Avec peut-être un trait un poil plus réaliste mais une intrigue tout aussi psychédélique, un peu barrée. La jeunesse, je réservais cela à l’illustration. Pour tout dire, je démarchais l’illustration avec les images que Tarek a remarquées. Il m’a donc logiquement suggéré un projet du même ordre. Pour ma part, je n’aimais pas trop sa production adulte ; il le sait, je lui ai dit. En revanche, j’adorais ses séries jeunesses. Et puis, devant le nom et la réputation de l’homme, je me voyais mal jouer ma star : « non, non, moi, je veux faire de la BD underground !…». J’ai alors décidé de tenter le coup et ce, en couleurs directes. La première planche, je l’ai refaite entièrement quatre fois avant que je ne n’obtienne quelque chose de présentable à mon goût !

Tu es quelqu’un d’exigent ?
Batist : Sur les premières planches, j’ai effectivement fait montre de beaucoup d’exigences. Puis, en avançant dans la réalisation, j’en ai eu moins et, paradoxalement, cela allait mieux. En fait, une certaine liberté de travail fait progresser.

Mais encore : pourquoi choisir un dessin en couleurs directes, sûrement plus difficile à réaliser, plus « exigent » qu’une colorisation informatique faite éventuellement par un tiers ?
Batist : Tarek m’a repéré sur des dessins en couleurs directes lorsque je démarchais l’illustration. Il a justement aimé mes couleurs. Il souhaita logiquement un projet conforme. Alors pour la jeunesse, je pense que l’utilisation de couleurs directes est mon média. Et entre nous, je pense aussi que parfois la couleur sauve mon dessin… En revanche, le jour où je sortirai quelque chose de plus adulte, le trait ne sera sans doute pas le même, le rendu différent. Selon l’âge du lectorat, les codes varient, on déchiffre la bande dessinée très différemment. Là, j’ai essayé d’être très clair pour les enfants. Sinon, il faut plus suggérer, faire participer le lecteur y compris au niveau du dessin. Les enfants, eux, participent à l’histoire mais Tarek et moi souhaitions un album graphiquement très clair. Avec la même exigence de réalisation que pour un titre adulte mais néanmoins adapté à la cible.

Quels retours avez-vous sur l’album jusqu’à présent ?
Batist : De très bons retours. J’espère que tout n’est pas que complaisance. Cependant, cela impliquerait alors beaucoup de faux culs !... Chose très sympa, beaucoup de personnes nous expliquent pourquoi ils ont aimé (ou non) telle ou telle chose. Des avis précieux car rares je pense… Et les libraires dans leur ensemble aiment : un très bon point aussi !

Pourquoi avoir choisi le contexte campagnard, « passéiste » (?), presque nostalgique des années 60’s ?
Batist : Si c’était pour refaire Titeuf, Cédric ou Kid Paddle, cela n’était pas la peine (sic) ! Les cours d’école contemporaine sont déjà occupées, très largement représentées en bande dessinée. A contrario, l’ambiance champêtre peut aider à l’évasion. Les enfants d’aujourd’hui ne connaissent pas cette époque. Déjà, moi qui ai vécu môme un temps à la campagne, cela n’était plus pareil que dans les sixties. On rejoint donc le domaine du rêve, des bêtises inaccessibles que les gamins actuels ne peuvent plus reproduire. On sollicite leur imaginaire. Il n’y a rien de fantastique dans le récit mais cela ne peut guère plus arriver. Les enfants peuvent se retrouver là-dedans, rêver à être Papi ou Mamie.

Quelles sont tes références, tes sources d’inspiration ? On pense bien sûr à la Guerre des boutons, le chef d’œuvre de Louis Pergaud adapté au cinéma par Yves Robert, cité en quatrième de couverture…
Batist : Je me suis inspiré de paysages réels, tout simplement. Il y a « bien sûr » toujours des illustrateurs incontournables qui reviennent comme Frank Frazetta [américain prodige du milieu du XXe]. Attention ! Je ne prétends nullement être à son niveau mais j’espère l’être un jour… J’ai encore du temps devant moi… En fait, je me suis plus inspiré d’une façon de représenter les choses. « Bien sûr », j’ai regardé la Guerre des boutons plusieurs fois avant de dessiner le projet : c’était inévitable. En revanche, la quatrième de couverture n’est pas des plus réussies (j’aurais souhaité une illustration originale). Lorsque la version BD (M. Gabella et V. Vernay chez Petit à petit, septembre 2005) est sortie, j’avais déjà attaqué le projet. Cela m’a d’abord inquiété : j’ai eu un moment de doute. Jusqu'à ce que je la lise et m’aperçoive que le ton n’était pas le même, que nous n’étions pas concurrents mais plutôt complémentaire.

Comment vois-tu à présent ton avenir ?
Batist : Pour l’instant, je souhaite faire ma place. Continuer cette série du mieux possible, satisfaire le lectorat, l’éditeur, le scénariste et… moi-même par la même occasion ! Ensuite, d’autres projets viendront petit à petit se greffer. Peut-être avec Tarek ou en compagnie d’autres scénaristes : rien n’est arrêté. J’ai des contacts, parfois des discussions mais rien de signé. En tout cas, je ne possède pas encore la culture nécessaire à l’écriture de mon propre scénario. Avec Bouss, je souhaite réaliser quelque chose à terme : à mon avis, on n’y coupera pas. Néanmoins, il faut le temps que je « visite » et développe un univers graphique adulte original. Peut-être aussi le temps d’avoir un nom afin que les choses se fassent plus facilement…

Un mot sur la suite et le prochain tome : tu travailles vite ?
Batist : Sur le premier, je n’aurais pas pu me montrer fainéant. Pour le deuxième, je l’ai été jusqu’à récemment. Il y eut le temps de récupération entre les deux, après un premier tome bouclé en moins de quatre mois tout de même ! C’est très rapide et cela implique des semaines très pleines ! Donc, logiquement, j’ai eu besoin d’un bon mois de récupération. Puis vint la campagne de promotion, les séances de dédicaces et là, je commence juste à me remettre sérieusement au travail. Je crois pouvoir réaliser ce second album plus rapidement encore en terme d’heures travaillées mais pas en terme de dates de sorties. Il devrait voir le jour à la fin de l’année : octobre, novembre, décembre ? Cela dépendra quand je finis. Et puis, je laisse la partie commerciale à ceux qui savent faire. Je reste à ma place et je ne pique pas le boulot d’Emmanuel (Proust) : j’apprends. L’idéal serait peut-être (?) de le publier avant le salon jeunesse de Montreuil et bénéficier d’un bon lancement…

Mais encore, sur le contenu et le devenir de la série…
Batist : Chaque album pourra se lire de manière plus ou moins indépendante même si une série implique qu’il y ait une trame générale. Tarek me livre le scénario album par album, il me donne l’histoire dans ses grandes lignes puis en trois fois détaillées pour le découpage en planches. Jusqu’à présent, je n’ai rien eu à redire. Il sait cependant que si une chose ne me convenait pas, je lui en ferai part… Il a prévu 4 tomes à ce jour. Pour la suite, cela dépendra de l’éditeur et du succès public. J’imagine qu’un troisième opus verra le jour mais bon, je n’ai pas plus d’info… Sinon, l’esprit reste le même. Ce deuxième album traitera d’une histoire d’amour entre enfants. Attention ! Ils se tiennent juste la main ! Cela ne va pas bien loin mais tout de même, on garde cet humour un peu potache, cette atmosphère champêtre de guerre des gangs.

Si tu étais un bédien, quelles seraient les BD que tu aimerais faire découvrir aux terriens ?
Batist : Sortis récemment : les Cœurs solitaires (Pedrosa) demeure la première claque de cette année ; la série Ratafia (Potier, Salsedo) est aussi un gros coup de cœur. L’année dernière, le Tsar fou (Tarek, Chouin) fut mon titre préféré. Et en général, je conseille tout Marc-Antoine Matthieu (les Aventures de Julius Corentin Acquefaques, l’Ascension…) Fourquemin (Alban…), Pedrosa (Ring Circus avec Chauvel), Kent Williams (Blood…), etc… Des grands dont on ne sait pourquoi ils sont grands mais cela se voit.

Si tu avais le pouvoir cosmique de te téléporter dans le crâne d'un autre auteur de BD, chez qui aurais-tu élu domicile ?
Batist : Chez Cyril Pedrosa. Pour comprendre justement comment marche le talent, comment il arrive à sortir sa personnalité. En deux traits, on sait, on le reconnaît. Il met tellement de lui dans son dessin… Sans reproduire du « sous Pedrosa », j’aimerais trouver un style expressif comparable, mon propre style.

Merci Batist et à bientôt!