Quasi-inconnu en France jusqu'ici, Bob Fingerman est pourtant un artiste culte aux USA. Après plusieurs apparitions dans des revues underground dans les années 80 et 90, il raconta dans Minimum Wage l'histoire d'amour entre Rob Hoffman et Sylvia Fanucci, deux new-yorkais au milieu des années 90. Quasi-autobiographique, l'auteur y évoque les galères de thunes, de cœurs et bien d'autres encore. Aussi drôle qu'émouvant et même instructif sur la société américaine de l'époque, Minimum Wage est enfin sorti en France dans une magnifique intégrale chez les Humanoïdes associés et préfigure même la sortie d'un autre album dans le courant de l'année : Petites cervelles. Alors que la France peut enfin découvrir le talent de Bob Fingerman, nous en avons profité pour le contacter...
interview Comics
Bob Fingerman
Réalisée en lien avec les albums Minimum Wage T1, Hellboy - Histoires bizarres T1
Peux-tu te présenter et nous dire comment tu as commencé à travailler dans l'industrie de comics ?
Bob Fingerman : J'ai toujours voulu dessiner des comics et ce depuis le moment où, enfant, je dessinais de courtes bande dessinées racontant les aventures de mes propres personnages. Je n'ai jamais souhaité dessiner les personnages d'autres auteurs et, donc, l'idée de travailler avec des super-héros ou plus généralement des personnages déjà existants ne m'a jamais intéressé. Durand ma deuxième année à l'Ecole des Arts Visuels, j'ai suivi des cours avec Harvey Kutzman et Will Eisner. Au milieu du second semestre, Kurtzman a eu vent de mes capacités à dessiner (c'est une toute autre histoire mais disons que mon talent était resté un secret bien gardé jusqu'à ce que Kurtzman se décide à feuilleter mon carnet de croquis alors que j'avais quitté le cours pour aller aux toilettes). Il a été impressionné au pont de me "promouvoir" de pauvre étudiant à contributeur à une anthologie humoristique destinée aux enfants, dont il était l'éditeur, intitulée "Nuts!". ça a été mon premier travail professionnel. Pendant cette même année à l'Ecole des Arts Visuels, pour m'amuser, j'avais réalisé une parodie en trois pages de RanXerox. Un ami à moi, Rob Hingley (du groupe ska The Toasters), était aussi ami avec Tanino Liberatore et a pensé que ça amuserait ce dernier. Et ça l'a tellement amusé que Liberatore l'a transmis à son éditeur, Fershid Barucha. A ce moment-là, si je me souviens bien, Liberatore ne faisait plus rien sur RanXerox, on m'a donc proposé de réaliser un album pour combler ce vide. Un album de strips parodiant RanXerox et rien d'autre. Franchement, à ce niveau, ça n'était plus de la parodie mais un album de RanXerox à part entière. Et un mauvais album, je dois bien admettre, bien que j'aie travaillé dur pour faire du mieux que je pouvais. Après que le premier strip soit paru dans l'Hebdo des Savanes (attention, pas L'écho), les suivants sont successivement parus dans les pages de divers magazines qui se sont arrêtés après leur premier numéro et les deux derniers strips sont parus dans Special USA. ça a été une succession d'échecs et l'album n'a jamais pris forme. Tant mieux, probablement. Je n'avais que 19 ans quand tout a commencé, j'étais a priori un peu arrogant et je n’étais pas prêt à gérer une publication internationale. Ce genre d'affaires était nettement plus complexe à gérer avant la venu de l'Internet et des emails. J'ai fini par laisser tomber l'Ecole des Arts Visuels et le temps que toute l'affaire RanXerox retombe, j'ai été embauché par Cracked Magazine, une sorte de sous-MAD. J'ai travaillé avec eux pendant trois ans. Ce job m'a endurci, m'a appris à respecter les deadlines et quand bien même ce n'était pas bien prestigieux, ça m'a beaucoup aidé pour le reste de ma carrière. Et ça m'a rendu humble, ce qui a été bénéfique à long terme. Je m'excuse de la longueur de cette réponse.
As-tu été influencé par le travail d'autres auteurs ? Si oui, lesquels ?
Bob Fingerman : Bien sûr. La liste est longue et variée mais de ceux travaillant dans le monde des comics et du dessin, j'ai commencé par être influencé par Charles Schultz, Walt Kelly, Johnny Hart, Jules Feiffer, les artistes de MAD Magazine, en particulier Sergio Aragones, Don Martin et Gahan Wilson. Un peu plus tard, Hergé. Puis Kurtzman, Wally Wood et Jack Davis. Je pense que l'influence de Davis se voit plus dans mes derniers ouvrages. Mais mon mode s'est trouvé bouleversé quand Métal Hurlant a commencé à être publié aux USA, en '77. J'allais avoir 13 ans quand j'ai vu mon premier numéro et ça a changé ma vie. Lire Corben, Druillet, Bilal mais aussi et surtout Mœbius, ça te retournait la tête. A ce jour, ces gens sont mes dieux du dessin. Puis j'ai découvert Serge Clerc, Frank Margerin et Caza. J'étais au paradis. J'ai aussi commencé à lire les comics underground et, bien entendu, Crumb est devenu un de mes héros de toujours. Mais jusqu'à ce jour, Corben et Mœbius sont restés mes repères. Sincèrement, cette liste peut continuer indéfiniment. Nicolas de Crecy, Boucq, Tardi. Clowes, Mignola... Il y en a tant. Mo, auteur préféré est Philip K. Dick mais aussi Donald Westlake. Bruce Jay Friedman et Terry Southern, aussi et je pense qu'ils ont peut être de ceux qui ont le plus influencé mon écriture.
Avant Minimum Wage, tu as réalisé de nombreux titres. Que penses-tu aujourd'hui de ces premiers travaux ?
Bob Fingerman : Après toutes ces années, je me suis efforcé à avoir un regard plus tolérant envers mes premiers efforts. Je ne peux pas dire que je n'agonise pas en contemplant toutes les choses que j'aimerais avoir fait différemment mais quand on commence à publier et que l'on est très jeune, on est obligé de grandir sous le regard des lecteurs et d'avoir ses crises d’acné.
Tu as travaillé sur les Tortues Ninjas. Comment t'es-tu retrouvé sur ce projet ? Est-ce que tu aimes cette série ?
Bob Fingerman : Je ne peux pas dire avoir été fan, un jour, des Tortues Ninjas. Eastman et Laird sont tous deux des gars géniaux mais je n'ai jamais été fan des Tortues Ninjas. Pour moi, c'était un job. Je ne suis pas resté longtemps sur ce titre, seulement 4 numéros. J'ai aimé celui que j'ai écrit et illustré mais celui que j'ai seulement illustré a été une vraie corvée. Le script n'était pas bon.
Peux tu présenter Minimum Wage aux lecteurs qui n'auraient pas encore franchi le pas ?
Bob Fingerman : La première série raconte l'histoire d'un dessinateur de bande-dessinées et de sa petite amie qui vivent tous les deux à Brooklyn, dans les années 90. Mais pas la partie branchée de Brooklyn, attention, dans la partie ouvrière. ça parle d'amour, de sexe, de frustrations, de la famille, des amis et de frustrations, encore.
Tu as travaillé sur Minimum Wage pendant 5 ans, de 1995 à 1999. Comment juges-tu la série aujourd'hui ?
Bob Fingerman : Je pense que ça a tenu le coup. Encore une fois, il y a des choses que je ferais différemment (et la nouvelle édition a été bidouillée et retravaillée depuis l'intégrale précédente) mais de manière générale, je pense que l'ensemble est très solide.
Je trouve que Minimum Wage est très humain, très réel. Comment trouves-tu la façon parfaite de raconter cette histoire ?
Bob Fingerman : Parfaite ? Je ne sais pas si c'est parfait. Pour moi, ça consiste surtout en un certain rythme ainsi qu'à créer un ensemble de personnages dans lesquels on peut se retrouver et pour lesquels on éprouve de l'empathie.
Bob Fingerman : Je ne suis pas un grand fan des conventions. Je pense m'y rendre à nouveau à un moment mais oui, je dirais que ce que j'ai décrit est ressemblant et reflète bien mon attitude. ça ne veut pas dire que les conventions ne peuvent pas être fun, mais elles peuvent quand même être sources de migraines.
As-tu reçu des retours négatifs de la part de tes amis quand ils se sont vus dans le comics ?
Bob Fingerman : Non. Ils ont tous approuvé.
Bob Fingerman : Robert m'envoyait du fan mail alors qu'il débutait et continuait à avoir un boulot à côté. Il m'a envoyé son comic, Battle Pape, qui était très marrant. Je suis un grand fan de The Walking Dead. Et oui, j'ai lu ce préambule (qui figure aussi en début de l'édition américaine, chez Image). ça m'a beaucoup touché. D'habitude, il faut être mort pour mériter de tels éloges.
Après Minimum Wage, tu as complètement changé de genre. Tu as écrit deux nouvelles (dans des univers gothiques et apocalyptiques) et tu as illustré des histoires d'horreur. Qu'est-ce qui t'a amené à t'intéresser à ces genres ?
Bob Fingerman : J'adore l'horreur. J'adore la science-fiction. A l'exception de Minimum Wage, tout ce que j'ai fait se rapportait au genre. Zombies, vampires, extra-terrestres, mutants. Je les aime tous et je travaillerai encore sur ces sujets.
Bob Fingerman : La manière la plus simple de le présenter est celle dont laquelle j'ai présenté le projet à mon éditeur : Les Petites Canailles et le Crépuscule des morts-vivants. Des enfants et des zombies. Et beaucoup de gore.
En 2014, tu es revenu à Minimum Wage pour Image Comics. Pourquoi être revenu sur cette série ?
Bob Fingerman : ça me paraissait être le bon moment. Après l'avoir laissé pendant 15 ans et avoir pu passer tout ce temps à méditer dessus pour ensuite ressortir l'intégrale de la première série, tout a semblé se mettre en place et j'ai compris comment poursuivre l'histoire.
La première série de Minimum Wage prend place à peu près à l'époque où tu l'as écrite tandis que la nouvelle série se déroule en 2000. Est-ce intéressant de considérer ces années avec un recul de quatorze ans ?
Bob Fingerman : Je dois surtout faire attention aux anachronismes. La technologie est l'élément auquel je dois vraiment faire attention. Les bons ordinateurs, les bons téléphones... C'est un exercice mémoriel mais je m'éclate à le faire.
La nouvelle série met en place une hilarante galerie de cinglés. Un de mes personnages préférés étant Deputy DeeDee, dans le troisième numéro. Ces personnages paraissent complètement irréel vu d'ici, en France. Est-ce que de tels personnages existent vraiment à New-York ?
Bob Fingerman : Vu que ces chapitres n'ont pas encore été publiés en France (un recueil du premier arc de la nouvelle série sera publié par les Humanoïdes Associés, l'an prochain), je ne peux pas vraiment en parler. Mais je pense que l'on peut trouver des Deputy DeeDees partout, y compris en France. Allez ! Tu ne vas pas me dire que Paris n'a pas son lot d'excentriques ? Je t'en prie.
Si tu avais l'opportunité de réaliser les aventures d'un super-héros avec lequel tu n'as pas encore eu l'occasion de travailler, lequel choisirais-tu et pourquoi ?
Bob Fingerman : Je ne peux pas dire que l'idée m'emballe mais je dirais Batman ou Spider-Man. Spider-Man est originaire du quartier où je vis, le Queens, donc je suppose qu'il l'emporte par défaut.
As-tu un comic-book préféré ?
Bob Fingerman : En ce moment, Hellboy. Mais j'ai eu beaucoup de comic-book préférés différents au cours du temps.
Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter l'esprit d'un auteur, vivant ou mort, afin de mieux comprendre son art ou encore ses techniques, quel artiste choisirais-tu et pourquoi ?
Bob Fingerman : J'aimerais avoir la chance de discuter avec Philip K. Dick. Quant aux auteurs vivants, j'ai encore la possibilité de les rencontrer. J'ai rencontré et discuté avec nombre de mes héros et en ce sens, j'ai beaucoup de chance. Lors de ma première venue à Paris, j'ai pu rendre visite à Mœbius, chez lui. C'était génial. Il était très gentil et il m'a donné de très bons conseils, même s'il m'a fallu de nombreuses années pour les assimiler. J'ai aussi pu dîner avec Serge Clerc, Denis Sire et Frank Margerin lors de différentes soirées. Mais restons-en à Philip K. Dick, vu qu'il est mort. Quelle drôle de façon de conclure. C'est la vie [NDT: en français dans le texte].
Merci Bob !
Remerciements spéciaux à Alain Delaplace pour la traduction et une bonne partie des questions !