Depuis qu'il est devenu le dessinateur attitré de Walking Dead en 2003, Charlie Adlard n'a jamais cessé d'illustrer les aventures de Rick Grimes et de la horde de zombies qui se jettent sur les différents rescapés. En parallèle du comics le plus bankable de ces dernières décennies, les éditions Delcourt continuent de dévoiler des albums inédits sur lesquels l'artiste anglais a travaillé par le passé : The Crow, La Mort blanche et prochainement Savage. Charlie Adlard est donc plus présent que jamais dans les librairies françaises et c'est mérité tant l'artiste reste d'une grande gentillesse et d'une immense accessibilité pour ses fans. Nous sommes donc revenus ensemble sur ses projets à venir dont le très attendu The Passenger, une bande dessinée écrite par Robert Kirkman pour le marché français.
interview Comics
Charlie Adlard
Bonjour Charlie Adlard, quelle va être ton actualité en 2015 ?Charlie Adlard : Bizarrement, encore plus de d'histoires de zombies sans-queue-ni-tête, pour commencer. Je ne peux pas vraiment y échapper. Il y a en aura au moins pour 12 numéros, dans l'année. Ensuite, si la chance veut bien nous sourire, Robert et moi pourrons enfin terminer The Passenger, ce qui tiendrait du miracle. Et enfin, je terminerai un nouvel album pour le marché français, chez Soleil, qui s'intitule Vampire State Building. Le script doit me parvenir incessamment sous peu et c'est plutôt cool. Puis, aussi, quelques projets à part et assez intéressants sur lesquels je vais travailler cette année. Par exemple, pas plus tard que la semaine dernière, j'ai pu rencontrer un grand, grand groupe de rock - je ne peux pas en dire plus - juste pour pouvoir discuter d'un projet avec leur chanteur. Il y a donc pas mal de choses intéressantes qui viendront s'ajouter à l'habituel.
N'en-as-tu pas marre de dessiner des zombies ?
Charlie Adlard : [rires] Après 11 années et demie passées à en dessiner ? Je n'ai jamais caché le fait que je trouvais que les zombies était ce que je trouvais le moins intéressant à dessiner, dans Walking Dead. Mais je suis très content de cet état de fait car s'ils étaient ce qu'il y a de plus intéressant, je ne pense pas que Walking Dead aurait connu une telle longévité ! Je pense donc que, par défaut, il se doivent d'être ce qu'il y a de moins intéressant à dessiner. Tant qu'il ne deviennent pas le centre de l'attention, je suis ravi de les dessiner ! [rires] Parce que, dès les débuts de Walking Dead, il y a 11 ans, je savais qu'ils ne seraient pas le sujet principal de la série. Le focus est mis sur les personnages, pas les zombies. Ils ne sont là que donner un motif aux personnages pour aller d'un point A à un point B. C'est aussi simple que ça.
Tu ne fais pas de cauchemars avec des zombies, depuis le temps que tu en dessines ?
Charlie Adlard : Non, je ne fais pas de cauchemars. C'est drôle mais mes rêves sont plutôt banals, du genre je fais mes courses et j’achète des trucs inintéressants. Je me réveille alors et je me dis "Mais pourquoi ai-je rêvé de ça ? ça n'avait absolument aucun intérêt !" [rires]
Durant le cycle All out war (publié dans les tomes 19, 20 et 21), tu as été encré par Stefano Gaudiano. Qu'as-tu pensé du résultat ?
Charlie Adlard : On a pris pas mal d'encreurs à l'essai, et... J'ai toujours aimé le travail de Stefano et, de toute manière, Robert avait suggéré son nom dès le départ et j'avais alors tout de suite pensé à ce qu'il avait fait sur Daredevil avec Michael Lark. Je me suis dit "Parfait ! Il a la même technique que moi, cette sorte de technique d'impressionnisme un peu brut". On l'a alors à son tours pris à l'essai et ça a plutôt bien marché et il a même été brillant ! Je ne vais pas mentir, je préférerais de loin pouvoir continuer à encrer moi-même mes dessins, comme je l'avais fait durant les cent et quelques premiers numéros mais je n'en pouvais plus. Pendant toute une période, la série est passé bimensuelle et il m'était impossible de tenir les deux postes tout seul. Et par la suite, j'ai réalisé que ce serait cool que Stefano continue avec nous et que ça me permettrait aussi d'aller travailler sur d'autres projets. ça a paru être une évidence.
Delcourt te met particulièrement à l'honneur cette année avec une version crayonné d'All out war (L'ultime combat) et la sortie aussi de ton artbook ! Es-tu ravi de voir le public français t'aimait autant ?
Charlie Adlard : Absolument ! Je suis un grand fan de la "bande-dessinée" [NDT: en français dans le texte] française et c'est donc fantastique, à mes yeux, d'être aussi bien accueilli par mon industrie préférée ! C'est génial. Et je pense qu'en moyenne, en France, Walking Dead se vend mieux qu'aux Etats-Unis. Le business que ça représente ici est phénoménal ! C'est très gratifiant de voir qu'un pays aussi amoureux des comics que la France tienne autant à Walking Dead.
Delcourt a ressorti l'an dernier La Mort blanche, un formidable album sur la guerre. Quel souvenir gardes-tu de ce titre et de ta collaboration avec Robbie Morrison ?
Charlie Adlard : C'est une des choses que j'ai faites dont je suis le plus fier. ça a été pour moi l'occasion de prendre conscience du fait que, pour tirer une quelconque satisfaction de son travail, dans le monde des comics, il fallait concrétiser ses propres idées. C'était ma première oeuvre personnelle. Bien sûr, on aurait préféré que la première édition se vende mieux mais c'est un de ces titres qui, bien qu'il ne soit pas réellement populaire, possède une certaine durabilité car il se trouve toujours quelqu'un d'intéressé souhaitant le maintenir en vie. Et c'est génial. Je continue de penser qu'en terme de script, c'est un des meilleurs titres sur lesquels j'ai jamais travaillé. Robbie a écrit ce superbe script et je crois que, moi aussi, j'ai tout donné, sur le plan du visuel. Je pense que je n'irai jamais aussi loin dans l'expérimentation que je ne suis allé avec La Mort blanche. C'était vraiment un titre à inscrire dans les annales.
Nous avons aussi redécouvert un vieux récit de The Crow. Apprécies-tu les ambiances de type gothique ?
Charlie Adlard : The Crow est tombé dessus juste après que j'en ai fini avec les X-Men. C'est arrivé comme ça, de nulle part. Et, au départ, je ne voulais pas travailler dessus car c'était encore un comics issu d'une franchise connue. Or, je venais de passer 2 ans sur X-Files et, avant ça, j'avais fait Mars Attacks... Même si je dois avouer que Mars Attacks a été une expérience formidable et que j'ai bien aimé le faire. Mais, donc, je n'étais pas sûr de vouloir m'attaquer à une autre licence. Et je me souviens en avoir discuté avec James O'Barr et je me souviens qu'il m'a dit que ça n'avait aucune importance, que je ne devais pas m'appliquer à copier un design particulier, le sien ou celui d'un autre artiste ayant déjà travaillé sur la franchise : "Fais ton propre truc !" et c'est ce qui m'a motivé, finalement, à faire The Crow. Et ça a été génial car James vient bien évidemment du monde des comics et il comprend donc les dangers et les tracas que l'on peut connaître en travaillant sur une franchise bien établie. Il s’efforçait donc de mettre à l'aise les différents auteurs et dessinateurs travaillant sur la franchise, à ce moment-là, histoire que personne ne ressente le besoin particulier de le contenter, lui. Au final, ça a été une expérience agréable.
Peux-tu nous parler de The Passenger, le titre de la BD avec Kirkman ?
Charlie Adlard : Oh, je peux discuter du fait que ça nous prenne autant de temps [rires] On en a déjà annoncé la sortie à deux reprises. Robert l'a annoncé il y a deux ans, à San Diego, sans que ça ait l'air d'émouvoir grand monde, puis il l'a annoncé encore l'an dernier, toujours à San Diego, où, cette fois, ça a fait un peu plus de bruit. On peut espérer que ça lui ait aussi mis la pression à lui, pour le finir. J'ai déjà dessiné 45 pages, c'est quasiment fini ! Mais ça fait deux ans que c'est quasiment fini ! Pour une raison que j'ignore, la conclusion s'avère problématique et je n'ai aucune idée de comment The Passenger va se finir. Personnellement, je pense qu'on a, jusqu'ici, une super histoire ainsi que, sans vouloir me la jouer, quelques unes parmi les meilleures illustrations jamais produites. Ce serait donc très dommage que ça ne soit jamais publié et je vais donc faire en sorte qu'un jour, The Passenger sorte enfin !
As-tu envie de te mettre au scénario ?
Charlie Adlard : Non. [rires] C'est aussi simple que ça: je suis dessinateur, pas auteur. Je connais ma place. Je n'ai jamais été particulièrement inspiré pour écrire, je n'ai jamais eu d'idées sorti de l'illustration et je préfère en rester à ce que je sais faire. Je n'ai pas envie d'être polyvalent, je préfère être bon dans la seule chose que je fais. Donc, non, ça ne m'a jamais intéressé, je préfère rester dans une collaboration.
Delcourt va publier prochainement Savage, en France. Peux-tu nous parler de ce titre ?
Charlie Adlard : Savage, crois-le ou non, est une série qui a débuté dans le magazine 2000AD, au Royaume-Uni, et elle a débuté dans le numéro précédant les débuts de Judge Dredd. Judge Dredd a commencé dans le numéro 2 de 2000AD tandis que Savage a débuté dans le premier numéro. Le pitch de Savage était de s'intéresser à la résistance qui se mettrait en place si jamais le Royaume-Uni venait à se faire envahir. D'ailleurs, au départ, la série s'intitulait Invasion!. Si ma mémoire est bonne, l'histoire se déroulait en 1990 ou 1999, soit le futur pour les lecteurs de 1977 ! [rires] Je ne me souviens pas de la durée du run originel mais on est venu me voir il y a des années de ça - c'était avant même Walking Dead -, il y a peut-être 13 ans de ça, et on m'a proposé de travailler sur Savage. Et je gardais un bon souvenir d'Invasion ! Pour Savage, Pat Mills était encore une fois au scénario, comme sur Invasion!, et je me suis dit "ça pourrait être intéressant !". Ce que je voulais, c'est que notre Savage soit un commentaire sur l'occupation car, à l'époque, l'Irak était occupé, nos troupes occupaient aussi l'Afghanistan et je ne voyais plus le monde de la manière aussi claire, en noir et blanc, que le représentait Invasion!, dans les années 70. Je voulais donc faire un commentaire politique sur la différence entre être un terroriste et être un combattant de la liberté ou sur le fait d'appartenir à une force d'invasion. Le résultat est que j'ai une peu changé le visuel de Savage, par rapport à celui d'Invasion. A l'époque, les envahisseurs - les Volgans - étaient clairement d'inspiration soviétique tandis pour ces mêmes Volgans, dans Savage, j'ai utilisé des uniformes d'inspiration américaine. Tout cela pour en quelque sorte dire "Voilà ce qui se produit en Irak et en Afghanistan, ce n'est pas très différent". J'ai aussi essayé de faire passer des choses. La façon de choquer le lectorat, aussi, il a fallu revoir ça. A l'époque des débuts de 2000AD, qu'est-ce qui faisait que le gore ou quelques jurons pouvait choquer ? C'était parce que c'était un comics destinés aux enfants. Et oui, dans 2000AD, il y avait ces comics très forts et très matures et on était sans cesse à la limite entre les bande-dessinées pour enfant et un contenu destinés aux adultes. Mais, aujourd'hui, si tu fais dans le gore, personne ne va broncher. Si les personnages jurent, tout le monde s'en fiche. C'est comme ça, aujourd'hui, pareil pour le contenu sexuel, ça ne fait plus réagir. Alors Pat et moi avons discuté de ce qui pourrait vraiment choquer, de ses idées politiques, intéressantes, qui pourraient susciter une réaction de la part de l'establishment. Donc voilà en gros les idées derrière Savage. J'ai illustré trois volumes de Savage. Comme la série paraissait dans 2000AD, il y avait quelque chose comme dix épisodes de 6 pages chacun dans chaque volume soit à peu près 60 pages par volume. J'ai illustré les trois premiers et ce sont ces 180 pages qui ont été rassemblées par Delcourt. Savage a ensuite continué avec un autre dessinateur et je crois qu'ils en sont au neuvième volume ! Mais, oui, j'ai été ravi de pouvoir travailler avec Pat et c'est encore une fois une des choses dont j'ai été très fier.
Tu as débuté dans les pages de 2000AD. Que penses-tu de l'évolution du magazine et de celle du marché britannique en général ?
Charlie Adlard : De l'absence de marché britannique, plutôt, non ? C'est un peu une grosse blague pour moi. Je ne parle pas de 2000AD. Le magazine est encore là, aujourd'hui. Malheureusement, il n'a plus l'impact culturel qu'il avait dans les années 70 car, depuis, d'autres comics ont vu le jour et s'en sont inspiré. Donc c'est là, ça fait un peu partie du décor. Je me débrouille encore pour le recevoir chaque semaine - comme j'y ai travaillé, on me l'envoie gratis [rires] -. C'est sympa mais j'en lis rarement le contenu, ce n'est pas ce qu'il y a de plus emballant, comme magazine. J'ai l'impression que ça aurait besoin d'un bon coup de pied aux fesses pour le rendre, je sais pas, un peu plus excitant. Peut-être que ça a trop duré, je ne sais pas. Je me rappellerai toujours du sentiment d'ironie qu'il y a eu quand on a effectivement passé le cap de l'an 2000 et il y avait eu alors une grande controverse sur le titre du magazine et sur le fait qu'ils allaient le changer ou pas. Parce que, tout d'un coup, 2000AD, ce n'était plus le futur. Et, au final, et c'était une sage décision, ils décidèrent de garder le nom de 2000AD car c'est dorénavant une marque reconnue. Le problème est que plus on avance dans le millénaire... On est aujourd'hui en 2015 et ce comics s'intitule 2000AD ! [rires] Ça paraît être un truc venu du passé et non plus du futur. Mais, sorti de là, il n'y a pas de marché britannique. On finit tous, malheureusement, par partir travailler aux Etats-Unis, quelques-uns viennent même, difficilement, travailler ici [NDT : en France]. J'aime penser que je travaille dans les deux ! J'essaie toujours de montrer aux gens, en particulier aux américains, qu'il existe des marchés infiniment plus intéressants que... Je ne sais pas. Si, "intéressants", c'est le mot, infiniment plus intéressants que le marché américain. Des marchés qui ne reposent pas uniquement sur les super-héros, contrairement au marché américain. Malheureusement, chez nous, au Royaume-Uni, on a tendance à aller de plus en plus dans la direction du marché américain tandis qu'en France, à seulement une vingtaines de miles de nos côtes, on a tous ces titres extraordinaires et on n'en voit jamais un seul alors qu'on arrive à faire venir des titres américains par delà des milliers de kilomètres, à travers l'océan !
Merci Charlie !
Remerciements à Alain Delaplace pour la traduction, à Sabrina Gaudou pour l'organisation et à Thierry Mornet pour sa gentillesse légendaire.
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