interview Bande dessinée

Diego Aranega

©Dargaud édition 2008

Ceux qui ont vu la vidéo « promo » du 1er tome de Victor Lalouz le savent déjà : Diego Aranega est doté une tchatche vertigineuse. Pas le temps de poser une question, que l’auteur embraye le pied au plancher ! Ce qui ne l’empêche pas d’avoir créé un pur personnage de BD humoristique, à la fois attachant et con comme c’est pas possible. Après moult illustrations dans Libé et Télérama, Aranega s'inscrit dans le 9e art en digne successeur de Franquin, option nouvelle vague…

Réalisée en lien avec l'album Victor Lalouz T3
Lieu de l'interview : Angoulême 2008

interview menée
par
18 février 2008

... (pas le temps de poser une question qu’il embraille déjà)
Diego Aranega : Le concept de Victor Lalouz, c'est celui du anti-héros qui cumule un maximum de tares mais qui va quand même y arriver grâce à une assurance hors norme. Victor n'a rien pour lui, pas plus sur le plan physique, qu'intellectuel ou familial. En construisant son profil je voulais que sa relation à ses parents inspire plus le "casier familial" que la simple histoire de famille ! Quand j’écris ses aventures j'ai trois impératifs :
1. faire en sorte que victor se prenne les pieds dans le tapis toutes les 6 cases,
2. balader le lecteur sur les fausses pistes de manière à ce qu'a aucun moment il ne devine comment va se solder tel ou tel sketche,
3.enchaîner les situations de manière à broder une histoire au long cours qui, sur un album, va mener Victor d'un point A à un point Z. Je ne voulais pas que la vie de Victor se cantonne à une simple enfilade de gags, il fallait absolument que ça soit plus complexe et que son profil de couillon soit doublé d'une épaisseur psychologique qui me permette à travers des situations simples d'aborder des sujets complexes. C’est pour ça que j’ai développé les passages chez le psy afin de formuler via l'analyse ce que Victor ne peut pas exprimer, soit parce qu'il n'en a pas conscience, soit parce qu'il n’en a pas les moyens intellectuels.

On sent vraiment cet aspect psychologie dans Victor Lalouz…
Diego : Eh oui, je me suis documenté sur le sujet, j'ai même passé une thèse en éthno-psychiatrie. Le psy de Victor est la caricature de l'analyste Freudien. Dans les séquences où je le mets en scène il développe un discours cohérent et livre de véritables analyses souvent achalandées d'un vocabulaire que Victor n'imprime pas. Ça donne souvent lieu à des situations assez cocasses !

Pour le premier tome, tu avais sorti une vidéo…
Diego : J'aime être cohérent avec mon travail. Je fais un travail d'humoriste ; pour moi, c'est naturel de le vendre aux journalistes autrement qu'avec un dossier de presse plan-plan. J'aime bien me mettre en scène sans me prendre au sérieux, en sur-jouant à mort celui qui veut "vendre sa came". Ce coup-là je me suis donc effectivement grimé en boxeur pied-noir, je trouve que les pieds-noirs sont assez redoutables dans la vente, faut pas chercher plus loin. Ah si : mon père est pied-noir !

On va te poser la première question : comment en es tu arriver à faire de la BD ?
Diego : Je n’ai absolument pas prémédité mon coup. Je suis allé aux Beaux Arts, j'y faisais des modelages et des illustrations plutôt "comiques" qu'il fallait pas trop montrer étant donné que tout ce qui s'apparentait de près ou de loin à l'humour n'était par définition pas sérieux. Bref, j'étais pas plus orienté arts graphiques que ça mais j'ai passé mon DNSEP en option communication. En 5eme année, avec 5 potes, on a monté un fanzine "ne pas avaler". Pour remplir mes pages, j'ai créé un personnage qui a bien fait marrer tout le monde. Après le diplôme je suis allé faire le tour des rédactions pour montrer mon book. Mon premier rendez-vous a été le bon : j’ai débuté dans XL avec une chronique mensuelle qui mettait en scène ce perso que j'avais créé à l'époque des beaux-arts. Ce personnage est ensuite devenu la mascotte du canard et j'avais en charge tous les dessins du magazine. Parallèlement à ça j'ai commencé à piger pour plein de journaux, Libération, Télérama, je Bouquine, SVM mac, etc.

Le personnage de Victor est de plus en plus drôle…
Diego : C’est parce que je le connais de mieux en mieux. À la première approche, Victor peut paraître un peu foireux, c'est lié au physique, c'est comme dans la vraie vie. Mais au fil des pages, plus on le voit évoluer, plus on se dit que sa logique répond à quelque chose de tangible. Victor n’est pas que foireux, il est bien plus complexe que ça ! Quelqu’un qui survole Victor sur un ou 2 gags pourrait le trouver prétentieux, mais c’est pas du tout le cas, Victor est juste couillon ! N'ayant pas conscience de l’image qu’il renvoie, il apparaît comme étant super sûr de lui, c'est sa grande force, c'est grâce à ça qu'il déplace les montagnes.

Est-il un peu atteint du syndrome Forrest Gump ?
Diego : Oui, mais il n’a pas les mêmes velléités. Pour Victor rien n’est impossible. Les passages chez le psy me permettent d'évoquer le fait que les différentes pathologies de Victor trouvent leur source dans des épisodes traumatiques de l'enfance, l'idée étant de pointer de temps à autres des circonstances atténuantes qui permettent aux lecteurs d'avoir de l'empathie pour lui.

Est-ce que l’on va finir par voir sa mère ?
Diego : Je ne crois pas qu’il faille qu’on la voie. J’ai des idées en cours pour éviter que les rencontres ne se fassent. Le lecteur s’imagine qu’elle est horrible et terrifiante, si ça trouve c’est pas le cas. (nan je déconne, elle est atroce !)

Y a t-il des anecdotes autobiographiques ?
Diego : Beaucoup ! Le code de la route par exemple, personnellement, j’ai passé le permis 5 fois ! Je me suis vautré 3 fois au même endroit (rires). A chaque fois que mon heure de conduite commençait, le moniteur me disait qu’il fallait faire le plein ! Et il me faisait pas rouler dix minutes en plus après, nan : c’était dix minutes en moins ! Il y a une séquence où le moniteur explique à Victor comment utiliser l’embrayage et le levier de vitesses, c’est du vécu ! J’ai retranscris ce que m’avait décrit mon moniteur à ce moment. J’avais l’impression qu’il fallait être dix pour réussir à faire fonctionner une voiture. La séquence des diapositives vient de moments vécus. Il y en a une qui dit : « il fait nuit et il pleut, donc j’allume mes feux de… ? » moi à l'époque je trouvais ce genre de question complètement débile, jamais, ô grand jamais, je me serais imaginé rouler de nuit sous la pluie ! Ah oui, une chose qui m’est arrivé l’an dernier et que Victor fait dans le troisième tome, je vais tirer de l'argent dans un distributeur et je me trompe trois fois de code. Carte avalée ! Derrière moi, il y avait une super nana genre Kelly Capwell dans Santa Barbara, et je me suis dit : "la honte, si elle me voit pas reprendre ma carte elle va croire que je suis à découvert". C’est complètement débile comme raisonnement et en me retournant je me suis justifié en baragouinant un truc du style "ouais j'ai plusieurs cartes j'inverse toujours les codes"… la misère ! Ça sort tout seul, j'arrive pas à me taire !

De par ses circonstances familiales, Victor nous fait aussi penser au Chandler de Friends
Diego : C’est vrai, je n’ai pas suivi Friends jusqu’au bout mais j’aimais bien. Chandler a quand même moins de tares que Victor. Et surtout il a eu des relations sexuelles consentantes, lui ! Sinon en général j’aime bien les anti-héros, Michel Blanc dans les Bronzés est toujours impeccable, j'aime aussi Gaston Lagaffe. D'ailleurs, le nom "Lalouz" est un clin d'oeil au "Lagaffe" de Franquin !

Est-ce que tu as d’autres projets en cours…
Diego : La suite de Victor Lalouz, le tome 4 devrait s’appeler Total flashback. Tout se passe dans les années 80, Victor aura des cheveux… Sinon dans Libération, j’ai avec Lefred Thouron une chronique quotidienne qui raconte sous forme d'un strip de 6 cases la vie d'un tribunal de province. C'est la première fois que la justice des petites gens est traitée avec autant de finesse, de réalisme et d'humour, Lefred a fait très fort pour ses scénarios. En guise de gratitude, j'ai soigné le bébé côté dessin ! Tout sera compilé dans un album à paraître chez Dargaud en avril 2008.

Si tu étais un bédien, quels seraient les albums que tu conseillerais ?
Diego : Il y aurait beaucoup de choses, essentiellement celles qui m’ont marqué plus jeune. Philémon de Fred par exemple, les Rubriques à brac de Gotlib et les Gaston Lagaffe de Franquin. Gamin, dans ma bibliothèque je devais avoir une douzaine d’albums, pas plus. Je les ai lus et relus et rerelus, je les connais par coeur. Lire un même bouquin 300 fois ça aide à comprendre beaucoup de choses !

Si tu avais le pouvoir cosmique de te téléporter dans le crâne d’un auteur de BD, qui irais-tu visiter de temps en temps ?
Diego : 5 minutes alors ? Parce que je voudrais continuer dans ma tête le plus longtemps possible. Si c'est que pour un stage j’aimerais bien savoir comment fonctionnait Schultz (Les peanuts - Snoopy) pour réussir à publier un strip quotidien durant 50 ans. Je me suis toujours demandé s'il était serein, genre en pilote automatique, ou si au contraire il était dans un climat de tension permanent !

Merci Diego !