interview Bande dessinée

Emmanuel Michalak

©Delcourt édition 2004

Après un premier tome angoissant, la suite des Cercles d'Akamoth a fait battre le palpitant de plus d'un lecteur avec une fin pour le moins surprenante! Le dessinateur de cette belle réussite, Emmanuel Michalak, verre à la main, était là pour rencontrer les bédiens. Transcription en français d'une discussion en langage intergalactique.

Réalisée en lien avec l'album Les cercles d'Akamoth T2
Lieu de l'interview : Festival Delcourt à Paris Bercy

interview menée
par
4 octobre 2004

Bonjour Emmanuel ! Content d'être au festival ?

Emmanuel Michalak : Oui, je l'attendais avec impatience. Les cercles d'Akamoth est sorti en Août, et en tant qu'auteur, j'aime bien avoir des retours. Venir ici, c'est fêter l'événement, c'est donner une réalité à la sortie d'un tome, ça lui donne corps.

Pour faire connaissance, peux-tu nous raconter ton parcours?

Emmanuel Michalak : J'ai commencé en CM1 environ, alors que je suivais des cours assez ennuyants. Je me suis dit que, puisque ces cours me formaient à la vie d'adulte, celle-ci devait être aussi ennuyante. C'est pour ça que je me suis réfugié dans la BD, qui me permettrait d'être un adulte en restant dans le monde de l'enfance. Après j'ai fait 3 ans aux beaux arts, sculpture et dessins sur croquis et peinture . Je me suis passionné pour l'Art les deux ans qui ont suivi ma sortie des beaux arts, mais j'ai laissé tomber petit à petit pour retourner vers la BD.

Comment as-tu rencontré Michael le Galli ? Pourquoi toi, pourquoi lui ?

Emmanuel Michalak : C'est tout un parcours. J'avais commencé une histoire qui a été refusée partout. J'ai appelé pleins de gens et finalement, on m'a présenté Luc Brunschwig qui m'a présenté Anne Ploy. J'ai fait deux projets avec elle. Le premier, elle n'a pas eu le temps de le poursuivre, et le second, un polar français style tendre banlieue, c'est moi qui ai abandonné : je n'y arrivais pas. J'ai rompu et elle m'a présenté Michael. Premier projet avec lui : Au nom du père. C'était l'histoire d'une rencontre d'un tueur en cavale avec un enfant autiste, avec des histoires de trahison. C'était une histoire dramatique. Elle n'a pas trouvé preneur, mais François Capuron des éditions Delcourt nous a proposé de travailler sur un projet de polar pour la collection Machination. On a donc proposé les cercles d'Akamoth, qui s'est baladé d'une collection à l'autre, et on a sorti un premier tome dans la collection Insomnie. Dans le tome 2, le personnage prend vraiment corps, fait sa descente aux enfers. La fin est terrible. J'ai essayé de faire changer Michael d'avis, mais finalement il m'a convaincu ! On a donc orienté tout l'album en fonction de cette fin, assez tragique.

Comment l'idée de cette histoire vous est elle venue ?

Emmanuel Michalak : De différentes manières. Michael est un grand fan de Michael Connelly et de James Elroy, deux auteurs américains qui placent leurs actions dans Los Angeles. Il s'est donc orienté naturellement sur la ville de Los Angeles, ville qui est très peu traité dans la BD, et dans laquelle règne une sorte de ségrégation entre noir et Blanc. Le choix d'un flic noir est né de cette envie, et nous permet de raconter le tiraillement que subit le personnage entre ces deux cultures. Il s'est inspiré également de textes sur les gnostiques chrétiens du 3e siècle, sur lequel il avait travaillé pour une histoire d'héroic fantasy Je lui ai fourni l'idée de la créature, qui venait de mon scénario. Cette créature lui a permis de compliquer l'intrigue.

Comment travailles-tu avec lui ?

Emmanuel Michalak : Ce qui est bien avec Michael, c'est qu'au début de chaque tome il m'envoies un séquentiel du scénario, afin que l'on puisse en discuter et me laisser y apporter mes idées et mes visions. Je lui apporte souvent des idées visuelles. A partir de notre discussion il finalise le scénario. Et on peut commencer le tome!

Ta mise en scène est volontairement très cinématographique. C'est ta façon de travailler ?

Emmanuel Michalak : Je cherche effectivement toujours la fluidité du mouvement, des personnages comme de la caméra. J'aime bien faire ça comme ça. J'aime également beaucoup l'usage de cases horizontales, qui accentue probablement le coté cinéma. Mais je fais cela de façon instinctive, ce n'est pas une volonté claire de faire cinéma !

Qu'est ce qui t'inspire pour ton style graphique ? Tu utilises beaucoup de documentation ?

Emmanuel Michalak : Par l'intermédiaire d'un ami d'enfance photographe, j'ai rencontré sur le net une artiste peintre américaine, Deborah Hosking, qui fait beaucoup de photos. Elle m'a fourni beaucoup de documents, sur les sans abris, sur le commissariat central et sur les rue de Los Angeles. Sinon, mon inspiration est aussi liée à plein d'auteurs BD que j'adore : Rossi, Loisel, etc [NDLR : qui se trouve juste à côté]. Mais j'aime tellement de choses que finalement tout s'annule. J'ai également pendant de nombreuses années étudier de fond en comble le dessin d'Honoré Daumier, un auteur du XIXe. Je l'avais découvert à l'époque des Beaux Arts et j'avais été très impressionné par son dessin très vivant, ainsi que de son traité du volume et de la lumière. Aujourd'hui ce que je garde surtout de mon étude sur Daumier, est le souci de donner vie à mon dessin.

Si je te dis " prophétie ", tu me réponds ?

Emmanuel Michalak : C'est en illustrant ce jeu de rôle que j'ai confirmé mes capacités pour la publication. A cette occasion, j'ai beaucoup développé le dessin au crayon. C'était d'ailleurs difficile de passer à la BD après cela, parce que le passage d'un dessin au crayon qui utilise des niveau de gris différents, à celui d'un dessin au noir et blanc bouleverse tout... Ce qui explique la médiocrité des 17 premières planches du tome 1 des cercles d'Akamoth. que je ne peux plus voir, d'ailleurs !

Ton graphisme a beaucoup évolué effectivement entre les premières planches du tome 1 et les dernières du tome 2. C'est une évolution naturelle ?

Emmanuel Michalak : Depuis le début je me suis permis de faire évoluer le dessin. Le tout est que la transition se fasse en douceur, pour éviter de grosses ruptures de style Pour le tome 2, j'ai fait des choix différents du tome 1 notamment dans l'affinage du trait, mais j'essaie d'y aller doucement. Et je m'en félicite puisque j'assume tout à fait le tome 2, je suis content du scénario, du dessin et des couleurs!

Pourquoi changes tu de style graphique lorsque tu représentes l'assassin insaisissable et surnaturel ?

Emmanuel Michalak : Je ne peux pas le dire en fait. Parce qu'il y a une raison scénaristique, et c'est un secret pour l'instant !

Quelle importance accordes tu au fait que le héros soit noir ?

Emmanuel Michalak : C'est Michael qui y tenait, moi j'avais un peu peur. Parce qu'on tombe vite dans la caricature, avec une grosse bouche, un gros nez. Mais je trouve ça très intéressant en fait comme étude.ca demande de la finesse. Du coup dès que je rencontre un noir dans la rue, j'ai tendance à le l'observer discrètement pour comprendre les volumes généraux qui le caractérise. Je ne le fais pas trop longtemps, j'ai toujours peur que cela soit perçu comme une agression.. J'aime bien leur démarche, un peu dansante. D'ailleurs, je me rends compte que la peur de faire une caricature me pousse inconsciemment à, peut-être, faire Edgar trop blanc dans ses volumes. J'ai corrigé petit à petit également. .C'est une grosse difficulté en tout cas. Et puis je ne sais pas ce que c'est que d'être noir de peau dans un monde de blanc.

Est-ce que on peut avoir un scoop sur la suite de la série ?

Emmanuel Michalak : Je ne peux vraiment pas en dire beaucoup. Le tome 3 me plait énormément, La maman d'Edgar revient, Anne prend un rôle très important, et kalish sort du petit ècran...

Quels sont tes autres projets ?

Emmanuel Michalak : Pour l'instant je n'en ai pas vraiment d'autres, à part un début de projet médiéval avec Michael Le Galli, plus léger, plus humoristique. J'aimerai bien faire quelque chose de plus historique et également quelque chose de plus accessible aux jeunes, notamment pour que ma fille qui a deux ans et demi puisse lire un de mes album avant qu'elle ait atteint sa majorité!

Toujours avec Michael ?

Emmanuel Michalak : Oui, parce qu'on s'entend bien. On s'est engueulé une fois,au tout début des cercles d'Akamoth, mais maintenant c'est l'harmonie totale. La seule autre personne avec qui je pourrais bosser, c'est moi (rires). Ah si il y a quand même Serge Letendre. J'aimerais énormement bosser sur une de ses histoires. Je suis très fan de son travail.

Si tu étais un bédien, quelles seraient les BD que tu aimerais faire découvrir aux terriens ?

Emmanuel Michalak : La gloire d'Héra, de Rossi, un chef d'oeuvre pour moi, et la quête de l'oiseau du temps de Régis Loisel. Puis aussi, Isaac le Pirate de Blain, j'adore Blain. Universal War One (de Denis Bajram), que je trouve captivant. Puis Quartier Lointain (de Jirô Taniguchi), et Tardi. Et Corto Maltese (de hugo Pratt) !

Si tu avais le pouvoir cosmique de te téléporter dans le crâne d'un autre auteur de BD, chez qui aurais-tu élu domicile ?

Emmanuel Michalak : Rossi, j'adore ce qu'il fait !

Merci Emmanuel!