Aux deux premiers volumes de l’Age de Bronze (sur les 7 espérés !), les éditions Akileos ajoutent aujourd’hui un hors-série dans lequel l’auteur, Eric Shanower, dévoile les Coulisses de l’œuvre. Bien que « star » modeste outre atlantique, celui qui remporta par deux fois déjà l’Eisner Award du meilleur scénariste et dessinateur a accepté de nous rencontrer en avant-première (in English please !)
Grand merci à Richard Saint Martin pour sa relecture avisée.
interview Comics
Eric Shanower
Réalisée en lien avec l'album L'age de bronze
Hello Eric ! Est-ce la première fois que tu mets les pieds en France et plus particulièrement à Angoulême ?
Eric Shanower : Non ! C’est ma seconde participation au festival international de la bande dessinée et j’y viens avec grand plaisir. Je réponds à l’invitation qui m’est faite par mon éditeur, que je remercie par ailleurs. Cela me permet d’y présenter mon travail et de rencontrer mon public. Les gens qui connaissent ou découvrent L’Age de Bronze viennent me trouver, je leur dédicace un volume et nous en parlons sur le stand.
Tu as reçu outre atlantique de nombreuses récompenses honorifiques pour tes albums, dont deux fois le prestigieux Eisner Award (la plus haute récompense américaine) du meilleur scénariste et dessinateur en 2001 et 2003. Es-tu une star ?
Eric Shanower : Pas encore, non ! Je ne suis pas une star. Je ne suis qu’un simple dessinateur de bandes dessinées. Il est probable en outre, que je sois plus connu, plus « populaire » ici en France qu’aux Etats-Unis, même si j’y vends plus d’exemplaires.
Pourtant ta renommée n’est pas encore légendaire chez les fans du 9e art franco-belge. Un magazine (Entertainment Weekly) a titré en référence à L’Age de Bronze : « History never read so good » (l’Histoire ne s’est jamais aussi bien lue). As-tu une formation d’historien ?
Eric Shanower : Toujours non. En peu de mots, j’ai 42 ans, j’habite San Diego au sud de la Californie et j’exerce mes talents de dessinateur depuis environ maintenant 22 ans. Dans les années 90, mes premières réalisations s’inspiraient du conte le Magicien d’Oz (de Lyman-Frank Baum). Il y a 8 ans j’ai entamé L’Age de Bronze dans lequel je donne ma vision du récit légendaire de la Guerre de Troie. J’ai par ailleurs signé d’autres œuvres comme The Elsewhere Prince avec Moebius (alias Jean Giraud). Alors non, je ne suis ni historien, ni archéologue. Je n’ai jamais été à l’université pour étudier l’Histoire. En revanche, j’ai fréquenté une école spécialisée afin d’apprendre à faire de la bande dessinée…
Alors pourquoi avoir choisi d’adapter la Guerre de Troie et pas la Guerre de Sécession ?
Eric Shanower : La Guerre civile américaine ne suscite chez moi aucun intérêt particulier. D’ailleurs, la guerre en elle-même ne m’intéresse pas beaucoup. En réalité, le récit de la Guerre de Troie ne traite pas vraiment de l’aspect guerrier : il y est question d’hommes. Confrontés à des situations diverses et délicates, les personnages donnent au conflit une tournure très « personnelle », personnifiée. Bien sûr, en toile de fond figure la guerre, mais tout mon propos et l’histoire en elle-même tournent autour des multiples protagonistes, sujets à des sentiments et des émotions exacerbés : une effroyable peur, une terrible colère, de grandes joies et peines… Les hommes sont acteurs de belles actions comme parfois d’autres plus horribles. C’est pourquoi, je le pense, l’histoire est si bonne. De surcroît, j’ai délibérément choisi de retirer tous les aspects surnaturels du mythe. Et ainsi mettre l’accent sur l’aspect strictement humain du récit et rendre l’action « rationnelle ». Comprendre pourquoi et dans quel but agissent les personnages. Lorsque Agamemnon sacrifie sa fille Iphigénie, il n’entend pas de voix divine lui ordonner : « Ô roi, il faut que tu … ». Non, c’est lui, en son âme et conscience, qui doit prendre la décision fatidique. Les hommes peuvent croire aux dieux. Néanmoins, ma vision de l’épopée reste que ces derniers n’interviennent pas directement. Ils ne sont pas moteurs des actions humaines et ne guident en rien le récit.
L’Age de Bronze est-il un livre d’Histoire ? Parle nous de tes recherches.
Eric Shanower : Je ne considère pas l’Age de Bronze comme un livre d’Histoire mais comme une fiction historique. Ma conception de l’histoire est présentée sous un angle dramatique et non de manière analytique se résumant à une liste de dates et de faits. Je ne cherche pas à démontrer que cette guerre a bien eu lieu, à savoir ce qui s’est réellement (ou non) passé, ni même à trier parmi ceux qui y croient et les sceptiques. Je vise juste à rendre mon récit le plus intéressant possible. Partant de là, mes recherches s’articulent en deux volets. D’une part, l’aspect artistique, car pendant les siècles qui nous séparent des origines troyennes, de nombreuses versions de la légende ont été écrites. Il n’en existe pas « Une » mais de multiples et, de surcroît, souvent contradictoires. Il a donc fallu que je les lise afin de composer la mienne. L’autre aspect de mon travail documentaire concerne les réalités historiques et archéologiques. Je tiens à situer précisément mon récit dans cette période singulière de l’âge de bronze (qui donne son titre à la série). L’encrer chronologiquement et restituer un environnement le plus exact possible. J’ai donc beaucoup étudié et lu sur les civilisations Mycénienne, Grecque et le monde Egéen. Cependant, je n’ai pas ressenti le besoin d’y voyager afin de visiter les lieux. Les différents livres, vidéos et photos (comme les travaux archéologiques que je devais connaître) que j’ai consultés, m’ont, je pense, appris tout ce qu’il m’était nécessaire de savoir. J’ai par ailleurs été invité à l’université de Cincinnati (qui compte des membres de l’équipe américaine spécialiste du sujet) afin de parler de L’Age de Bronze. J’y ai été merveilleusement reçu et je continue à échanger par téléphone et mails avec certains des professeurs.
Pourquoi avoir choisi un dessin noir et blanc et non une mise en couleurs ? Par volonté ou manque de temps ?
Eric Shanower : Je suppose en partie, en effet, par manque de temps mais aussi parce que cela reviendrait très cher pour l’ensemble du projet. Même aux Etats-Unis où la série paraît périodiquement sous forme de magazines comics d’une vingtaine de pages la publication se fait en noir et blanc. Par ailleurs, je serais très content de voir un jour L’Age de Bronze en couleurs. Mais il est probable qu’alors je me chargerai moi-même du travail afin de rendre une copie correcte historiquement et, ainsi, conforme à mes attentes. Peut-être une fois le tout terminé, je me retournerais sur ces centaines de planches et/ou qu’un éditeur me le proposera ?...
Tu joues parfois au théâtre (The Hobbit 1984…). Cela t’aide-t-il à saisir la dramatique dans laquelle baigne la Guerre de Troie ?
Eric Shanower : J’ai eu en effet quelques expériences de théâtre à un niveau amateur. Mais cela reste un hobby… Je crois que c’est, comme toute expérience, très formateur. En fait, il m’arrive lorsque je dessine de me lever et de mimer la scène, les actions qu’ont à exécuter les personnages. J’essaie de capter le mouvement et de comprendre comment ils doivent bouger. En ce sens, le théâtre m’aide à reproduire une gestuelle particulière. Je me sers de mon expérience d’ "acteur" afin de reproduire des réactions authentiques.
Parmi tous les héros que tu dessines, et donc côtoies quasi-quotidiennement, as-tu une préférence ?
Eric Shanower : J’adore tous les personnages. Aucun n’est tout blanc ou tout noir. Chacun se retrouve confronté à des situations parfois critiques face auxquelles tous essaient de s’en sortir du mieux qu’ils peuvent. Prenons Hector : c’est réellement un bon gars qui fait toujours de son mieux. En revanche, Agamemnon semble foncièrement mauvais, mais il est contraint à un horrible choix : sacrifier sa fille ou renoncer à l’expédition. Tous tentent de survivre et cela demeure le plus significatif. Ulysse n’est pas exempt de tout reproche, pourtant il demeure admirable. Enfin, Achille !... Je ne sais trop quoi dire le concernant sinon qu’il se connaît parfaitement. Il sait ce dont il a besoin : accomplir de grandes choses pour la Gloire !
As-tu vu le film Troie (de Wolfgang Petersen avec Brad Pitt) ? Qu’en as-tu pensé ?
Eric Shanower : Chacun connaît la fin de l’histoire ! Je poursuis continuellement mes recherches afin d’améliorer les quelques erreurs historiques qui ont pu m’échapper. Mon récit n’est pas entièrement écrit ; il ne l’est que par brides, dans les grandes lignes mais jusqu’à de précieux détails qui me permettent de respecter une cohérence. Aux Etats-Unis, le format de publication rythme ma production : je fais 20 pages avant d’en refaire 20, etc… Troie n’est pas un mauvais film. Il ajoute simplement une autre version à la légende. Une parmi toutes celles que j’ai lues (ou vues) et sans doute pas la plus ennuyeuse.
Si tu étais un bédien, quelles seraient les BD que tu aimerais faire découvrir aux terriens ?
Eric Shanower : Parmi les comics, je recommanderais Love & Rockets (Jaime Hernandez) et aussi les albums de Jim Berry (Berry’s world) dont je souhaite qu’un jour il soit traduit en français. Sur ce point, je crois que les éditions Akileos effectuent le meilleur travail qui soit sur L’Age de Bronze.
Si tu avais le pouvoir cosmique de te téléporter dans le crâne d'un autre auteur de BD, chez qui aurais-tu élu domicile ?
Eric Shanower : Mon dessinateur favori est John R. Neill, un illustrateur de magazines et journaux américains du début du siècle dernier. Il n’est pas particulièrement reconnu aux Etats-Unis mais j’éprouve une admiration réelle pour son travail. Surtout, il illustra les livres inspirés de l’univers du Magicien d’Oz : une des raisons pour lesquelles, enfant, j’en suis tombé amoureux.
Thank you Eric !