Trois tomes de Toran (avec Isabelle Plongeon), suivis de 3 tomes de Le Feul (avec Jean-Charles Gaudin)… Frédéric Peynet, dessinateur réaliste, au coup de crayon élégant et peaufiné, vient de terminer en beauté (forcément) une des meilleures trilogies d'heroïc-fantasy de chez Soleil. Une conclusion inattendue et cohérente, avant de rempiler aux côtés de Gaudin pour un nouveau projet, cette fois-ci dans un univers contemporain. Le talentueux dessinateur nous en dit plus long dans une petite interview…
interview Bande dessinée
Frédéric Peynet
Bonjour Frédéric ! (NDLR : Frédéric lit la chronique de sont dernier album, Le Feul 3, et réagit)
Frédéric Peynet : C’est sympa comme tout ! Terminer une série est ce qu’il y a de plus difficile d’un point de vue scénaristique. Je suis content de voir que votre écho est positif. Pour nous, c’est toujours un peu l’inconnu : nous ne savons jamais si ce que l'on fait va plaire, si nous apportons trop ou pas assez de réponses. C’est un exercice difficile et c’est souvent là que les lecteurs sont déçus. Entre chaque album, ils ont le temps de s’imaginer une autre suite, une autre fin. Dans ce cas présent, je suis plutôt content de voir que ce dernier tome vous parait positif !
Est-ce que tu peux nous raconter comment tu en es arrivé à faire de la bande dessinée ?
FP : Je suis tombé dans la BD quand j’étais petit. Mes parents m’avaient offert deux albums,Michel Vaillant et Astérix quand je me suis mis à lire, vers 7 ans environ. Ça m’a vraiment plu, ce fut une révélation. En parallèle, mon père me faisait souvent des dessins, le soir, pour m’endormir, plutôt que de me raconter des histoires. Pour moi, c’était magique ! Je pense que ce sont ces éléments qui ont planté la petite graine à l’origine de tout. Par la suite, c’était la découverte de Thorgal, de Jean Van Hamme et Gregorz Rosinski, qui m’a décidé à devenir dessinateur de BD. Ce fut une telle claque, notamment graphique, que je ne me voyais pas faire autre chose. J’ai orienté mes études dans ce sens. Je suis allé au lycée dans une classe d’art plastique, puis une école d’art appliqué à Nantes… Enfin, je me suis lancé dans la BD avec la scénariste Isabelle Plongeon, avec qui j'ai réalisé les séries Toran pour Nucléa et Les Apatrides pour Pointe Noire. Puis j’ai rencontré Jean-Charles Gaudin, et on s’est lancé dans Le Feul.
Aujourd’hui, considères-tu Le Feul comme la clef de voute de ta carrière ?
FP : Oui clairement : c’est ma série la plus aboutie. Depuis mes débuts, j’ai tout fait pour progresser, et je suis de plus en plus satisfait du résultat. Jean-Charles à créé une histoire, un univers qui correspond à ce que j’avais envie de dessiner. On s’est en plus très bien entendus, et notre histoire a été suivie par l'éditeur, contrairement à mon éditeur précédent, Nucléa² (je ne parle pas de Nucléa 1, ou l’équipe était totalement différente). Chez Soleil, j’ai de beaux albums, bien imprimés, fidèles aux originaux. C’est la série dont je suis le plus fier pour toutes ces raisons-là.
Il y a eu deux tomes pour Toran, c’est cela ?
FP : Il y a en a eu 3, mais effectivement, le dernier est passé plus ou moins inaperçu. J’avais travaillé un an et demi sur le dessin, ils ont massacré l’impression, le livre est resté une semaine en façade, puis il est parti dans les limbes !
Revenons à nos moutons : quelle est la genèse de la série Le Feul ? Qui en a eu l’idée ?
FP : L’idée vient de Jean-Charles. Quand on s’est dit qu’on allait faire quelque chose ensemble, on s’est bloqué une après midi pour discuter de ce que j’aimais dessiner, ce que je n’aimais pas dessiner, de ce que j’aimais lire et de ce que je n’aimais pas lire, idem pour lui. De ce qu’on aimait au cinéma… Il a créé le Feul à partir de nos désirs et nos envies. D’ailleurs, son histoire était tellement bien construite que je n’ai pas pu intervenir dessus. Ce que je lisais me convenait parfaitement. Jean Charles était demandeur d’avis ou de critiques, mais je n’arrivais pas à lui dire quoi que ce soit, tellement j’aimais ce qu’il faisait.
L’orientation écolo était prévue dès départ ?
FP : Oui complètement. Le rythme n’était pas prévu comme cela, en revanche. Le tome 1 devait contenir le tome 1 et la moitié du tome 2. Mais Jean-Charles a ralenti le rythme de la narration pour s’attarder plus sur la psychologique des personnages. Néanmoins, la fin était prévue depuis le début, même si quelques détails ont changé dans le temps.
Rassure nous, il est possible qu’il y ait un autre cycle ?
FP : Bien que ce soit théoriquement possible, cela ne fait pas partie de nos plans. On travaille sur une nouvelle série pour l’instant, qui sera plus longue que le Feul. Jean-Charles pourrait reprendre le Feul s’il en avait envie, et créer une nouvelle histoire à partir de cette fin de tome 3. Cela serait tout à fait possible, puisqu’il a laissé des portes ouvertes. Mais est-ce qu’on aura envie de repartir dans cet univers dans quelques années, avec le risque que ce ne soit pas « LA » bonne idée, que ce soit le cycle de trop, dénaturant ainsi le premier ? Je ne sais pas…
On veut un scoop : c’est quoi la suite avec Jean-Charles ?
FP : Euh… Que puis-je dire…. Je n’ai pas le titre parce qu’on ne l’a pas encore trouvé. Mais ce sera un thriller contemporain. Un genre nouveau pour moi que j'avais de plus en plus envie d'aborder ces dernières années. Jean-Charles ne visualisait pas mon dessin dans ce type d’histoire. Il m’avait demandé de faire une ou deux planches dans cet esprit pour qu'il puisse avoir une meilleure idée de ce que je peux faire dans un registre contemporain. Or, il se trouve que parallèlement à cela, Christophe Bec m’avait proposé de participer à Hanté. Je lui ai dit oui, à condition que l’histoire soit contemporaine. J’ai donc pu m’essayer à ce registre, que j’avais très peu emprunté jusqu’à présent.
C’était quelle histoire déjà ?
FP : C’était Stara Luda, une histoire en noir et blanc, qui se déroule en Yougoslavie, « avec le téléphone »... Ça m’a permis de découvrir le talentueux scénariste Stéphane Betbeder. C’était un exercice très difficile de créer et de finir une histoire en 7 pages. Ce qu'il a écrit m'a vraiment bluffé ! A partir des planches de Stara Luda, Jean-Charles a vu que je pouvais dessiner dans le contemporain. On s’est dit banco, on y va !
Quelles sont tes influences ?
FP : J’ai parlé tout à l’heure de Rosinski. Je vous invite d’ailleurs à aller voir mon blog : http://www.fpeynet.com/blog/. J’y ai fait une petite histoire dans laquelle je relate la façon dont j’ai découvert Thorgal, avec Alinoë. Rosinski est mon influence principale, LA révélation, le déclic qui m'a poussé à devenir dessinateur de BD. Par la suite, une influence toute aussi importante : Régis Loisel. Je l’ai rencontré il y a dix ans. Et pendant 2 ans, je lui envoyais mes planches, je l’appelais et il commentait mon travail. Il m’a fait gagner un temps énorme, m’a ouvert les yeux sur mes erreurs et sur les qualités d'autres dessinateurs… Même si graphiquement je ne dessine pas du Loisel, ses conseils ont constitué la base même de mon dessin. Une troisième influence, c’est Urasawa, l’auteur de 20th Century Boys et de Monster. Quand j’ai découvert ça, il y a 5 ans, je crois, ce fut une grosse claque scénaristique et graphique. Il avait réalisé l'histoire que j'aurais tant voulu faire un jour.
Si tu avais des BD à conseiller aux lecteurs ?
FP : Outre les miennes ? Thorgal, bien sûr. Sinon, un album qui m’a marqué : Le journal de mon père de Taniguchi. C’est la seule BD qui a réussi à me faire pleurer, ça doit me ramener à ma propre expérience. Quartier lointain, aussi, du même auteur. Sinon, je ne suis plus grand lecteur de BD, depuis 8-9 ans, maintenant. Je lis des mangas, parce que ça me déconnecte du boulot. Mais quand je lis des BD franco-belges, j’ai mon coté professionnel qui ressort et j'analyse tout. J’aime tout de même beaucoup la reprise de Sambre par Bastide et Mézil, sous l’aile d’Yslaire. Je trouve qu’ils ont fait un travail remarquable. J’ai cru comprendre qu’Yslaire voulait faire un autre cycle après cela, mais quand je vois le boulot qu’ils font, je me dis qu’il a intérêt à s’accrocher parce que ça a vraiment de la gueule !
Et la dernière question : si tu avais le pouvoir cosmique de pénétrer dans la peau d’un autre auteur de BD, pour les voir les choses sous son prisme, lequel serait-il ?
FP : Franquin ! Il y a tant de choses que j'aurais aimé apprendre sur sa façon de travailler, d'esquisser, d'encrer... Il est incontournable pour moi !
Merci Fréderic !