interview Comics

Goran Sudzuka

Bonjour Goran Sudzuka, peux-tu te présenter ?
Goran Sudzuka : Bonjour, je m'appelle Goran Sudzuka. Je suis un dessinateur de comics originaire de Zagreb, en Croatie. Cela fait maintenant 25 ans que je travaille dans l'industrie des comics. Durant quinze de ces années, j'ai travaillé pour des éditeurs américains. Comme la plupart des dessinateurs de comics, je pense, j'ai commencé jeune, parce que je lisais des comics, que j'adorais dessiné et que je souhaitais en faire ma profession. Au début, je dessinais tout ce que l'on pouvait me promettre de publier et, après 10 années de galère passées en Croatie ainsi qu'à travailler pour des éditeurs allemands, en 1999, j'ai réussi à décrocher un job pour DC / Vertigo. A l'époque, d'autres dessinateurs croates, comme Edvin Biuković qui était un de mes bons amis, travaillaient pour Vertigo. J'ai confié mon portfolio à Axel Alonso, qui était éditeur pour Vertigo et, après quelques temps, quelques portfolios et une année d'attente et d'espoirs, ils m'ont appelé et m'ont proposé de travailler sur Outlaw Nation, un nouveau titre mensuel chez Vertigo, écrit par Jamie Delano. C'est comme ça que j'ai percé et j'ai depuis travaillé avec des éditeurs américains. Vertigo, à mes débuts mais aussi, plus récemment pour Marvel, Image et DC Comics.

Quelles sont tes influences ?
Goran Sudzuka : Mes influences couvrent un grand spectre de comics ! Parmi les auteurs... A l'époque où je vivais en Yougoslavie, là où j'ai grandi, on avait une très grande distribution de comics: beaucoup de revues qui publiaient quasiment tout. Il n'y avait pas de mangas, mais il avait des comics de super-héros américains, des strips classiques issus des journaux américains, de la BD franco-belge, des comics italiens, espagnols et aussi des comics yougoslaves - il y en avait beaucoup à l'époque. J'ai donc eu de nombreuses influences, très variées. De Hermann Huppen à Jean Giraud, John Buscema, Romita,... En France, Franz a eu une très grande influence sur moi. C'est sûrement difficile à percevoir dans ce que je fais maintenant, car c'est mélangé à tant d'autres choses, mais j'ai aussi été très influencé par d'autres dessinateurs yougoslaves, des auteurs serbes comme Igor Kordey, R. M. Guéra... Il y en a beaucoup d'autres et c'est vraiment un mélange de nombreux artistes de tous horizons. Une chose est sûre c'est que pour des raisons économiques, en Yougoslavie, nombre de ces comics étaient publiés en noir et blanc, pas en couleurs, ce qui était génial car j'ai pu alors découvrir tous ces merveilleux artistes en noir et blanc, ce qui s'avère être, la plupart du temps, la meilleure façon de voir son travail publié.

Tu as aussi travaillé sur une bande dessinée...
Goran Sudzuka : Après avoir travaillé un temps pour Vertigo, j'ai fait une pause et Delcourt m'a approché et m'a demandé si je voulais travailler sur un album de L'Histoire secrète. D'après eux, c'était du au fait que j'avais un background en bande-dessinées franco-belges. C'était intéressant et aussi un défi pour moi mais j'ai trouvé ça, au final, très difficile. Déjà, après deux années passées à travailler avec un éditeur américain, j'avais appris à travailler non seulement sur les dessins mais aussi sur la composition et la narration à la manière américaine. Il m'a donc fallu faire des efforts, en collaboration avec Fred Blanchard, l'éditeur chez Delcourt, qui est lui aussi dessinateur. Je faisais la mise en page, qu'il corrigeait en me disant, par exemple "prend du champ", "fais en sorte que l'on voit tout l'arrière-plan"... Mais le plus dur pour moi a été de travailler sur les références. L'histoire se déroulait au XIe ou XIIe siècle et il est vraiment difficile de trouver des références historiques pour cette époque. Je passais alors un temps fou à essayer de trouver des références historiques et c'était vraiment beaucoup de travail.

Tu as aussi dessiné plusieurs épisodes d'Y, le dernier homme...
Goran Sudzuka : J'avais auparavant travaillé pour Vertigo et Pia Guerra, la dessinatrice, avait besoin de faire une pause et donc de trouver un remplaçant. Il se trouve que j'avais déjà travaillé avec son éditeur alors ils m'ont appelé et m'ont demandé si j'étais intéressé. J'étais déjà un fan de la série, que je lisais régulièrement, alors bien sûr, j'ai répondu oui. Au même moment, je travaillais sur L'Histoire secrète, pour Delcourt, et j'aurais du en fait refuser en disant que j'étais sur un autre projet mais je ne voulais pas laisser passer l'occasion. J'ai donc illustré mes quatre premiers épisodes de Y, le dernier homme alors que je travaillais encore sur L'Histoire secrète, ce qui a rendu le tout encore plus difficile; mais j'ai réussi à faire les deux et, dès lors que j'ai fini de travailler sur Y, le dernier homme, j'ai fini L'Histoire secrète et je me suis retrouvé complètement libre. J'ai alors dit aux éditeurs de me rappeler si jamais Pia avait besoin de refaire une pause, un jour, que je serai dispo. Par la suite, j'ai décliné certains projets pour pouvoir travailler sur Y, le dernier homme dès que Pia avait besoin de souffler. Et il s'est avéré que Pia a eu souvent besoin de souffler.

Sur Y, le dernier homme, as-tu adapté ton style à celui de Pia Guerra ?
Goran Sudzuka : Non, non. Si on regarde ce que je faisais avant, ce n'était pas très différent. Je pense que c'était un choix judicieux de la part de l'éditeur. Je veux dire, Simon Bisley est un grand dessinateur mais tu n'engages pas Bisley pour Y, le dernier homme, tout comme tu ne veux pas que je prenne la suite de Esad Ribic, ce serait trop différent. Avec Pia, nos styles se ressemblent assez, à la base. C'est pareil avec Wonder Woman, sur lequel je travaille en ce moment. Moi et Cliff Chiang ne sommes pas si différents, donc je n'ai pas vraiment à adapter mon style, ça s'insère sans peine dans un titre comme celui-ci.

Fais-tu évoluer ton style selon le récit sur lequel tu travailles ?
Goran Sudzuka : Ce n'est pas difficile pour moi. Je ne change pas tellement mon style que ça. Mes crayonnés sont en général les mêmes, ça tient plus à l’approche de l'encrage. Si c'est pour de l'horreur, je vais accentuer les noirs ou utiliser du brossage à sec, ce genre de choses. Mais ce n'est pas quelque chose de facile à planifier à l'avance. Pour moi, ce n'est pas une réelle adaptation de style, juste un changement dans la manière d'encrer.

Dernièrement, nous t'avons vu sur Ghosted...
Goran Sudzuka : C'était il y a deux ans, au Comic-Con de New-York. Joshua Williamson, l'auteur, est venu me voir et ... En fait, Skybound m'avait déjà appelé pour un autre projet, mais nos agendas ne collaient pas. Ils avaient besoin de quelqu'un pouvant commencer de suite alors que je travaillais sur autre chose. C'est après ça qu'ils sont revenus, par l'intermédiaire de Joshua Williamson, qui voulait travailler avec moi. Le projet était alors en développement, ce qui nous laissait beaucoup de temps. On est tombé d'accord pour faire les cinq premiers numéros. C'était appréciable d'avoir tout ce temps devant nous, pas comme avec un titre mensuel où j'aurais eu à être à la merci de de deadlines. J'ai pu prendre le temps d'y travailler paisiblement et de travailler plus longuement sur les premiers numéros. Ce qui se voit, je pense.

Sur Ghosted, tu n'as réalisé que le premier album. Pourquoi ?
Goran Sudzuka : Ah ! Comme je disais, j'ai pu commencer à travailler sur les cinq premiers numéros de Ghosted bien avant leur parution et, entre temps, j'avais commencé à travailler sur Wonder Woman. Donc quand la décision a été prise de poursuivre la série et de la rendre mensuelle, j'étais déjà occupé avec Wonder Woman et je ne pouvais pas reprendre Ghosted. Ils m'ont demandé si je pouvais leur recommander quelqu'un pour prendre ma suite, je leur ai dit que je ne pouvais pas leur recommander qui que ce soit de particulier car, même si j'avais de nombreux amis dessinateurs, je pensais qu'ils étaient tous déjà pris ailleurs. Ils ont fini par trouver Davide Gianfelice et je me suis dis "Oh, c'est lui que j'aurais recommandé" mais je pensais qu'il était trop occupé. Je suis content qu'il ait pris le relais parce qu'il fait un travail super, c'est un grand artiste et tout est pour le mieux pour Ghosted. Je ne suis revenu que pour le onzième numéro de Ghosted, qui est un numéro spécial traitant des tout débuts d'un des personnages principaux. Je me suis amusé à faire ça. Je reviendrai pour le dernier numéro, le vingtième. J’illustrerai un des segments de ce numéro.

Comment es-tu arrivé sur Wonder Woman ?
Goran Sudzuka : C'était une situation similaire à celle que j'ai vécue avec Y, le dernier homme. J'étais lecteur de la série et je l'adorais. Donc, quand on m'a demandé de rejoindre l'aventure, j'ai répondu oui et que je resterai aussi longtemps qu'ils auraient besoin de moi. Je me suis beaucoup amusé à travailler sur Wonder Woman mais, par je suis surtout fidèle aux différents designs que Cliff a défini pour les décors, les personnages et l'ensemble de la série. Mais c'est enthousiasmant que d'illustrer un titre pareil.

L'univers de Wonder Woman de celui que l'on connaît habituellement...
Goran Sudzuka : Je pense que c'est une bonne chose. Je n'étais pas un fan de longue date de Wonder Woman, donc je ne peux pas me placer comme tel en disant que telle chose était comme ça avant et qu'elle est comme ça aujourd'hui. Ce que je connais surtout, c'est la Wonder Woman de Brian Azzarello. Ce que j'apprécie le plus, c'est la façon dont il a pu développer l'histoire du personnage sans avoir recours à des crossovers, sans avoir Superman débarquant pour l'embrasser, tu vois ? J'aime vraiment ça.

Quel personnage rêverais-tu de mettre en scène ?
Goran Sudzuka : Batman, évidemment ! [Rires] Batman est... C'est un tel personnage à dessiner, rien que visuellement. Mais à part ça, je peux citer des personnages que j'aime ou d'autres que j'aime moins mais ce qui compte avant tout c'est l'histoire. Si j'ai l'auteur et l'histoire qui vont bien, j'illustrerai Superman. [Rires] Je n'ai rien contre lui mais je ne dirai jamais que Superman est mon personnage préféré. Mais si Brian arrivait et me disait "faisons une histoire de Superman" je dirais ok, car je sais que ce serait une bonne histoire. Donc même si on me propose d'illustrer Batman, si l'histoire est naze, je ne serais pas si heureux que ça d'illustrer Batman, même si je m'y collerais... Donc, non, je n'ai pas réellement de personnages que je préférerais illustrer, tout dépend vraiment de l'histoire.

Quels sont tes prochains projets ?
Goran Sudzuka : Je ne peux pas donner de détails, mais je viens de finir un autre récit court avec Brian Azzarello, pour Wonder Woman : Secret Origins. Je travaille encore avec Joshua Williamson, de Ghosted, sur un autre récit court mais cette fois pour Marvel un What If. Voilà ce que je peux en dire. J'ai aussi quelques autres idées, pas encore définitives - c'est encore un peu tôt - mais dans quelques semaines je serai à New-York, pour la convention, et à mon retour ce sera alors, je l'espère officialisé.

As-tu envie d'illustrer tes propres histoires ?
Goran Sudzuka : Pas vraiment. J'ai écrit quelques histoires courtes pour mon propre compte et qui ont été publiées en Croatie et j'en suis content, mais ce sont des histoires courtes. Beaucoup de gens m'ont dit les avoir appréciées et que je devrais continuer mais je n'ai pas l'assurance nécessaire. Je ne pense pas pouvoir écrire quoi que ce soit de plus long. L'autre point est que j'ai d'ores et déjà travaillé avec tellement d'auteurs talentueux que je ne pense pas que je devrais me risquer à l'écriture quand on peut travailler avec des gens comme Brian Azzarello, Brian K. Vaughan, Jamie Delano ou Darko Macan,qui est un auteur et dessinateur d'origine croate et, selon moi, un des meilleurs qui soient. A chaque fois que j'ai la possibilité de me lancer dans un projet de ce type, un peu différent, je travaille en général avec Darko car je sais qu'il s'en sortira beaucoup mieux que moi.

Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un auteur pour en comprendre son génie, son art, lui piquer des idées, bref faire ce que tu veux, ce serait chez qui ? Et pour quoi faire ?
Goran Sudzuka : Ah... Ce serait Jean Giraud - Mœbius, oui. Il est... Tout comme Alan Moore est au-dessus du lot, en tant qu'auteur. Il y a beaucoup de grands dessinateurs mais Mœbius, lui, est peut être deux fois plus haut que les autres. Il y avait quelque chose de spirituel dans ce qu'il faisait, il faut être dérangé pour pouvoir dessiner comme lui. J'aimerai avoir un peu de ça pour comprendre comment il s'y prenait.

Merci Goran !

Remerciements à Alain Delaplace pour la traduction, à Jean-Philippe Diversi, Maïlyss, Vincent Michel, Mathieu Auverdin, Pascal Serres, Franz de la librairie Evil-One Comics et à Pierre pour l'accueil et la bonne humeur.

wolverine goran sudzuka


PAR

27 septembre 2014
©Urban Comics édition 2014

En France, nombre d'entre nous ont découvert le talentueux Goran Sudzuka sur le culte Y, le dernier homme. Venant prêter main forte à Pia Guerra, la dessinatrice attitrée et co-créatrice de la série, dès lors qu'elle manquait de temps, les lecteurs ont ainsi découvert le style très soigné de l'artiste croate. Depuis, nous l'avons vu à l'œuvre sur des projets ambitieux comme la nouvelle version de Wonder Woman écrite par Brian Azzarello mais aussi sur un thriller horrifique nommé Ghosted. Assez discret, nous avons profité de sa venue dans la capitale du Massif Centrale à l'occasion d'une masterclass pour passer du temps avec lui et ainsi, le questionner sur sa carrière.

Réalisée en lien avec les albums Wonder Woman T4, Ghosted T1, Y, Le Dernier Homme T4
Lieu de l'interview : Teach, Drink & Draw à Clermont-Ferrand