Todd McFarlane a certes créé la série Spawn, mais c'est bel et bien Greg Capullo qui l'a emmené parmi les titres cultes : il en a illustré plus de 80 épisodes, sur un style étonnant à mi-chemin entre réalisme et cartoon. Un succès qui s'est fait grâce au courage et à la persévérance, car l'auteur est un pur autodidacte. Après 9 années d'absence dans le monde des comics, il est enfin de retour sur la série événement de Robert Kirkman et de son ami Todd McFarlane : Haunt. Toujours impressionnant, Greg Capullo est aujourd'hui l'objet de toutes les convoitises pour DC et Marvel, qui rêveraient de le voir sur de futurs projets. Nous avons eu le plaisir de rencontrer un auteur entier et attachant à Paris, à l'occasion de sa première excursion en dehors des États-Unis...
interview Comics
Greg Capullo
Réalisée en lien avec les albums Spawn – Archives, T9, Les chroniques de Spawn T35, Haunt T1
Bonjour Greg, peux-tu te présenter ?
Greg Capullo : Je m'appelle Greg Capullo. J'ai travaillé pendant de nombreuses années auprès de Todd McFarlane, sur la série qu'il a créé, Spawn. J'ai fait environ 80 épisodes et de nombreuses couvertures. Je me suis retiré du monde des comics pendant pas mal d'années et je suis revenu avec Haunt. C'est un titre créé par Robert Kirkman, à qui l'on doit la série Walking Dead, qui a été récemment adaptée à la télé.
Quelles sont tes influences ?
Greg Capullo : Il y a beaucoup d'auteurs que je respecte dans le monde des comics. Si je ne devais en citer qu'un seul, je te dirais John Buscema. C'est un dessinateur hors pair, capable de faire des personnages incroyablement charismatiques. Il adorait jouer avec les volumes et cela a fortement influencé mon style. L'un de ses secrets est d'avoir donné un véritable impact au physique de ses héros. Lorsqu'il faisait un guerrier très puissant, il abaissait ses épaules, renforçant l'aspect de lourdeur. Evidemment, il y a d'autres auteurs qui sont très bons, comme Frank Frazetta (RIP)… Et il y aussi Chuck Jones, un des créateurs de Bugs Bunny et de Tom & Jerry. Dans ses cartoons, il y avait véritable langage du corps, très expressif. En additionnant tout ça, je pense que tu arrives à obtenir mon style !
Est-il vrai que tu es autodidacte ?
Greg Capullo : Oui c'est vrai. Tu sais, c'est difficile de savoir si on a – ou pas – du talent, quand on fait des écoles ou qu'on va à l'Université. Peu importe le talent, tu y apprends surtout des aspects techniques. Malgré ce que cela peut t'apporter, il faut sans cesse continuer à dessiner, même chez soi. N'importe qui peut aller chez un libraire, apprendre en voyant un livre, comprendre son découpage et au final réussir à le faire lui-même. Cela a été mon cas. J'ai débuté dans l'illustration, avec mon ami Kevin, sur des titres de super héros chez Marvel. Il était bien meilleur que moi, plus talentueux, et il n'a jamais cessé de m'encourager. J'ai travaillé sans cesse pour y arriver et j'ai plus appris auprès de lui en deux semaines que certains dans des écoles d'art. Je ne nie pas que j'aurais sûrement eu besoin d'un parcours scolaire pour percer plus vite dans le métier, mais à force de courage et de travail, j'ai réussi. Dessiner encore et toujours, dans des genres différents.
En France, tu es connu pour ta participation à la série Spawn. Comment as-tu rencontré Todd McFarlane ?
Greg Capullo : Je vivais encore chez ma mère lorsqu'un jour le téléphone a sonné. J'entends un type qui me dit : « Greg ? C'est Todd McFarlane ! ». Je lui ai rétorqué que c'était mon pote Kevin qui me faisait une blague, mais après 15 minutes, j'ai fini par y croire ! Je l'ai même hurlé à ma mère. Je n'en reviens toujours pas, d'ailleurs. En fait, Image venait de commencer et Marvel venait de perdre ses artistes les plus talentueux, ceux qui faisaient marcher les comics. J'avais déjà collaboré avec Rob Liefeld et on n'avait travaillé sur Quasar et X-Force. Todd me demandait de venir chez Image et je lui disais qu'il était cinglé. Pourquoi accepter de travailler chez un éditeur qui débute et quitter Marvel ? Il me disait qu'il fallait franchir le pas et pour cela, il m'a proposé Spawn. Il a commencé à me raconter la série et après quelques minutes, j'étais convaincu. Je me suis lancé dans le titre et après plusieurs épisodes, il m'a dit de continuer, puis il m'a dit qu'il me confiait les crayons et les pinceaux. D'accord ! Je suis resté au final longtemps sur la série, j'ai commencé sur le 16e épisode avant d'arrêter au 100e. C'est une longue aventure !
Que penses-tu du travail des dessinateurs qui t'ont succédé ?
Greg Capullo : Il y a eu de bons dessinateurs après moi, mais les fans ont été très durs. Angel Medina est un artiste génial, mais son style était trop bizarre pour eux. Mon style est très cartoonesque mais il reste dans une veine réaliste. Angel montrait quelque chose de plus distordu, de plus volumineux, trop différent. Les fans, quand je suis arrivé, ont aussi eu ce type de réaction. C'est très difficile de faire sa place sur un titre déjà lancé. Quand Todd m'a choisi, beaucoup de lecteurs disaient qu'ils ne voulaient pas de Greg Capullo, qu'ils voulaient absolument Todd. Ils n'étaient pas très heureux au départ, mais ils ont fini par l'être et par aimer mon style. Dès l'épisode 200, il y a eu un nouveau dessinateur qui était vraiment très bon (Szymon Kudranski). Son style est très sombre, très réaliste. Todd m'avait proposé de revenir sur Spawn, mais mon cœur me disait que j'avais déjà donné le meilleur de moi-même sur la série. Mon style ne pouvait qu'être moins bon. Comme Todd est un ami, j'avais fini par accepter, mais il m'a alors dit avoir un nouveau projet avec Robert Kirkman. C'était Haunt ! Pendant que Ryan dessinait, je me suis remis petit à petit aux crayons et j’ai tout dessiné dès le sixième chapitre. Cela faisait presque 9 ans que je n'avais pas fait de comics. J'ai retrouvé sur Haunt l'envie que j'avais perdue sur Spawn.
Suite à Spawn, tu as lancé The Creech...
Greg Capullo : Ce qu'il faut savoir sur The Creech, c'est que j'ai trouvé le nom dans un de mes rêves. Le lendemain, ce nom bizarre me trottait dans la tête. J'ai essayé de faire une histoire même si je ne savais pas quoi raconter. J'ai réussi à faire un épisode et tout le monde m'en a réclamé un autre. J'ai développé l'histoire et j'ai même créé un second cycle. Ce qui est plutôt marrant, c'est qu'aujourd'hui, les fans m'en demandent encore, notamment lors des conventions. Le problème est que je n'ai pas le temps pour faire un troisième album. Donc the Creech est mort... ou pas ! En fait, je n'en sais rien. Si je voulais poursuivre la série, il me faudrait un scénariste pour faire quelque chose de bien. Je travaille sur tellement de choses, sur Haunt, sur World on Warcraft et sur d'autres projets secrets. Tout est une histoire de temps. Todd a bien mis du temps pour finaliser le 200e chapitre de Spawn.
Ensuite, il y a Haunt. Peux-tu nous présenter la série ?
Greg Capullo : Haunt est une série à suivre. Les premières personnes qui l'ont vu on pensé à un croisement entre Spawn et Spider-Man. C'est plus que ça : Haunt est l'histoire d'un prêtre qui a un frère. Ce dernier est tué et se révèle, en fait, être un agent secret. Il revient sous la forme d'un fantôme et il a le pouvoir de s'immiscer dans le corps de son frère. Ce que l'on voit sur la couverture n'est pas une toile d'araignée, mais de l'ectoplasme. Lorsque le frère investit le corps, il le fait par la bouche. Cela donne l'impression qu'il vomit l'ectoplasme. C'est un titre très rythmé, assez givré et les numéros qui arrivent sont encore meilleurs. L'aspect espionnage est aussi très développé et se mélange au supernaturel. En fait, lorsque le prêtre est recouvert de l'ectoplasme, on l'appelle Haunt. On pourrait penser que c'est un super héros de plus, une sorte de Superman mais ce serait faux. Robert Kirkman développe son personnage notamment sur le côté fantomatique. Son existence est loin d'être simple et c'est ce que l'on vous propose de suivre. J'aime ce titre.
Tu es reparti pour faire 80 épisodes ?
Greg Capullo : En fait, lorsque j'ai commencé Spawn, si tu m'avais dit que j'irai jusqu'au 100e chapitre, je ne t'aurais jamais cru. J'avais signé pour 12 épisodes à la base. Pour Haunt, je veux continuer à développer cet univers. Je sais que j'en ferais 12 aussi, mais si ça marche, pourquoi pas continuer ! Tant que les fans nous soutiennent…
As-tu déjà d'autres projets après Haunt ?
Greg Capullo : Je ne pense jamais à la suite. A la fin de Spawn, lorsque j'ai dit à Todd que c'était mon dernier épisode, il m'a demandé ce que je faisais ensuite. Je lui ai dit que je ne savais pas et Todd n'en revenait pas ! A l'époque, j'avais continué à travailler sur The Creech et sur des illustrations pour World on Warcraft. J'ai fait pas mal d'artworks, des couvertures de disque pour Korn et Disturbed mais aussi de DVD. Je ne sais pas ce que je ferais ensuite, je ne calcule rien. Je prends ce qui vient et ce qui est guidé à moi.
Si tu avais la possibilité de visiter le crâne d'un autre auteur pour mieux en comprendre sa démarche artistique, qui irais-tu visiter ?
Greg Capullo : Je dirais John Lennon ou Frank Frazetta. Les deux sont différents mais uniques en leurs genres. Il n'y a qu'un seul Frazetta, il a su créer quelque chose et personne n'a pu le copier. Si j'avais ce pouvoir, c'est sûr que ce serait lui !
Un message pour tes fans en France ?
Greg Capullo : C'est la première fois que je viens en France et je passe des moments géniaux. C'est un énorme plaisir et même un privilège. Je remercie tous ceux que je rencontre et qui m'apprécie. Sachez que je vous aime aussi !
Merci Greg !
Remerciements tout spéciaux à Laurent de la librairie Apo(k)lyps qui a permis cette rencontre et à Yuki et Emma pour leur organisation au poil !