Dès sa première bande dessinée, Nova, Jaouen a étonné par sa grande maîtrise des codes du 9ème art et la passion qu'il transposait dans chacune de ses planches. Ce grand fan de science-fiction a depuis exploré de nombreux univers, notamment avec Christophe Bec avec qui il a lancé dernièrement Eternum. Collaborant tous les deux depuis quelques années, ce nouveau projet montre une vraie unité entre les artistes et la volonté d'offrir un récit aussi ambitieux que passionnant. Assez discret, nous n'avions jamais eu la chance de croiser Jaouen, les technologies modernes ont corrigé cette erreur.
interview Bande dessinée
Jaouen
Est-ce que tu peux, pour commencer, nous décrire ton parcours et nous dire comment tu en es arrivé à faire de la bande dessinée ?
Jaouen : J'ai commencé à dessiner assez tardivement vers 16 ans. J'étais plutôt sportif (je le suis toujours, enfin j'essaye) et mon rêve d'ado était de courir un jour le 100 m en moins de dix secondes.Toujours est-il qu'un jour j'ai découvert le dessin avec un carton de vieilles bd cachées au grenier. J'étais plutôt social ouvert sur l'extérieur mais j'ai eu à un moment besoin de faire un travail introspectif . Du moins c'est comme ça que je l'analyse aujourd'hui mais à 16 ans on fait tout instinctivement. Je me suis mis au dessin comme je pratiquais le sport. Ça a été d'ailleurs un véritable combat le dessin réaliste est sans limite. Il a fallu comprendre beaucoup de choses en peu de temps, mais à force de travailler c'est venu. Je pense que j'ai un dessin "physique", c'est une façon de faire du sport mais immobile ! J'ai donc travaillé quelques années seul puis je suis passé à l'école Emile Cohl à Lyon. Et depuis ma sortie en 2003 j'ai travaillé dans l'illustration pour ados, la bd et depuis six ans je suis roughman en pub. C'est alimentaire mais ça permet aussi de dessiner beaucoup et de rester dans l'ère du temps. Le choix de la bande dessinée comme" média" s'est imposé, le cinéma me paraissait trop inaccessible, et j'aime travailler seul.
Quelles sont tes influences en terme de BD ?
Jaouen : Il y en a eu pas mal . Aujourd'hui je regarde peu ce qu'il se fait . Chronologiquement il y a eu : Gillon, Mœbius, Libératore, Gimenez, Frazzeta, Wrightson,Springer, Lauffray, Bec, Mignola, Otomo, Travis Charest, Adam Hugues... Plus récemment j'ai bien accroché sur le dessin d'Arnaud Boudoiron injustement méconnu mais qui est un tueur !
Tu as participé un temps au forum CaFé SaLé. Qu'est-ce que cela t'a apporté ?
Jaouen : C'était une bonne époque le forum était jeune et dynamique. Il y a avait beaucoup d'énergie et de talents. C'était motivant d'échanger et très constructif. Il y a dix ans on flippait avant de poster un dessin. Maintenant tout le monde poste ses gribouillis...
Tu as travaillé dès ta première série, Nova, sur un univers très riche mélangeant le space opera et la tragédie grecque. Comment as-tu créé ce décorum et de quoi t'es-tu inspiré ?
Jaouen : En fait l'idée originale d'anachronisme est arrivée sans que l'on le prémédite. Julien Blondel s'est inspiré d'Antigone . Au moment des recherches graphiques, le virage vers un monde antique s'est trouvé être un choix judicieux. A l'époque il y avait le Fléau des Dieux, que j'ai découvert après avoir commencé Nova. J'ai cru comprendre que ça avait agacé Valérie Mangin de voir fleurir chez Soleil un projet dans une veine un peu similaire. Avec le recul je peux comprendre , même si je reste de bonne foi.
Nova s'est terminé au bout de 2 tomes. Avais-tu prévu à l'origine de travailler plus longtemps sur la série ?
Jaouen : Tu veux dire ne s'est jamais terminé en fait ... !? C'était prévu en quatre tomes. Mais la réputation de Soleil n'est plus à faire... C'est vieux , je suis passé à autre chose mais il m'a fallu vraiment un moment pour le digérer. Sans remuer la m....., à l'époque ça a presque tourné au chantage. Ça m'a permis de prendre du recul, ça reste un métier aussi passionnant qu'il soit. L'édition c'est la jungle comme partout, marche ou crève.
En marge de Nova, tu as aussi illustré un des épisodes de Hanté, un one-shot chapeauté par Christophe Bec. Les atmosphères horrifiques étaient des ambiances auxquels tu voulais te confronter ?
Jaouen : A l'époque Jean Wacquet m'avait proposé de faire quelques pages. J'étais plein de bonnes intentions, jeune et motivé. De plus, il devait y avoir du beau monde Springer, Charest, De la fuente ... Et Christophe au scénario, ça faisait pas mal d'auteurs marquant pour moi ! Au final ça n'a pas trop marché il me semble, encore moins que Nova . Comme quoi il n'y a pas de recette miracle dans l'édition. Je suis beaucoup moins branché films de genre que Christophe. Mais comme tout ado des années 90 j'ai pas mal bouffé de téléfilms M6, notamment les Contes de la crypte !!
Hanté a été indirectement ton premier contact avec Christophe Bec. Un auteur avec qui tu collabores depuis. Comment se déroule votre collaboration ?
Jaouen : C'est très simple Christophe travaille en amont sur le scénario. Il me fournit tout l'album découpé scène par scène. Je travaille ensuite à mon rythme. Je suis très libre au niveau du dessin. Je lui envoie un story-board et on se cale là dessus pour discuter de tels ou tels détails narratifs. Le reste c'est du travail de "facture"...
Est-ce que le fait que Christophe soit aussi dessinateur influe d'une quelconque façon ta démarche artistique ?
Jaouen : Ma démarche non je ne crois pas. Un petit peu au niveau de la mise en scène, puisqu'il réalise un découpage très visuel. Par moment je colle à sa vision narrative et d'autres fois je le prends à contre-pied. Ça dépend comment je le sens.
Votre premier titre ensemble a été Carthago Adventures. Cette fois-ci, tu dessines un récit teinté de fantastique avec le bigfoot en toile de fond. Ce changement de style est une chose que tu recherches en permanence ? Si oui, pourquoi ?
Jaouen : Je suis un grand fan de Jaws , Abyss ... Quand Carthago est paru en 2007 je crois, ça a été une super découverte. Les fonds marins, la perspective, les reflets... Quand Christophe m'a proposé de travailler sur Carthago adventures j'étais hyper excité à l'idée de m'y frotter ! Et puis j'ai reçu le scénario et là pas de requin , même pas d'eau, juste la forêt et un grand singe !!! Raahhaha !! Ça a été une surprise en fait, mais comme je m'étais plus ou moins engagé je ne me sentais pas de faire la moue... Et puis la Californie du Nord en 1985 ranimait des visions de films, et ça a été une belle aventure. En tout cas je ne cherche pas le changement à tout pris. Je suis vraiment très SF, depuis toujours.
Pourquoi n'as-tu illustré que le premier opus et pas les suivants ?
Jaouen : Parce je voulais revenir à la SF.
Votre dernier projet se nomme Eternum. Peux-tu le présenter aux lecteurs ?
Jaouen : Ouch, la question piège demander à un dessinateur de présenter sa bd... Christophe, au secours, viens m'aider ! Je me mouille, c'est une sorte de Thriller spatial. Le projet est parti d'une inspiration commune autour des films 80's. Mais mon objectif est de rafraîchir cet univers. Une vision aussi froide de l'espace alliée à la chaleur du charme féminin. C'est sûrement orgueilleux mais j'aimerai arriver à faire une trilogie à mi chemin entre la bd et le cinéma. Une bd ultra immersive.
Ton dessin n'a eu de cesse d'évoluer et de progresser en terme de réalisme et de précision. Est-ce une démarche consciente ?
Jaouen : Oui ça rejoint ce que je disais, l'idée c'est de dessiner un "film". Sans faire du roman photo, et en conservant ce qui fait le propre de la bd. Unr narration fluide et un "jeu" sur la page. Mais d'aller le plus loin possible en terme de profondeur d'image, que le lecteur se sente happé.
Quel genre de récits te sentirais-tu incapable de dessiner ?
Jaouen : Humm ... Peut-être historique médiéval, encore que... Ça doit être passionnant de se plonger dans un monde, une époque... Mais j'aime créer des formes, des designs, concevoir des mondes c'est ça qui m'excite. L'ailleurs, le lointain, l'espoir d'un monde meilleur... Le passé, c'est le passé...
Parmi tous les albums sur lesquels tu as travaillé, lequel t'a donné le plus de plaisir et à contrario quel est celui qui t'a posé le plus de difficultés ?
Jaouen : J'ai à chaque fois du plaisir . Mais je pense que le plus de "plaisir" ça reste Nova 1. Je découvrais, et j'étais sans limite, pas d'enfants, pas d'impératifs, je travaillais tout le temps. Au bouclage, j'ai travaillé pendant un mois en juin 2007. J'ai fait 460 heures en un mois ! Je ne pourrais plus faire ça maintenant, ni l'envie, ni les capacités. Je ne dormais plus, je vivais dedans. Et puis j'ai posé mon crayon à la page 46, j'étais blanc comme un linge, vidé. Et je me suis dit ; "humm ok , c'est super mais bon in ne faut plus faire ça ou tu vas partir pour de bon..."
Quels sont tes prochains projets ?
Jaouen : Bah là déjà c'est profité de l'été , se ressourcer pour avoir envie de se remettre au bureau. Ça demande énormément d'énergie un album et il faut couper sinon on fait du mauvais boulot. Après Eternum, j'aimerai mener un projet perso de longue date à son terme. Une sorte de récit d'adolescent dans un monde post apocalyptique. Mais bon de toute façon j'ai encore 2 tomes, j'ai le temps de voir venir. Et puis je n'exclue pas un jour d'arrêter la bd. J'y pense souvent, c'est à la fois un plaisir infini et une frustration aussi grande. Je vis dans des mondes incroyables, cérébralement , mais physiquement je disparais. J'ai peur d'être un jour seul au monde.
Si tu avais le pouvoir métaphysique de visiter le crâne d'un autre auteur pour comprendre son génie, lui piquer des techniques ou pour faire ce que tu veux... Chez qui irais-tu et pourquoi faire ?
Jaouen : Chez personne. Je ne suis pas très fan des "Castanédiens". J'ai déjà pas mal à visiter dans ma propre tête. D'ailleurs il n'y a aucun génie , c'est juste de l'observation et du travail. Pour "prendre" quelque chose à un autre ( ce qui au passage est dégueulasse mais je l'ai surement fait comme tous ...) il suffit de regarder. Dans la tête il y a les connections, mais le résultat il est sur le papier . Il n'y a rien de plus simple que "d'éponger"comme le disait si bien Mœbius . " Je suis une éponge, tout ce qui me plait chez les autres je le prends."
Merci Jaouen !