interview Comics

Jose Villarrubia

©Delirium édition 2014

Peintre, dessinateur, ou encore photographe sont quelques unes des cordes à l'arc de Jose Villarrubia. Pourtant, cet artiste venu d'Espagne s'est fait connaître dans le 9ème art par ses performances en tant que coloriste. Capable de mettre des teintes sur les planches d'artistes aux styles atypiques et que beaucoup de ses confrères jugent comme impossibles à mettre en couleurs, tel que Jae Lee ou JH Williams III, il s'est très vite fait une place dans le cœur des fans. L'artiste est aussi l'un des rares à avoir imaginé un visuel à des œuvres d'Alan Moore qui n'étaient pas pensées de cette manière, ainsi Le miroir de l'amour était un poème et La voix du feu un roman. Toujours à la recherche de couleurs inédites et de défis perpétuels, Jose Villarrubia a eu le bonheur de collaborer pendant plusieurs années avec le légendaire Richard Corben. Alors que ses activités sont nombreuses, il a tout de même pris le temps de participer à l'élaboration des Eerie & Creepy présentent Richard Corben, où il a rescanné de nombreux originaux et corrigé les différents défauts d'impression liés à l'époque, les années 70, où les récits furent publiés. Afin de comprendre ce qui anime le quotidien de cet artiste touche-à-tout et inspiré, ce dernier a accepté de répondre à nos multiples questions de façon simple et sincère.

Réalisée en lien avec les albums Eerie & Creepy présentent Richard Corben T2, Eerie & Creepy présentent Richard Corben T1
Lieu de l'interview : Le cyber espace

interview menée
par
11 mai 2014

Bonjour Jose Villarrubia, peux-tu te présenter ?
Jose Villarrubia : Mon nom est Jose Villarrubia. Je suis né à Madrid mais depuis 1980, je vis à Baltimore. J'ai débuté dans les comics il y a de cela 20 ans, pour aider mon ami Jae Lee qui sortait son propre titre et qui m'a demandé de l'aider à le coloriser. Depuis, j'ai travaillé pour tous les grands éditeurs américains de comics.

Quelles sont tes influences ?
Jose Villarrubia : J'étais peintre et photographe avant de devenir coloriste. La liste des différents artistes qui m'ont inspiré dans mon art en général serait bien trop longue à résumer ici. En terme de colorisation, mes plus grosses influences sont Richard Corben, Mœbius, Victor de la Fuente, ainsi que Dino et Laura Battaglia. J'ai grandi en lisant leurs comics et en étant impressionné par leur travail sur les couleurs, chacun dans un style propre.

jose villarrubia art paint


Comme tu le disais, tu n'es pas seulement coloriste mais aussi peintre et photographe. Comment définirais-tu ton art ?
Jose Villarrubia : Mes peintures et mes photographies sont avant tout centrées sur l' humain : des portraits, des nus, etc. J'ai réalisé beaucoup de travaux influencés par les Symbolistes, qui sont mon mouvement artistique favori. Je continue à dessiner et à peindre mais majoritairement pour moi-même. En terme de colorisation, mon travail est difficile à décrire. J'essaie d'utiliser de nouvelles combinaisons de couleurs avec chaque artiste avec qui je collabore. Je ne sais comment les coloristes qui conservent toujours les mêmes palettes de couleurs.


As-tu l'intention de te lancer dans un nouveau défi artistique à l'avenir ?
Jose Villarrubia : Bien sûr. Depuis des années, je tente de nouvelles approches artistiques. La plus grande a été sans conteste l'adaptation au théâtre du Miroir de l'amour d'Alan Moore que nous avons réalisé avec mon ami David Drake et dans laquelle j'ai créé et joué également. C'était une expérience effrayante, extrêmement difficile mais si glorifiante. J'aimerais faire plus de choses du même genre et progresser encore. J'aimerais aussi m'essayer à la scénographie et à la direction artistique. Je suis d'ailleurs en train de travailler dans le jeu vidéo actuellement. J'ai fait aussi beaucoup d'art concepts pour le cinéma, mais je pense que pour percer dans tous ces domaines il faille régulièrement travailler pour progresser.

jose villarrubia jae lee


Préfères-tu travailler en digital ou dans un format papier plus classique ?
Jose Villarrubia : Sur les comics mensuels, tu n'as pas le choix et dois travailler en numérique. Les deadlines sont très courtes et tu as besoin d'un maximum de flexibilité pour effectuer les corrections rapidement. A titre personnel, je crayonne, dessine et peint en couleurs directes... c'est pour moi plus sensuel.

Durant ta carrière, tu as collaboré avec des artistes incroyables. Lequel t'a le plus marqué ?
Jose Villarrubia : Mon préféré est Richard Corben. J'ai travaillé avec lui il y a 20 ans de cela et on continue de façon sporadique à faire quelques petites choses ensemble. J'ai colorisé trois de ses romans graphiques (Cage, Starr the Slayer, Conan le barbare) et plusieurs récits courts ou même des couvertures. Sur le dernier, Starr the slayer, il a réalisé la technique avec des nuances de gris comme sur tous les classiques des années 70.

jose villarrubia richard corben


A l'instar d'un Dave Stewart, tu es l'un des rares coloristes à mettre en couleurs des artistes au style atypique et puissant comme JH Williams III, Richard Corben ou Jae Lee. Est-ce que tu as modifié ta façon de travailler selon celui avec qui collaborait ?
Jose Villarrubia : Oui, les trois artistes que tu mentionnes sont très spéciaux et il faut être très proche d'eux pour mettre leurs planches en couleurs. Corben m'avait envoyé un exemple des teintes qu'il souhaitait avoir sur une de ses planches de Cage. JH Williams III m'avait donné de nombreux détails sur les teintes de chaque case. Jae m'a dit ce qu'il aimait et ce qu'il détestait comme couleurs (il déteste le violet). Chaque artiste m'a demandé des choses très différentes et c'est un challenge de le faire et un plaisir au final.

Tu échanges très souvent avec les artistes ?
Jose Villarrubia : Oui, bien sûr. Je suis ami avec beaucoup d'entre eux, spécialement avec des collaborateurs réguliers comme Jae Lee, Jeff Lemire, Tomas Giorello, Paul Pope... Ceux que je n'ai jamais rencontré me donnent tout de même plein d'indications sur ce qu'ils veulent. Ou sur leurs retours.

portait alan moore jose villarrubiaTu as aussi illustré deux livres d'Alan Moore, La voix du feu et le miroir de l'amour. Comment as-tu débarqué sur ces projets ?
Jose Villarrubia : J'avais lu La voix du feu et senti que l'illustrer serait une super idée s'il sortait dans une nouvelle version. J'ai approché les éditeurs qui m'ont fait attendre une année avant de me répondre. Puis j'ai approché Chris Staros qui a pensé que ce serait une bonne chose et qui a permis de lancer le projet. J'avais aussi lu Le miroir de l'amour et en lisant le texte de nombreuses images me venaient à l'esprit. Un ami français, François Peneaud, m'a proposé d'en faire un comic lorsque l'on était à Angoulême. D'emblée j'ai pensé que ce ne serait pas possible d'en faire un comic mais en y réfléchissant nous avons pensé à un livre illustré.

As-tu échangé avec Alan Moore pour tes deux travaux ?
Jose Villarrubia : Oh oui, Chris et moi nous sommes rendus à Northampton pour voir Alan et lui montrer où nous en étions sur Le miroir de l'amour. Il était très heureux et a même un peu modifié son texte pour notre version. Sur La voix du feu, Alan m'a annoté les emplacements dans chaque chapitre où il voulait que je place les illustrations. J'étais venu en taxi avec Melinda (NDR : Gebbie), son épouse et avons pris des photos de n'importe quoi durant tout le trajet.

Le miroir de l'amour est un texte mais aussi un livre fabuleux. Penses-tu que le thème, l'homosexualité, est plus accepté aujourd'hui ?
Jose Villarrubia : Seulement dans l'Ouest du monde. En Europe, en Amérique du Nord ou du sud, et en Nouvelle Zélande ont énormément évolué là-dessus et font désormais preuve de tolérance. En Asie et en Afrique (à l'exception de l'Afrique du Sud) c'est l'inverse et même pire qu'avant envers la communauté LGBT (NDR : lesbian gay bisexual trans). L'Espagne, mon pays de naissance, est l'un des plus progressifs aujourd'hui dans le monde et cela me ravit particulièrement. Aux USA, cela change chaque semaine, après que la Cour Suprême a légalisé un mariage entre deux personnes du même sexe au niveau fédéral. Les Lois régionales doivent maintenant faire avec ce texte.

creepy corben Récemment, nous t'avons vu à l'œuvre sur Eerie & Creepy présentent Richard Corben. Qu'as-tu effectué dessus ?
Jose Villarrubia : J'ai regroupé le maximum de sources possibles : en scannant les pages originales lorsque celles-ci étaient disponibles, en cherchant les différentes éditions dans le monde entier, les versions couleurs ou noir et blanc, afin d'obtenir le meilleur résultat possible. J'ai occasionnellement retouché et manipulé chacune des pages afin de valider l'aspect original. J'ai développé et inventé de nombreuses techniques lorsque j'ai travaillé sur ce projet. Corben a conservé de nombreux originaux de ses histoires et il les a scanné pour lui-même. D'autres sont dans des collections privées et il est parfois plus facile d'en approcher que d'autres. Un grand nombre est en possession, je crois, de Kevin Eastman (NDR : le créateur des Tortues Ninjas), et nous n'y avons pas eu accès, mais il y a énormément d'autres originaux dans d'autres collections.

Le style de Richard Corben est décrit comme si original qu'il en est indescriptible. En le côtoyant, en le colorisant ou en retravaillant ses originaux, es-tu parvenu à percer son secret ?
Jose Villarrubia : Encore aujourd'hui, son secret est simplement que c'est un génie, et je l'ai découvert il y a des années ! Il n'a aucun secret dans sa technique de colorisation. Il a expliqué son processus plusieurs fois. Cela est confus et étonnant mais parfaitement compréhensible pour un professionnel habitué à imprimer et à coloriser des planches. Mais laisse moi te dire que la façon dont il dit le faire, n'est pas exactement la façon dont il le fait. Certains, comme son ami Herb Arnold, utilisent la même technique, mais avec des résultats très différents.

jose villarrubia corben starr


Quels sont tes prochains projets ?
Jose Villarrubia : J'en prépare plusieurs auprès de Dark Horse, Vertigo, Marvel, Legendary mais aussi pour d'autres éditeurs. Mais aucun n'a été annoncé, je ne préfère donc pas t'en parler. Cependant, sache que je serais bien occupé pour le reste de l'année. Sur le marché français, conserve un œil sur Eerie & Creepy présentent Bernie Wrightsonoù tu trouveras une nouvelle introduction écrite par mes soins.

Connais-tu des artistes français ?
Jose Villarrubia : Bien sûr. Et je te dirais que j'ai grandi avec Mœbius mais aussi Druillet, Gotlib, Forest, Brétécher, Uderzo, Jacques Martin puis d'autres plus tard comme Blain, Blutch, David B., de Crécy, Dupuy et Berberian, Guibert, Rabaté, Sfar, Vives, Delaby et mes amis Ludovic Debeurme, Fanny Michaels, Stéphanie Hans, Antoine Dodé, Alain Corbel, Gérald Parel et Olivier Coipel. Chacun est incroyable dans son propre style. Ce serait trop long de rentrer dans les détails. Peut être dans une prochaine interview...

jose villarrubia bernie wrightson


Si tu pouvais écrire un récit de super héros, quel personnage t'intéressais ?
Jose Villarrubia : Plusieurs, j'ai une idée pour les Fantastic Four. une histoire sur Captain America qui se déroulerait durant la seconde guerre mondiale et une nouvelle version des origines de Namor. mais je sais que je ne suis pas le mieux placé pour leur proposer quoi que ce soit, surtout depuis que des films ont été réalisés avec des millions investis dans le développement et l'exploitation commerciale.

As-tu un comic book favori ?
Jose Villarrubia : J'en ai énormément. Mais en ce moment, je te citerais la version reliée de The love bunglers de Jaime Hernandez qui figure parmi les meilleurs choses que j'ai lu depuis des années... je lis énormément de comics donc j'ai énormément de titres favoris !

Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un autre auteur pour en comprendre le génie ou son art, qui choisirais-tu et pourquoi ?
Jose Villarrubia : Et bien, clairement Richard Corben, avec qui je travaille depuis des années et que j'espère rencontrer un jour en personne. Je me rappelle encore du premier comic que j'ai illustré de lui Veils et j'en garde toujours une énorme estime.

Muchas gracias Jose !

jose villarrubia miroir de l'amour