En France, nous sommes nombreux à avoir découvert le nom de Marc Andreyko lors de la parution de Torso, un chef d'œuvre de la bande dessinée américaine qu'il avait réalisé avec un certain Brian Michael Bendis. Si les deux auteurs ont eu un parcours assez similaire au départ, Andreyko a préféré se rapprocher de DC Comics et de Vertigo où, des années durant, il participe à diverses séries. Véritable caméléon narratif, il s'adapte au genre sans aucune difficultés, passant du fantastique à l'horreur, en passant par des registres mainstream. C'est avec un ton des plus décontracté que Marc Andreyko a répondu à nos questions...
interview Comics
Marc Andreyko
Réalisée en lien avec les albums Fairest T4, Batwoman T4, Avengers Extra T5, Torso
Bonjour, Marc. Pourrais-tu, s'il te plaît, te présenter et nous dire comment tu as commencé à travailler dans l'univers des comics ?
Marc Andreyko : J'ai commencé à lire des comics à l'âge de 4 ans et, à partir de là, je suis devenu accroc pour la vie ! C'est en 1993 que j'ai suggéré à un de mes amis — le très acclamé P. Craig Russel — de pitcher à Marvel une sorte de « Director's Cut » de l'annual du Dr. Strange qu'il leur avait livré dans les années 70. Ce que je n'avais pas vu venir, c'est qu'il leur a dit que c'est moi qui en serait l'auteur ! Et ils ont accepté ! Après, tout s'est enchaîné et ça appartient à la légende.
Quelles ont été tes influences ?
Marc Andreyko : Je dirais Alan Moore, Scott McCloud, Bill Mantlo, Marv Wolfman, Will Eisner, Frank Miller, Simonson, Len Wein... C'est une liste interminable.
La première de tes œuvres que j'ai eu l'occasion de lire a été Torso. Comment t'es venu l'histoire ?
Marc Andreyko : Un jour, je suis tombé sur une vieille affiche électorale représentant Elliot Ness et qui remontait à l'époque où il avait tenté sa chance, en vain, pour devenir maire de Cleveland. J'ai fait des recherches sur le personnage et c'est comme ça que j'ai découvert l'affaire du torse. J'ai pitché l'histoire à Brian [NDT: Michael Bendis] pendant le repas du Pessa'h [NDT: fête d'origine juive] et on s'est lancés !
Torso a été le fruit de ton travail et de celui de Brian Michael Bendis. Comment avez-vous trouvé le bon équilibre pour que chacun parvienne à s'exprimer dans le comics ?
Marc Andreyko : Simplement. On a tout écrit de concert : l'intrigue, les scènes... On a beaucoup échangé, aussi.
À un moment, Torso devait être adapté en film par la Paramount. Qu'en est-il aujourd'hui ?
Marc Andreyko : Ce n'est plus le cas. Les droits nous sont revenus et sont donc disponibles pour ceux qui seraient intéressés.
Pourquoi n'avez-vous pas re-travaillé ensemble, depuis, Brian et toi ?
Marc Andreyko : Disons qu'il était trop occupé entre le fait de diriger Marvel Comics à lui tout seul et aussi par le fait qu'il a quatre enfants ! [rires]
Comme Brian, tu es ensuite allé travailler pour Image Comics sur les personnages de Sam et Twitch dans la série Case Files. Tu as d'ailleurs écrit 19 numéros de Case Files. Est-ce facile de reprendre les personnages d'autres auteurs et de se les approprier ?
Marc Andreyko : En réalité, j'en ai écrit 24 numéros. Et le fait que les personnages aient, au préalable, été parfaitement définis et installés dans leur univers n'a fait que rendre les choses plus simples. Tout ça était parfaitement dans mes cordes.
Case Files est une super série. Pourquoi s'est elle arrêté ? Y a-t-il eu certaines choses que tu n'as pas eu le temps d'y raconter ?
Marc Andreyko : On s'est arrêtés pour la bonne et simple raison que les chiffres des ventes n'étaient pas bons, c'est tout. Mais oui, j'avais encore beaucoup d'histoires à y raconter. J'ai pu retravailler certaines d'entre elles afin de les replacer dans d'autres titres mais d'autres restent encore à raconter.
Dans Case Files, les principaux protagonistes sont Sam et Twitch, deux personnages issus de la série Spawn, une série elle-même d'inspiration fantastique. Est-ce que cela a été un choix de ta part que de réduire le rôle joué par le personnage de Spawn afin de te concentrer sur l'aspect polar de Case Files ?
Marc Andreyko : En fait, ça venait de Todd [NDT: MacFarlane]. Il avait lui-même décidé que la série devait se dérouler dans un monde tordu et sombre mais dénué des enjeux super-naturels de Spawn. Des histoires humaines avec des enjeux à l'échelle humaine.
En 2004, tu as repris la série Manhunter pour DC Comics. Le protagoniste de cette série est une femme, Kate Spencer. Pourquoi avoir choisi de mettre en scène une femme en tant que personnage principal de cette histoire ?
Marc Andreyko : J'ai pris cette décision après l'échec d'un titre qui n'a malheureusement jamais vu le jour, T.H.U.N.D.E.R. Agents [NDT: une nouvelle mouture de la série]. Après ce revers, j'ai été contacté par Dan Didio [NDT: éditeur chez DC] qui m'a dit qu'il souhaitait développer un nouveau personnage Manhunter, une femme. Du coup, avec Jesus Saiz, on s'est contentés de suivre cette piste.
À l'heure actuelle, Manhunter est la série sur laquelle tu as écrit sur la plus longue durée. Quel regard portes-tu, aujourd'hui, sur cette série ?
Marc Andreyko : J'en suis très fier. Je suis aussi très reconnaissant de tout l'amour et de la dévotion exprimés par les fans. Ça a vraiment été un job rêvé !
Pendant peut-être 3 ou 4 ans, tu t'es retrouvé à travailler sur différents titres appartenant à l'univers de Batman. Laquelle de ces séries te rend le plus fier ?
Marc Andreyko : Je suis surtout fier de l'annual consacré à Nightwing. C'est un comics qui s'est avéré clivant et aussi très controversé mais, en même temps, c'est devenu un des titres préférés d'un très grand nombre de lecteurs. Je crois qu'on a pu montrer, au travers de cette histoire, ce qui faisait avancer Dick Grayson ainsi que ses défauts.
Avec Ed Brubaker, tu as co-écrit une très grande saga autour de Captain America et de Bucky. L'atmosphère rétro se dégageant de ce titre est incroyable. Comment s'est déroulée cette collaboration ?
Marc Andreyko : Ce fut un réel plaisir. Ed est un auteur fabuleux et j'ai la chance de pouvoir aussi le compter parmi mes très bons amis. Par conséquent, le fait d'être invité à rejoindre son équipe était à la fois très flatteur et aussi terrifiant.
Que penses-tu du run d'Ed Brubaker sur Captain America ?
Marc Andreyko : Du pur génie. C'est une œuvre qui a permis de redéfinir le personnage ainsi que son histoire sans avoir pour autant recours à de quelconques trucs ou effets de manche. Une réussite éblouissante.
Sur Batwoman, tu as pris le relais de Haden Blackman et de J.H. Williams III. En France, on a entendu dire que le run d'un de ces auteurs s'est conclut au cœur d'une polémique. Comment t'es-tu retrouvé à travailler sur cette série et comment as-tu géré les éventuelles conséquences de cette polémique ?
Marc Andreyko : Quand j'ai appris que J.H. et Haden quittaient la série, j'ai été tenté de me lancer sur ce titre. En parallèle de Greg Rucka, ils avaient réussi à créer un univers très riche et je ne pouvais pas résister à l'envie d'y participer. Et puis, si quelqu'un devait fiche le personnage en l'air, j'aimais autant que ce soit moi.
Tu écris souvent des personnages féminins tels que Kate Spencer ou Kate Kane. As-tu une approche spécifique pour ces personnages ?
Marc Andreyko : Pas vraiment. Certes, leur genre est une partie intégrante de ces personnages mais ce n'est certainement pas la seule constituante ni même celle qui les définit. Je les écris d'abord comme des personnages et non comme des genres ou des symboles.
Tu as écrit plus d'une quinzaine d'épisodes de Batwoman. Certains n'ont d'ailleurs pas encore été publiés en France. À quoi peut-on s'attendre ?
Marc Andreyko : À des trucs dingues. Une nouvelle équipe de parias, à de la vengeance, de la psychothérapie, des réconciliations. De la magie, peut-être, aussi.
L'an dernier, tu as commencé à travailler sur l'adaptation du film Nightbreed. Comment t'es-tu retrouvé sur ce projet ?
Marc Andreyko : Cela faisait des années que je harcelais Ross Richie, à Boom Studios, à ce sujet. Et ça a fini par payer !
Comment as-tu écrit les différents monstres et personnages ?
Marc Andreyko : Oh, je me suis contenté de prendre la suite de Clive [NDT: Barker].
Le film Nightbreed a été écrit mais aussi réalisé par Clive Barker lui-même. A-t-il lu le comics et, si oui, quel a été son avis ?
Marc Andreyko : Il l'a lu, en effet. En réalité, Clive était impliqué dans l'ensemble de la production du comics et tu n'aurais pas pu trouver quelqu'un de plus enthousiaste que lui. C'était une expérience géniale.
Cet été, ta saga Fairest va sortir en France. C'est un spin-off de la série Fables. Es-tu fan de la série originelle ?
Marc Andreyko : J'ai été fan de Bill Willingham depuis The Elementals et Fables a été un de mes comics préféré et ce depuis le tout premier numéro. On peut donc dire que ça a été un honneur, pour moi, que de pouvoir travailler avec l'univers que Bill a créé. Et ça a aussi été très amusant.
Comment t'es venu l'idée de l'histoire de Cendrillon avec les rats ?
Marc Andreyko : Ça m'est venu alors que j'étais complètement saoul, à une fête donnée la convention de San Diego. Juré, c'est vrai !
Quels sont tes autres projets ?
Marc Andreyko : Oh, Wonder Woman '77 pour DC Comics, Mulan : Revelations pour Dark Horse et d'autres projets encore dont je ne peux malheureusement pas encore parler !
Trouves-tu le temps de lire des comics et, si oui, peux-tu nous en recommander quelques-uns ?
Marc Andreyko : En ce moment, j'adore Rachel Rising mais aussi Birthright, Daredevil, Fade Out et Gotham Academy. Je suis sûr que j'en oublie, hélas.
Si je te donnais le pouvoir d’être dans la tête d’un auteur, scénariste ou dessinateur, qui choisirais-tu et pour y trouver quoi ?
Marc Andreyko : Je dirais Alan Moore ou bien encore Grant Morrison. Dans les deux cas, la raison d'y entrer serait la même : leurs visions sont tellement éloignées de la mienne qu'il s'agirait pour moi de pouvoir tenter de saisir leur « conscience cosmique ». J'adore leur travail mais je ne pourrais jamais écrire comme ils le font.
Merci Marc !
Remerciements à Alain Delaplace pour la traduction magique !.