Au terme de deux trilogies (Kerioth chez Vent d’Ouest et l’excellent Chéri-Bibi chez Delcourt), Marc-Antoine Boidin nous sert une confiserie glacée en one-shot : Endurance (Delcourt, collection Mirage). Inséparable de son compère scénariste Pascal Bertho, le dessinateur met en images le périple authentique de l’expédition Shackleton en Antarctique, il y a près d’un siècle. Une épopée intense et passionnante, qui a donné l’occasion à l’auteur de répondre à nos questions.
interview Bande dessinée
Marc-Antoine Boidin
Bonjour Marc Antoine, pour faire connaissance, peux-tu te présenter rapidement ?
Marc-Antoine Boidin : Bonjour la planète BD ! Je suis Marc-Antoine Boidin, le dessinateur d’une série en trois tomes chez Delcourt qui s’appelle Chéri-Bibi, mais aussi auparavant d’une autre, Kerioth, publiée chez Vents d’Ouest. Je suis arrivé dans la bande dessinée en commençant par un bac F12, d’arts appliqués. Puis j’ai tenté un BTS publicité qui ne m’a pas plu, puis les beaux arts, en art, ça ne m’a pas plu non plus… J’ai intégré ensuite les Beaux-arts d’Angoulême, option atelier bande dessinée. Fort de mon diplôme de BD obtenu, j’ai fait comme tout le monde : j’ai présenté moult projets dans des maisons d’édition et il y en a un qui a fini par passer.
C’était Kerioth ?
MAB : Oui, voilà, Kérioth chez Vents d’Ouest. C’était déjà avec Pascal Bertho, toujours mon complice scénariste sur Chéri-Bibi. on s’est connu par l’intermédiaire de l’école : c’était un copain d’un copain de promo. Il m’a envoyé des scénarios, on s’est vus de plus en plus souvent… C’est donc au départ une relation très professionnelle qui s’est transformée peu à peu en amitié.
Quand tu es passé de Kerioth à Chéri-bibi, ta patte a incroyablement gagné en maturité, non ?
MAB : C’est surtout la technique qui a changé. J’avais une base assez classique au départ. A l’école de BD, je faisais naturellement du « gros nez ». Puis, naturellement, j’ai évolué vers un style plus réaliste… Peut-être un jour, reviendrai-je à un style plus caricatural… Je me laisse aller à mes envies. Bref, pour Kerioth, c’était un crayonné-encrage classique et je ne m’occupais pas des couleurs (c’était Thierry Leprévost pour les deux premiers tomes, puis mon frère pour le troisième). A force de dessiner, forcément j’ai fait progresser ma technique. Pour Chéri-Bibi, j’avais envie de faire moi-même mes couleurs et de fait, la technique employée pour le crayonné est devenue différente et primordiale. Mais je n’ai pas senti de révolution personnelle ou intérieure, il y a eu une continuité dans ma manière de travailler.
Comment présente-t-on un projet comme Chéri-Bibi à un éditeur ?
MAB : Ça s’est fait à l’initiative de Pascal. Il y avait une série télé dans les années 70, dont il se souvenait beaucoup mieux que moi, étant donné qu’il est plus âgé. De mon côté, je n’ai pas revue la série, mais j’ai lu les bouquins, un roman-feuilleton réuni en 5 tomes. Il y avait de l’aventure, de l’action, un format roman populaire qui me branchait bien. Pascal s’est occupé de l’adaptation des deux premiers tomes du roman, celle qui concerne le personnage de Chéri-bibi lui-même. Après, dans les autres romans, cela concerne d’autres personnages que Gaston Leroux avait développés en réponse au succès public à l’époque de son œuvre. On a donc constitué un dossier, et on a démarché les éditeurs. On a alors signé chez Soleil et j’ai fait 10 pages, pour lesquelles je n’ai jamais été payé… il y a eu un quiproquo au niveau de délais, en fait. Je ne pouvais pas respecter ceux de mon contrat, étant donné que je travaillais dans le dessin animé à l’époque. On a donc re-démarché et Delcourt a pris le projet.
Et après Chéri-bibi ?
MAB : On a un gros projet, assez long, actuellement en friche, toujours ave Pascal. Il y a un gros travail de scénario à faire dessus… donc le temps que cela se mette en place, je vais sûrement travailler sur autre chose. Mais entre temps, je viens de finir Endurance, un one-shot de 130 pages dans la collection Mirage.
Alors, peux-tu nous présenter Endurance ?
MAB : C’est l’aventure réelle d’Ernest Shackleton, en Antarctique, qui s’est paumé au début du XIXe siècle dans les glaces et qui a réussi à s’en sortir et à sauver tout son équipage. C’est une histoire tellement forte qu’elle en parait même peu crédible ! Néanmoins, même si c’est scénarisé et un petit peu romancé, le gros de l’histoire est totalement vrai. On a même retranscrit l’anecdote réelle d’un australien qui a rêvé qu’il s’engageait aux côtés de Shackelton, qui s’est pointé en Angleterre uniquement à partir de ce rêve, et qui a été recruté dans l’équipage ! Beaucoup risquent de croire que cette séquence a été inventée pour romancer le truc, alors qu’elle est totalement vraie. Les seules choses qui sont peut-être arrangées, ne servent que la narration.
Y a-t-il un lien entre la sortie de cet album et l’année polaire internationale ?
MAB : Ça, c’est un peu un hasard. On a commencé le projet Endurance il y a deux ans, alors que la mode était plutôt aux pirates : à la base, on cherchait plutôt à livrer une histoire de pirates… quand Pascal m’a raconté cette histoire et qu’on s’y est tous deux intéressés. Mais l’année polaire a remis dans l’air du temps les aventures polaires et on voit effectivement sortir pas mal d’histoires comme celle-là : Groënland Manhattan, Minik… Et pas seulement en BD : en cherchant de la doc il y a un an de ça, je suis tombé sur un docu-fiction de la BBC avec Kenneth Branagh dans le rôle de Shackleton. Et ce documentaire a justement été diffusé en janvier 2008 sur Arte… Il y a grosses thématiques, comme ça, dans l’air du temps… C’est encore le cas avec les adaptations BD de Tom Sawyer, strictement simultanées chez Delcourt et chez Soleil. Il y a des choses, comme ça, pour lesquelles il vaut mieux ne pas trop attendre… J’avais aussi besoin de faire un album « entre deux », et les décors de glace ou la banquise, ça n’est pas ce qu’il y a de plus compliqué à produire.
Il y a le centenaire de la découverte du pôle, qui sert d’occasion ?
MAB : La découverte du pôle c’est 1911, précisément. L’expédition de Shackleton débute quant à elle en 1914. Donc on se rapproche effectivement tout doucement du centenaire…
Comment travailles-tu le dessin ?
MAB : Je fais mon story-board avec des bonhommes patates et j’attaque directement la page. Chaque dessin est réalisé sur une feuille volante, comme je l’avais fait pour Chéri-Bibi, que je scanne et monte ensuite selon mon story-board. Puis je mets les couleurs, les bulles et c’est fini. Je préfère faire travailler ainsi progressivement, parce que lorsqu’il faut caler tous les textes à la fin sur 130 pages, c’est le boulot ingrat par excellence…
Et après Endurance, sur quoi as-tu embrayé ?
MAB : Sans abandonner le projet avec Pascal, je travaille pour le moment avec Bernard Yslaire sur La Guerre des Sambre. Le titre de la série, qui devait être à la base dessiné par Griffo, sera Werner et Charlotte. Ce sera en trois tomes, chez Glénat/Futuropolis.
Si tu étais un bédien, quelles lectures conseillerais-tu aux bédiens ?
MAB : Il y a une BD qui m’a vraiment marqué, c’est Les pilules bleues. En général, c’est plutôt ce registre auquel j’accroche bien. Il y a eu aussi Pourquoi j’ai tué Pierre, avec cette coïncidence folle en fin d’album… Mais curieusement, en tant que dessinateur, je n’ai pas encore envie de dessiner ce genre de choses. Je ne suis pas encore mûr, je pense. Mais j’aime beaucoup le travail de Peeters en général. Il arrive à transmettre beaucoup de crédibilité dans ses histoires. Le marquis d’Anaon scénarisé par Fabien Vehlmann et dessiné par Mathieu Bonhomme également. Là aussi, les expressions sont justes, les ambiances, l’époque, tout parait crédible… Les auteurs qui arrivent à donner corps à leurs personnages, où les émotions passent incroyablement, m’impressionnent beaucoup. Mais je n’ai jamais été un gros lecteur de BD. Par la force des choses je m’y suis mis… Et plus j’en lis et plus ce qui m’intéresse, c’est l’histoire, les procédés de narration, la mise en scène…
Si tu avais le pouvoir de te teléporter dans la peau d’un autre auteur pour voir les choses à travers ses yeux, ce serait qui ?
MAB : Je dirais Pascal Bertho (rires !). Il le cache bien, mais c’est un dessinateur aussi ! En fait, il a les mêmes difficultés pour le dessin, que moi j’en ai pour le scénario. On est assez complémentaires. Pour ses scénarios, il a un esprit de synthèse fabuleux et il n’arrive pas à trouver le même biais en dessin. On essaie donc de s’aider l’un l’autre… Mais je ne pense pas que je choisirais un autre que lui : en général, les auteurs de BD ce sont tous des grands malades, donc vaut mieux pas ! (rires)
Merci Marc-Antoine !