Lorsque l'on est fan de comics depuis sa plus tendre enfance et que l'on essaie de percer en tant que scénariste ou dessinateur, se retrouver à collaborer avec des artistes reconnus tient du fantasme. C'est pourtant c'est ce qui arrive à Mast et Geoffo, deux artistes français qui se sont retrouvés en l'espace de quelques mois à collaborer avec Marvel. Les raisons sont multiples : ils sont brillants, beaux, parfaitement au fait du Marvelverse et surtout maîtrisent le turbomédia ! Cette nouvelle façon de raconter les histoires sur tablettes ou smartphones leur a permis d'ouvrir en grand les portes du succès. Toujours dans le jus, il a été difficile de trouver un moment pour caler cette interview tant les activités des deux artistes les occupent à temps plein...
interview Comics
Mast et Geoffo
Réalisée en lien avec les albums The Avengers (revue) – Hors série, T4, The Avengers (revue) – Hors série, T5
Pouvez-vous vous présenter et nous dire comment vous en êtes venus à faire de la bande dessinée ?
Geoffo : La bande dessinée, je baignais dedans depuis tout petit, et donc j'en ai toujours produit. D'abord sur les murs, les agendas, puis les forums, les fanzines (dont 2016, dirigé par Mast)... C'est grâce à mes études d'animation à LISAA que j'ai su que je voulais faire un métier touchant à la bande dessinée ainsi qu'à l'animation. Parallèlement à ma formation où j'animais singes, triangles et petite souris, j'ai dessiné les 3 premiers épisodes de Vic Boone pour la maison d'édition américaine 215Ink (disponible sur Comixology ici) et j'ai continué à développer divers projets avec Mast, cherchant une narration adaptée aux nouveaux supports ainsi qu'au papier. Et puis on a découvert Balak avec son « turbomédia », qui mêle habilement BD et animation.
Mast : Comme Geoffo, la bande dessinée a fait partie de mon enfance. De mémoire, j'ai toujours écrit et dessiné des histoires. Pendant longtemps, ça a été par simple plaisir à côté de mes études de cinéma, même si au final, j'ai cumulé plus de 2000 pages de BD depuis le lycée avant de m'estimer "professionnel" de la chose. C'est vraiment avec l'arrivée du turbomédia que j'ai eu le déclic : travailler sur ce médium, ça pouvait être mon métier.
Quelles sont vos étiquettes officielles ?
Mast : Scénariste, metteur en scène turbomedia, dessinateur.
Geoffo : Animateur 2D, metteur en scène turbomedia, dessinateur.
Votre premier "Infinite Comics" a été sur Amazing Spider-Man. Vous n'aviez pas trop la pression de travailler sur l'un des personnages majeurs de Marvel ?
Mast : Non, au contraire, c'était très excitant de commencer directement sur ce personnage historique de l'éditeur.
Geoffo : Par contre, le jour où on travaillera sur une série Howard The Duck, on la sentira, la pression.
Depuis, vous n'avez jamais cessé de travailler sur des personnages iconiques. Quels sont les limites que Marvel vous impose sur ses héros ?
Geoffo : Aucune limite. Ils nous encouragent à briser les frontières habituelles et à aller toujours plus loin dans la mise en scène d'histoires lisibles sur écran (smartphones, tablettes, PC...)
Iron Man : Frontière Fatale sort en France dans les numéros 4 et 5 de la revue Avengers Hors-Série. Pouvez-vous nous dire quel a été le rôle de chacun, dessus ?
Mast : Nous avons travaillé en deux temps. D'abord en effectuant les storyboards des épisodes 12 et 13 de la version numérique de la maxi-série Frontière Fatale, puis en adaptant l'intégralité au format papier, soit 200 pages.
Geoffo : Nous avons fait les storyboards de cet Infinite Comics en décembre 2013, à l'époque notre travail se limitait à cela et à du consulting. Depuis, nous travaillons sur des projets plus ambitieux techniquement et créativement, toujours en lien avec le numérique.
Échangez-vous avec les dessinateurs qui se basent sur vos storyboards ? Si oui, quel retour vous font-ils ?
Mast : Il s'agit d'un vrai travail d'équipe, donc nous discutons constamment avec l'ensemble des créateurs et des techniciens. Sur Iron Man : Frontière Fatale, nous échangions régulièrement avec Al Ewing et Kieron Gillen à propos du scénario, avec Neil Edwards au niveau des dessins, avec Chris Sotomayor pour les couleurs, Tim Smith à la production numérique. Et évidemment, nos éditeurs sur cette série, Mark Paniccia et Jon Moisan.
Geoffo : Les retours ont pour but d'aller toujours plus loin dans la manière de raconter les histoires. L'échange est un élément clé lors de la réalisation des Infinite Comics.
Les Infinite comics vous permettent de travailler régulièrement avec la vague d'auteurs en devenir chez Marvel comme Joshua Hale Fialkov, Al Ewing, Ales Kot, Dennis Hopeless, Matt Kindt ou encore Cullen Bunn. Que vous ont-ils apporté ?
Mast : Chaque auteur a sa propre personnalité, nous aide à aborder différents aspects de la création numérique. Avec Ales Kot dans Secret Avengers, nous avons réfléchi à comment visuellement montrer des déformations de la réalité qui s'apparentent aux glitchs des ordinateurs. C'était enthousiasmant.
Geoffo : Avec Eugene Son et Cullen Bunn sur Ultimate Spider-Man Infinite, c'était un travail sur l'humour et l'action : comment profiter au maximum du format pour surprendre et créer de l'émotion chez le lecteur.
Avec quels auteurs souhaiteriez-vous travailler ?
Geoffo : Jack Kirby.
Mast : Michel Drucker.
Geoffo : En vrai, probablement Paul Pope, Jock ou Joe Quesada.
Mast : Personnellement, je maintiens mon choix de Michel Drucker. J'ai adoré sa BD sur les Aventures de Zaza.
Vous avez aussi travaillé sur des Infinite comics autour des Secret Avengers, Thanos et All-New Captain America mais votre plus longue prestation est sur Ultimate Spider-Man Infinite. Pouvez-vous nous dire comment ce long run s'est déroulé pour vous (24 épisodes !!!) ?
Geoffo : Ce fut un travail de longue haleine qui nous a pris environ un an et demi car Ultimate Spider-Man Infinite est un projet lié au dessin animé produit par la branche Animation de Marvel et diffusé sur Disney XD.
Mast : Concrètement, ce run de 24 épisodes est découpé en quatre story-arcs qui élargissent l'univers de la série télé. Il s'agit d'une première tentative Transmedia où le format Infinite est intégré.
Geoffo : C'est Dan Buckley (Président de Marvel Comics) et Steve Wacker (Vice-Président de Marvel Animation) qui sont à l'initiative de ce projet. Ils souhaitent le diffuser à l'échelle internationale en 13 langues différentes et accessible gratuitement. On est vraiment très fiers que ce soit ce projet en particulier qui bénéficie de cette exposition.
Les Infinite comics ont l'air de prendre de plus en plus d'importance dans la politique de Marvel. Savez-vous si cela sera aussi le cas en France dans les mois à venir ?
Mast : Pour des questions de droits, les versions numériques ne sont pas disponibles pour le moment en langue française, mais les anglophones peuvent les acquérir via l'application Marvel ou sur ComiXology.
Maintenant que vous êtes à l'intérieur de Marvel, avez-vous perdu vos rêves de fans ?
Geoffo : On ressort tout juste d'une réunion dans les locaux de Marvel à New-York, et bien que ça ne soit pas la première de ce genre, à chaque fois on reste émerveillés.
Mast : Pouvoir voir comment des projets ambitieux comme l'événement Secret Wars (en 2015) sont créés, et ce depuis le tout début, c'est juste génial. On reste fans avant tout.
Lisez-vous toujours des comics ? Si oui lesquels vous ont laissé sur l'anus dernièrement !
Geoffo : Southern Bastards par Jason Aaron et Jason LaTour, Battling Boy par Paul Pope, Secret Avengers par Ales Kot et Michael Walsh, Ms. Marvel, par G. Willow Wilson & Adrian Alphona. J'apprécie aussi beaucoup Damnation of Charlie Wormwood, un comics numérique disponible en ligne sur Thrillbent.
Mast : Zero par Ales Kot et une tonne d'artistes de talent. The Private Eye par Vaughan et Marcos Martin, Batman & Robin de Tomasi et Gleason, Hawkeye de Fraction et Aja. Et une mention pour une production française: Lastman, par Bastien Vivès, Michael Sanlaville et l'homme le plus chauve du monde.
Si vous aviez le pouvoir de visiter le crâne d'un autre auteur pour en comprendre son génie, qui choisirez-vous ?
Mast : Haha, dur de choisir. Dans les vivants, je dirai Alan Moore, Frank Miller et David Mazzucchelli. Dans les morts - si on a le droit, hein Franquin, Jack Kirby, Jijé et Will Eisner. En fait, puisqu'on est dans le domaine du potentiel, je m'autorise à aller visiter le crâne de chacun de ces auteurs, de tenter d'assimiler leur talent pour pouvoir faire des super maisons en pâte à modeler.
Geoffo : En plus des auteurs déjà cités par Mast, je rajouterai Chris Ware, Mignola, Marc Antoine Mathieu, Vivès, Otomo et dans ceux qui ne sont plus parmi nous Mœbius, Tezuka et Seth Fisher. Une fois rentré dans la tête des vivants, si je peux juste leur permettre de produire plus vite, ce sera déjà bien.
Merci Messieurs !