interview Comics

Mike Carey

©Panini Comics édition 2015

C'est au début des années 90 que Mike Carey a fait son entrée dans l'univers des comics. Il rencontre très vite le succès avec un spin-off de Sandman intitulé Lucifer avant de multiplier les projets sur des séries de premier ordre comme Hellblazer ou X-Men. Après des années à divertir les fans de super-héros, il se rappelle à nos bons souvenirs avec un creator-owned nommé The Unwritten dans lequel il mêle ses influences littéraires aux comics. Touche à tout, Mike Carey s'est aussi penché sur l'écriture de jeux vidéos, de romans et dernièrement de films ! Son dernier ouvrage en date, Celle qui a tous les dons (aux éditions L'Atalante), est en effet en cours d'adaptation pour le cinéma. Profitant d'une tournée de promotion pour son dernier roman et d'une halte à la librairie Imaginaute de Tours, nous nous sommes entretenu longuement avec ce scénariste/écrivain ô combien sympathique.

Réalisée en lien avec les albums X-Men - No more humans, Ultimates – Hors série, T4, The Unwritten - Entre les lignes T1
Lieu de l'interview : L'Imaginaute à Tours

interview menée
par
22 juin 2015

Peux-tu te présenter et nous dire comment tu es arrivé dans le mondes romans et des comics ?
Mike Carey : Je suis Mike Carey. Je suis auteur de comics, dans des genres très divers : super-héros, fantasy, science-fiction, horreur... J'écris aussi des romans et des scripts pour le cinéma et la télévision. J'ai pas mal de cordes à mon arc et j'œuvre pour de nombreux médias différents. J'ai commencé dans le journalisme et plus exactement le journalisme orienté comics. J'écrivais des critiques de comics ainsi que des articles dans des fanzines. J'ai fait ça pendant de nombreuses années. Il y avait alors un magazine nommé Comics International et j'écrivais des critiques pour eux. À un moment donné, un de mes amis est devenu éditeur pour une série de comics. Pas pour très longtemps, il n'a fait ça que durant deux ans. Je me suis dit « Je connais ce type, il me connait... » et je lui alors pitché des The Unwritten Mike Carey histoires. Et elles ont été acceptées ! Elles ont été prises mais la compagnie a fait faillite avant que quoi que ce soit ne soit imprimé. Et c'est devenu comme une habitude, chez moi : toutes les compagnies assez naïves pour m'embaucher finissaient par faire banqueroute. Tu connais le personnage de Jonas, dans la bible ? On qualifie ainsi toute personne mettant en danger un navire dès qu'il y met les pieds. Eh bien dès que je mettais mes pieds dans une compagnie de comics, elle coulait ! J'ai fait ça pendant de nombreuses années, j'ai travaillé auprès de petites compagnies en Grande-Bretagne, puis aux Etats-Unis. J'ai réussi à percer le jour où j'ai commencé à travailler pour Caliber Comics, qui était une petite compagnie dirigée par un monsieur nommé Gary Reed. Il ne m'ont jamais rémunéré pour quoi que ce soit, mais ils ont édité mes histoires et les bouquins en jetaient vraiment. J'envoyais alors tous ces albums à DC en les suppliant de m'embaucher ce qu'ils ont fini par faire ! [rires]

Lorsque tu as une idée, sais-tu si elle finira en roman ou en comics ?
Mike Carey : D'habitude, quand je travaille sur une idée, sur un pitch, dans le but d'en faire une histoire, je destine celle-ci à un éditeur bien particulier. Si ce'est pour Shelley Bond [NDT: éditrice pour Vertigo], ce sera un comics. Si c'est pour Darren Nash [NDT: éditeur pour Gollancz, une maison d'édition britannique], ça sera un roman. Mais il arrive que je développe une idée à destination d'un média et que ça ne marche pas. On n'en veut pas. À ce moment là, je vais la mettre sous une autre forme. Certaines choses sont évidentes. J'ai écrit 5 romans autour du personnage d'un exorciste nommé Felix Castor et ce dernier procède à ses exorcismes et bannit les démons avec une flûte. Quand il se trouve dans la même pièce qu'un Celle qui a tous les dons Mike Careydémon, il entend une musique qu'il reproduit alors sur la flûte pour forcer le monstre à lui obéir. Je ne pense pas que cela fonctionnerait sous la forme d'un comics. La représentation de la musique, dans un comics, ça ne fonctionne jamais. Mais, très souvent, quand je pense qu'une histoire va être évocatrice et forte, elle peut fonctionner sur n'importe quel média et ça a été le cas avec « Celle qui avait tous les dons » : à la base, c'était une nouvelle qui est ensuite devenu un roman mais aussi un script. Chacune de ces formes est différente des autres car chaque média, en tant que boite à outils narrative, est distinct. Mais, du moment qu'on s'assure d'utiliser les bons outils, on peut raconter une bonne histoire sous n'importe quelle forme.

Y aura-t-il une adaptation de Celle qui avait tous les dons en comics ?
Mike Carey : En comics ? On en a parlé. J'en ai discuté avec mon ami Mike Perkins avec lequel j'ai travaillé sur de nombreux titres comme Spellbinders ou Carver Hale. On a beaucoup apprécié le fait de collaborer ensemble. Il était intéressé par l'idée mais les gens en charge de la production du film nous ont demandé de reporter le projet ; ils ne souhaitaient pas voir quoi que ce soit dont il n'auraient pas eu le contrôle sortir alors que le film était encore en production. Donc oui, il se pourrait qu'on le fasse, une fois le film sorti. Je pense que ça marcherait bien, en comics, avec le dessinateur adéquat. Il faudrait que l'ensemble ait un rendu réaliste.

J'ai cru comprendre que le roman allait être adapté en film. Es-tu sur le projet d'une quelconque façon ?
Mike Carey : J'en ai écrit le scénario, oui.

Lucifer Mike Carey Le processus d'écriture est-il différent, entre un script destiné au cinéma et un roman ?
Mike Carey : Oui, c'est très différent. Comme je l'ai dit auparavant, chaque média a ses propres forces et faiblesses et on ne peut pas aller à l'encontre des choses et il faut bien saisir quelles sont les forces du cinéma ainsi que celles du roman. Ce qu'un roman réussit à la perfection, c'est de te permettre d'entrer dans l'esprit des personnages. C'est pour ça que dans le roman, on passe sans cesse d'un point de vue à un autre : celui de Mélanie, celui de Justineau, celui de Caroline Caldwell... Dans le film, on reste focalisé sur le seul point de vue de Mélanie. On a décidé de ne pas utiliser les cureurs, les junkers...

Hélène Justineau, ça sonne français, non ?
Mike Carey : Oui, très. La productrice du film est française, d'ailleurs. Donc on n'a pas utilisé les cureurs car le réalisateur m'a appelé et a dit « dès que l'on met les cureurs dans le film, ça devient Mad Max » et il ne voulait pas de ça. C'est pour ça qu'il n'y a pas de référence aux cureurs dans le film. Je crois aussi que certains personnages ont été légèrement changés, pour les besoins du film. Les relations entre les personnages sont différentes. Tout ça revient à trouver deux chemins distincts menant au même endroit, les deux voies débouchent sur la même conclusion. Je dirais que le film reste très fidèle à l'esprit du livre mais que, par endroits, le film fait ça à sa manière.

Tu as précédemment travaillé sur l'une des séries dérivées de Sandman : Lucifer et ce pendant 75 numéros. Quel regard portes-tu aujourd'hui sur ce premier essai ?
Mike Carey : Je suis encore très fier de Lucifer, aujourd'hui. J'étais un très grand fan de la série Sandman alors, pour moi, l'opportunité de pouvoir travailler au sein de l'univers de Sandman, c'était un rêve devenu réalité, vraiment. Si on m'avait demandé, à l'époque, de faire un vœu, ç'aurait été celui-là, de pouvoir travailler avec les personnages de Sandman. ça a été Celle qui a tous les dons Mike Careytrès formateur, comme expérience. Neil Gaiman était consultant alors on a beaucoup discuté au sujet des personnages. Il m'a parlé de sa conception de Lucifer, de Mazikeen... Mais il a toujours été très cool vis-à-vis du fait que je prenne l'histoire en mains. C'est quelqu'un d'incroyablement généreux, un merveilleux collaborateur. Dès le début, je lui ai dit que je n'avais encore jamais écrit pour une série mensuelle, jamais, et lui, il m'a dit que « La seule manière d'apprendre à le faire, c'est de le faire. Ce n'est pas quelque chose que l'on peut assimiler de l'extérieur, on ne peut pas comprendre le subtil mélange de méticulosité dans la préparation et de coups de bol... » [rires] Il n'a pas employé le terme « coup de bol », il a dit « sérendipité ». Certaines choses surviennent comme prévu, d'autres parce qu'elles surviennent, comme ça. Il n'y a pas d'autre moyen d'y arriver. J'ai beaucoup appris en travaillant sur Lucifer et ça a été un privilège que de pouvoir travailler dans l'univers qu'il avait créé, au sein de cette mythologie incroyable qui regroupe toutes les autres en son sein. Une scène où les anges de la chrétienté peuvent parler avec les dieux japonais des tempêtes ou encore avec les dieux des indiens d'Amérique...

Quand tu as commencé à écrire Lucifer, est-ce que tu imaginais que cela durerait 75 épisodes ?
Mike Carey : Non, pas du tout. En fait, j'avais déjà écrit une mini-série qui avait duré trois numéros. Ils essayait depuis un moment de donner une suite à Sandman. Ils avaient fait The Dreaming, The Sandman Presents, Lucifer puis encore quelques The Sandman Presents. C'est passé par de nombreux stades car, quand Neil a arrêté d'écrire Sandman, DC a souhaité que cette histoire se poursuive. J'ai écrit pour The Sandman Presents, j'ai écrit The Sandman Presents: Lucifer et The Sandman Presents: Petrefax, des mini-séries très brèves — 3 numéros pour Lucifer et quatre The Unwritten Mike Careypour Petrefax — et, quand j'ai pitché la série mensuelle, je leur ai présenté ça comme un projet qui aurait duré trois ans « si on a trois ans devant nous, voilà ce que je voudrais faire... » mais, à l'époque, sorti de Preacher, les séries Vertigo n'arrivaient pas à se lancer et à durer aussi longtemps. Je me disais qu'avec de la chance, cela durerait peut-être 19 numéros. J'ai donc écrit la série jusqu'au seizième numéro inclus. Les numéros 14, 15 et 16 sont ceux où Lucifer génère sa propre Création, créé son propre univers et devient donc Dieu. Je me suis dit que, du moment qu'on réussissait à arriver là, ils pouvaient bien annuler la série, je serais tout de même satisfait. Mais, donc, oui : on a fini par travailler dessus pendant près de 7 ans. Et ça a été la première série sur laquelle je collaborais avec Peter Gross et ça, ça a changé ma vie ! Sa narration est devenue une partie intégrante de Lucifer puis, aussi, de The Unwritten. Il y a des collaborations, comme ça, qui parviennent à faire sortir des choses uniques et différentes de soi.

Lucifer va être adapté à la télévision. As-tu été consulté par ses producteurs ?
Mike Carey : Non, pas du tout. Neil non plus. Je crois qu'aucun d'entre nous n'a été consulté. C'est une série diffusée sur Fox, qui est un énorme network et ils font les choses comme ils l'entendent. Ils connaissent leur public et ce n'est pas le même que celui des publications Vertigo et il est donc inévitable qu'ils fassent quelque chose de très différent avec les personnages. Mais je n'ai pas de problème avec ça. Moi-même, j'ai fait des choses très différentes de celles que Neil avait faites. D'après Neil — et je crois qu'il a raison — que la culture pop est un gigantesque ragoût dans le sens où tout le monde y ajoute des ingrédients et se sert un gros bol. Un autre truc qu'il a dit — et là, on change de métaphore — c'est qu'une fois qu'on a fini de s'amuser avec ses jouets, on les remet dans le coffre pour que d'autres se servent et jouent avec.

Hellblazer Mike Carey Et que penses-tu de la polémique qui a suivi l'annonce de cette série [NDR : plus d'un million d'américain sollicités par des mères de famille ont signé une pétition pour arrêter la production de la série télé] ?
Mike Carey : Tu veux dire avec la pétition signée par toutes ces mères pour faire annuler la série ? [rires] Oui, j'ai vu. Je pense qu'elles sont un peu à côté de la plaque. Le Lucifer de la série ne va pas être celui de la bible, c'est un personnage qui, aujourd'hui, a été réimaginé maintes et maintes fois. Il n'y pas moyen que Fox promeuve l'adoration du Démon. Mais, bon, on dit que la mauvaise publicité, ça n'existe pas et je pense que cette pétition va sûrement rendre la série plus populaire.

Chez DC Comics, tu as aussi écrit plus d'une quarantaine d'épisodes de Hellblazer. Comment as-tu appréhendé le personnage de John Constantine et le long passif qui lui a été donné par les nombreux scénaristes qui ont travaillé sur la série ?
Mike Carey : Je suis arrivé sur la série après Brian Azzarello. C'était le premier auteur américain a avoir travaillé sur le personnage de John Constantine et il avait écrit ça à la manière d'un roman Noir. Il avait moins mis l'accent sur la magie et plutôt sur l'aspect manipulateur de John, la manière dont il se servait de leurs pensées et de leurs émotions. Et ça fonctionnait très bien, je trouve qu'il a écrit de très bonnes histoires, Freezes Over est une très bonne histoire de Hellblazer. Mais, de mon point de vue, John a toujours été le Magicien Rieur et les deux auteurs dont les écrits me revenaient sans cesse en tête étaient Jamie Delano et Warren Ellis. Warren Ellis n'a écrit que pendant une année, sur Hellblazer, mais il a écrit une magnifique histoire, Haunted, qui m'a vraiment marqué. C'était écrit à la manière d'une pièce de théâtre, les personnages avaient de longs dialogues et ces dialogues étaient si bien écrits que l'on se moquait bien qu'il ne se passe rien à l'image, l'immersion était complète. J'ai donc réintroduit la magie, j'ai ramené John à Liverpool — à ses racines — j'ai ramené de vieux personnages : sa sœur, Cheryl, sa nièce, Gemma, et aussi des personnages du run de Warren Ellis comme Watford,Clarisse Sackville, The Unwritten Mike CareyAlbert le Zombie... Voilà, c'était ça mon approche : John est le Magicien Rieur et il ne se contente pas de s'adresser aux dieux et aux démons, il leur répond ! Il est l'Esprit Humain et il rit au visage du Destin.

Chez Vertigo, tu as aussi créé The Unwritten. Cette série est géniale et pour moi, réunit toutes tes facettes, celles d'auteur de comics comme celle de romancier. Es-tu d'accord avec ce point de vue ?
Mike Carey : Je ne peux pas dire que cette série est géniale car ce serait très vaniteux de ma part, mais c'est une histoire traitant d'histoires. ça parle de littérature et c'est une sorte de déclaration d'amour aux histoires qui ont fait de nous ce que nous sommes, en tant qu'auteurs. On a essayé de réfléchir à ce qui rendait les histoires importantes à nos yeux, pourquoi elles prenaient une place si importante dans nos vies car c'est ce qu'elles font. Peter et moi en avons très souvent discuté et nous en sommes venus à penser qu'à la base, les êtres humains sont informes et qu'on utilise les histoires pour se construire, à la manière d'un squelette, comme une structure qui nous donne une forme, une raison d'être, un but. Et, quand on y pense, chaque nation a ses histoires, ses légendes constituantes, contant ses origines et sa nature. En Grande-Bretagne, ça parle de l'Empire Britannique que l'on a connu et auquel on s'attache encore de nos jours. On n'est plus aussi importants, aujourd'hui, mais on aime à penser que si. L'Amérique aime croire qu'elle est encore un parangon de liberté pour le reste du monde, qu'elle est le gendarme du globe. Et tout ça, se sont des histoires qu'on se raconte pour pouvoir trouver un sens à notre vie. Et ça ne se limite pas aux pays, les familles le font et crois que chaque personne le fait. On se raconte à soi-même l'histoire de notre propre vie et on fait ça parce que, sans ces histoires qu'on se raconte, nos vies n'ont pas vraiment de sens. On se contenterait d'errer sans but.

X-Men Mike Carey Chez Marvel, tu as souvent travaillé sur des séries X-Men. Parmi tous les personnages que tu as utilisé, beaucoup étaient méconnus du grand public. Était-ce ta volonté ou celle de Marvel ?
Mike Carey : C'était mon choix. C'est quelque chose que j'ai adoré faire. Les X-men, à l'époque, avaient un bagage de près de 60 ans [NDT: en fait, moins que ça - 1963] et de nombreux personnages avaient vu le jour avant de disparaître, oubliés. Et c'est génial de pouvoir trouver un tel personnage, de le brosser un peu pour le remettre à neuf et de le remettre sur le devant de la scène. Il y avait des personnages comme Karima Shapandar, la sentinelle Oméga, ou Lady Mastermind et je me disais « Mais pourquoi est-ce que personne n'utilise ces super personnages ? » La seule règle était que je ne pouvais pas utiliser les personnages qu'Ed Brubaker utilisait alors sur Uncanny X-Men mais tous les autres, c'était possible. Donc, en effet, je tirait une certaine fierté du fait d'aller chercher les personnages les plus obscurs et les plus négligés de tous pour essayer de les rendre cool à nouveau.

De quel personnage aurais-tu rêvé d'écrire l'histoire ?
Mike Carey : Un personnage sur lequel je n'ai pas encore travaillé ? Je dois dire que j'ai toujours voulu écrire sur le Dr Strange. J'ai écrit une brève histoire, un jour, en forme de prose. Mais travaillée sur une mini-série consacrée au Dr Strange, je dois bien dire que ce serait cool. C'est un personnage amusant car c'est un magicien dans un monde de super-héros, ces pouvoirs détonnent de ceux des autres, donc. Il interagit avec les Avengers, avec les X-Men, les 4 Fantastiques... Et pourtant, il vient d'un autre monde.

X-Men Mike Carey Peut-être que ce sera possible, avec le film consacré au Dr Strange, de revenir chez Marvel pour le faire ?
Mike Carey : Je ne sais pas, le problème, avec Marvel, c'est que si tu écrit une série mensuelle qui se place dans la continuité de leur univers, il te faut lire l'ensemble des autres séries, ce qui est une occupation à plein temps. J'ai arrêté X-Men alors que j'aimais travailler dessus et ils étaient aussi très satisfait de ce que je faisais. Mais j'ai arrêté afin de pouvoir consacrer du temps aux romans, pour voir si je pouvais écrire un script... Pour tout ça, il me fallait lâcher quelque chose et ça a été les séries mensuelles. Je continue d'écrire des comics, mais ce sont des mini-séries ou bien des graphic novels, des histoires à part, en dehors de toute continuité.

Dernièrement, tu as écrit X-Men No More Humans. Comment as-tu l'idée d'éliminer toute la race humaine tout en faisant un gros clin d’œil à House of M ?
Mike Carey : En effet, ça revenais à prendre le concept de House of M et de la détourner à 180°. Ce qui s'est passé, c'est que Nick Lowe, l'éditeur sur X-Men m'a appelé et m'a demandé si j'étais intéressé par l'écriture d'une série mensuelle. Je lui ai répondu que, ça ne m'étais pas possible, ce à quoi il m'a répondu « Dans ce cas, écris-nous un graphic novel », « Ok, je peux faire ça, ce serait quoi, le concept ? », « Il n'y en a pas, mais fais en sorte que ce soit énorme » et, à partir de là, je me suis demandé quelle pouvait être la plus grosse histoire des X-Men que l'on pouvait raconter. On va prendre House of M, retourner l'histoire et la raconter de nouveau. C'était ça, l'idée.

x-men no more humans Mike Carey Ton récit se déroule en marge des séries All-New X-Men et Uncanny X-Men. Qu'en as-tu pensé ?
Mike Carey : Lorsque j'ai entendu l'idée que les premiers X-Men allaient revenir à notre époque, je trouvais l'idée très mauvaise. Lorsque j'ai commencé à lire, j'ai adoré. Brian Michael Bendis a le don pour t'intéresser à un sujet qui, au départ, ne t'emballe pas.

A cette époque, Rick Remender avait aussi dépouillé Charles Xavier de son cerveau pour le placer dans Crâne Rouge dans la série Uncanny Avengers. Qu'en as-tu pensé ?
Mike Carey : Je n'ai pas vraiment aimé l'angle très violent de ce titre. A l'inverse d'All-New X-Men, l'idée pouvait être bonne mais cela a mal été amené.

As-tu un récit préféré au sein de l'univers Marvel ?
Mike Carey : Dans la continuité des X-Men, j'ai toujours été un grand fan de Days of Future Past, qui est pourtant un récit très court — seulement deux numéros — mais c'était la première histoire des X-Men basée sur l'idée d'un futur alternatif. C'est arrivé tôt, dans la série. Vers le numéro... 126, je crois [NDT: #141-142, en fait], pendant les premières années de la réinvention des X-Men par Chris Claremont, quand tout était frais et novateur. ça a établi tellement de faits et ça comportait tellement de moments cultes. On voit Wolverine être lancé dans les airs en direction d'une sentinelle, puis celle-ci se tourne vers lui et l'incinère en plein vol. Tout ce qui reste de lui est son squelette d'adamantium . Jusque là, on croyait que Wolverine ne pouvait pas mourir et, tout d'un coup, on a réalisé qu'il pouvait mourir de cette manière, c'était assez choquant. C'est assurément un de mes récits préférés.

suicide risk Mike Carey Parlons un peu de ta série Suicide Risk chez Boom. Peux-tu nous la présenter ?
Mike Carey : C'était une série de super-héros et c'était la première série du genre où j'étais en charge de la création des personnages. L'histoire se déroule dans un monde où les premiers super-héros commencent à faire leur apparition, où des personnes commencent à développer des super-pouvoirs. La plupart de ces personnes sont soit d'emblée des vilains soit, pendant quelques temps, elles essaient d'être des héros avant de finir par devenir des vilains. On a donc un très petit nombre de héros, opposées à une armée de vilains qui ne cesse de grossir. Et le personnage principal est un flic ordinaire qui essaie de maintenir l'ordre dans un monde où les criminels sont de plus en plus puissants. À la fin du premier épisode, il décide d'acquérir lui-même des pouvoirs. Les supers obtiennent leurs pouvoirs par le biais d'un dispositif, une sorte de baguette que l'on pointe vers la tête des gens et on obtient un pouvoir, sans savoir lequel ce sera. Malheureusement pour lui, il découvre aussi qu'avec les pouvoirs viennent des effets secondaires assez fâcheux. Il commence à se rappeler d'une vie autre que la sienne et aussi à ressentir des pulsions incontrôlables. Il ne réalise que trop tard ce qui est en train de lui arriver mais je n'en dirai pas plus. C'est un récit de science-fiction abordant les thèmes des univers parallèles, un récit déguisé en récit de super-héros.

Peux-tu nous présenter Celle qui a tous les dons et donner envie à tout ceux qui l'ont pas encore lu ?
Mike Carey : C'est une histoire post-apocalyptique se déroulant en Angleterre, une génération après l'apocalypse zombie. On n'utilise jamais le terme « zombie » mais c'est une histoire de zombies. La société s'est effondrée et la celle qui a tous les dons couv us Mike Carey majeure partie de la population a été infectée — c'est une de ces histoires où les gens deviennent des zombies par le biais d'un agent infectieux — et les quelques survivants se sont regroupés dans des villes fortifiées, entourées de murailles, de tourelles et de mines. Mais on a découvert un petit nombre d'enfants qui ne sont pas complètement affectés par l'infection : s'ils sentent votre odeur, il se jettent sur vous pour vous dévorer, comme les zombies, mais autrement ce sont des enfants normaux qui pensent et ressentent. Ils ont donc cette immunité partielle puisque l'infection fait normalement de vous une créature décérébrée. L'héroïne du livre, Mélanie, est un de ces enfants est elle est retenue prisonnière dans une base militaire avec une vingtaine d'autres de ces enfants. Et ces enfants sont traités comme des cobayes et servent aux expériences des scientifiques cherchant à découvrir un remède à l'infection. Mais Mélanie ignore qu'elle est une sorte de monstre car son réflexe d'attaque n'a jamais été déclenché, elle ne s'est jamais nourrie d'un être humain. Elle ne comprend donc pas ce qu'elle est et elle accepte aussi l'ensemble de son environnement car elle n'en n'a jamais connu d'autre. Les enfants suivent des cours et Mélanie est très attachée à sa professeure, mademoiselle Justineau, qui est la seule personne a avoir jamais été gentille avec elle. Et le livre raconte essentiellement comment cette petite fille va comprendre ce qu'elle est et quelle est sa place dans le monde. Au terme du récit, Mélanie sera amenée à faire un choix quant au futur qui l'attend. C'est une relecture du mythe de Pandore et Mélanie devra décider si elle doit regarder à l'intérieur de la boîte ou non, si elle doit changer le monde ou bien le laisser tel quel. Voilà le résumé du livre.

Les critiques ont été très élogieuses vis à vis de Celle qui a tous les dons. Comment as-tu vécu cela ?
Mike Carey : ça a été génial et aussi très enthousiasmant. C'est mon dixième roman et, à l'évidence, j'ai réussi ici quelque chose que je n'avais pas réussi à faire les fois précédentes. ça a pris des proportions gigantesques et ça a changé ma vie en rendant plein d'autres choses possibles, dont le film, à l'évidence. Je ne sais pas si l'expression existe en français mais j'attends quefilm Celle qui a tous les dons Mike Carey l'autre chaussure tombe [NDT waiting for the other shoe to drop ], ça veut dire que j'attends la mauvaise nouvelle qui suit inévitablement la bonne. C'est probablement une expression typiquement britannique.

Le livre est sorti depuis peu en France. Sais-tu quelle a été la réaction du public français ?
Mike Carey : Je crois que les critiques ont été très positives, ici aussi. La popularité du livre va en grandissant et beaucoup de blogs en parlent. J'ai pu rencontrer de nombreux lecteurs très enthousiastes aux Imaginales. On a d'ailleurs vendu tous les exemplaires du livre que l'on avait emmenés aux Imaginales ! Donc, oui, ça a l'air de bien marcher en France, aussi. Le livre est aujourd'hui édité dans vingt pays différents, ce qui est nouveau pour moi.

Tu as su renouveler l'horreur avec Celle qui a tous les dons, comment as-tu éviter les lieux communs du genre ?
Mike Carey : Dans un sens, j'ai foncé tête baissée dans les clichés. Certains des personnages sont tout de suite identifiables: le sergent dur-à-cuire, la méchante scientifique... La construction même du récit est très familière mais je crois que ce qui fait toute la différence, c'est Mélanie. Tout ce qui fonctionne, dans le livre, fonctionne grâce à Mélanie. Mais il m'a fallu travailler dur pour réussir à concevoir la voix de ce personnage. Je pense avoir eu la révélation quand j'ai pris la décision de conjuguer le récit au présent et non au passé. J'ai souhaité retranscrire la vivacité et le caractère immédiat de la vision qu'a un enfant du monde qui l'entoure. Quand on est soi-même enfant, tout est nouveau, excitant, tout est merveilleux. Alors il faut imaginer ce que ce serait quand on est un enfant dont l'univers s'est toujours réduit à une unique sandman lucifer Mike Carey et même chambre ! Tout d'un coup, les portes s'ouvrent à toi et tu découvres le monde pour la première fois. C'est ça, l'histoire de Mélanie, au moment où la base militaire est perdue et qu'elle s'en échappe. Elle découvre le monde avec un regard neuf et je me devais de trouver le moyen de communiquer ça dans le roman. Et je pense y être parvenu, d'une certaine manière. Voilà ce qui caractérise Celle qui a tous les dons.

Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un autre auteur, qui choisirais-tu et pourquoi faire ?
Mike Carey : Je choisirais China Miéville, l'auteur britannique de fantasy qui a écrit « Les scarifiés ». Il est doté d'un esprit incroyablement... fractal. Quand tu lis un de ses romans, un seul de ses paragraphes peut contenir un concept qu'un autre auteur développerait en un roman entier. Et il fait encore, et encore. J'adorerais en être capable. Ce serait mon choix.

C'est une inspiration ?
Mike Carey : D'une certaine façon. Je n'essaie pas de l'imiter — ce serait impossible, il est unique — mais, de façon générale, il m'inspire. Ses histoires t'emporte dans des univers incroyables dans lesquels on reste longtemps après avoir lu les romans. Dans ce sens, j'aspire à écrire comme il le fait.

Quels sont tes futurs projets ?
Mike Carey : Au niveau des romans, mon prochain projet consiste en une histoire de fantômes se déroulant dans une prison pour femmes. L'héroïne est une femme envoyée en prison après avoir accidentellement tué un enfant. En réalité, elle essayait de tuer son petit-ami, qui était violent avec elle. ça, elle n'y parvient pas, mais elle tue un enfant à sa place. Elle est condamnée à vingt ans unwritten Mike Carey de réclusion pour ça. Elle ressent une honte immense suite à ce qu'elle a fait et elle essaie de mettre fin à ses jours à travers un grève de la faim. Mais le fantôme de l'enfant lui apparaît et ce spectre ne compte pas la laisser faire. Chaque fois qu'elle se rapproche de la mort, l'enfant la ramène à la vie. Elle en vient à conclure que le fantôme a besoin d'elle, pour une raison inconnue. C'est l'histoire de la rédemption de cette femme alors qu'elle essaie de rembourser sa dette envers le fantôme de cet enfant. Mais il y a un twist et les choses ne sont pas forcément ce qu'elles paraissent être. Les circonstances aussi, ne sont pas ce qu'elles paraissent être et la fin fin est assez gothique, tordue. La conclusion est inattendue.

Et les comics ?
Mike Carey : Cette année, pour la première fois, je vais m'essayer à la bande-dessinée, en collaboration avec un éditeur français. Les éditions Glénat. ça va s'intituler "Le Haut-Palais" et je vais encore une fois travailler avec Peter Gross, un de mes illustrateurs préférés. Ce sera au format album, en tous cas c'est ce que j'espère. C'est une fantaisie politique. ça se déroule dans un monde où une religion très restrictive est en place et l'esclavage, aussi, existe et n'est pas réprimé par la religion. Mais le personnage principal est un petit garçon, un esclave, qui se voit doté d'extraordinaires pouvoirs magiques. Des pouvoirs dont il décide de se servir pour libérer les esclaves, pour changer les fondements de la société en place. Voilà les prémices mais il y a un grand nombre de personnages et de nombreuses intrigues secondaires.

Ça sortira quand ?
Mike Carey : Le premier volume sortira certainement en décembre de cette année ou bien en janvier de la suivante. Si ça sort en janvier, je unwritten fables Mike Carey viendrais probablement à Angoulême pour des dédicaces, ce qui serait très cool !

C'est un nouveau challenge ?
Mike Carey : Oui, c'est un nouveau format avec un nouvel ensemble de règles. C'est très différent. ça ressemble au format du comics américain mais ça a son propre rythme.

Tu as donc écrit des comics, des romans, de la bande-dessinée, pour le cinéma... C'est quoi, la suite ?
Mike Carey : [rires] J'ai aussi écrit des scripts radiophoniques et des jeux vidéos, mais j'ai arrêté d'en faire parce que je n'étais pas très bon. J'aimerais bien écrire une pièce de théâtre.

As-tu commencé à en écrire une ?
Mike Carey : Non, non. Ça relève juste du fantasme. Si on m'en donnait l'opportunité, j'adorerais le faire.

Merci.

Remerciements à Stéphane et la librairie Imaginaute pour avoir permis l'organisation de cet entretien..

Mike Carey l'imaginaute