interview Bande dessinée

Nicolas Fructus

©Les Humanoïdes Associés édition 2007

Grace à son graphisme hors pair et à une ambiance tourmentée très particulière, Nicolas Fructus s’est imposé comme un artiste complet en marge de toutes les productions stéréotypées du genre. A la fois médiévale-onirique et heroïc-fantastique, sa série, Thorinth, est aujourd’hui terminée, en 5 tomes. L’artiste dessine tout sur ordinateur, mais il s’applique à faire de longues dédicaces au crayon à papier… Une approche originale du 9e art que les bédiens ont essayé de comprendre à travers cette cyber-interview.

Réalisée en lien avec l'album Thorinth T5
Lieu de l'interview : Le cyber-espace

interview menée
par
4 mars 2007

Bonjour Nicolas Fructus ! Pour commencer et faire connaissance, une question bateau : peux-tu nous faire une brève présentation de toi-même ? Ta vie, ton œuvre, comment en es-tu arrivé à « faire de la BD » ?
Nicolas Fructus : Alors, alors… Je travaille depuis 1991, juste après ma sortie d’Emile Cohl, à Lyon, qui est une école d’illustration, BD, dessin animé, mais dont la dominante à l’époque était plutôt l’illustration. C’est donc dans ce champ que j’ai commencé, mais très vite, d’autres tendances se sont profilées : le dessin animé, puis le jeu vidéo. En fait, j’ai cumulé, ou alterné les différents boulots. Et puis le travail de production m’usait un peu, j’avais envie de faire quelque chose de plus personnel. Alors en 2000, j’arrête tout pour essayer de ne me consacrer qu’à la BD. Ça marche, mais en parallèle, je fais encore de la production et de l’illustration. Dans tous les cas, plus ça avance, plus c’est l’envie de ne faire que ce qui me plaît qui me pousse. Donc que ce soit de la BD ou autre chose, qu’importe. Il n’empêche, c’est la BD qui est le domaine le plus libre d’expression.

Comment t’est venue l’idée de pondre une trame aussi démentielle que celle de Thorinth ?
Nicolas Fructus : Démentielle, je ne sais pas (il y a plus fou). C’était d’abord une idée de série d’animation, dont j’avais développé des éléments graphiques et écrits dès 1997 ; puis tout ceci est resté en carton, j’avais peur que la « moulinette » de la production n’affadisse le propos par trop de compromis d’adaptation. Alors j’ai laissé reposer (grand bien m’en a pris), et c’est le premier sujet que j’ai ressorti pour l’adapter en BD quand j’ai arrêté la production.

Comment présenterais-tu toi-même l’histoire de Thorinth ?
Nicolas Fructus : C’est un huis clos dans un asile sur une planète isolée, où un homme vient chercher sa femme qui y a été mise de force, pour que la menace qu’elle représente disparaisse. Le problème, c’est que l’on ne peut pas ressortir de ce lieu. Et l’autre problème, c’est que la femme du héros, elle va faire à l’intérieur ce qu’elle ne réussissait pas à faire à l’extérieur. Tout un programme !

Vu le final très ouvert, quelle est TA solution ?
Nicolas Fructus : Que ceux qui n’ont pas fini les cinq tomes ne lisent pas ce que je vais dire, ce serait dommage. Le final n’est pas si ouvert que ça. Tout est détruit, jusqu’à la dernière particule, à l’exception du centre de la réaction, l’embryon de Madalis entouré de Sogrom. C’est maintenant une entité errante dans l’espace, bien consciente de tout ce qui s’est passé. Dans tous les cas, tout ce qui existait sur Thorinth n’existera plus. Alors que cette petite cellule ait un avenir, ça, c’est possible. Mais l’intérêt, si jamais il y avait une suite à Thorinth, c’est que ça proviendrait de la créature qui doit naître de cet embryon, et ce sera bien le seul lien avec Thorinth. Et tout ceci ne remet rien en cause de l’histoire précédente des cinq tomes qui sont une histoire complète, un point c’est tout. Par contre, j’ai laissé cette « ouverture » pour une raison toute simple. S’il y a une autre histoire, il est très plaisant d’introduire une créature dont on a déjà 300 pages de cursus, et donc un fond. Son histoire n’en sera que plus forte.

N’y a-t-il pas une ambiguïté dans l’amour que porte le héros à sa femme ?
Nicolas Fructus : Non, je ne vois pas ; sinon que le personnage est plus un vecteur qu’un héros. Les héros, ce sont Madalis, les Schnoubouf, tous les autres, mais pas Veï-Din. Il était prévu comme ça depuis le début. Il a une idée directrice, et il fait tout pour l’appliquer, il est un vecteur (comme en seconde, cours de physique (le truc pénible avec des flèches)). Ça provoque toujours des situations étranges, du coup.

De quoi t’es-tu inspiré pour créer le Schnoubouf ?
Nicolas Fructus : Une sorte de mini dinosaure, avec une peau d’éléphant. Le plus drôle, c’est qu’au zoo de Vincennes, un an après avoir commencé, j’ai vu à la télé qu’un bébé hippopotame était né : hé bien c’est tout pareil, un Schnoubouf !

N’y a-t-il pas un peu de l’« épice » de Dune (Herbert) dans le sogrom ?
Nicolas Fructus : Oh oui, mon capitaine ! Je n’ai pas cherché à me caller sur le Maître, mais il y a une constante dans les deux histoires : la drogue, c’est mal, on le sait. Elle permet par ailleurs des transcendances que l’on n’a pas au naturel. Ainsi, le rapport n’est pas aussi manichéen qu’on veut bien le présenter. Les choix de son utilisation sont plutôt : « alors j’en prends pour faire telle ou telle chose… Mais le retour de bâton sera deux fois pire… ». Que chacun juge de cette utilité. Pour ma part, je préfère me réveiller tous les matins la tête claire !

D’une manière générale, quelles sont tes sources d’inspiration ?
Nicolas Fructus : Les livres, plus que la BD, le jeu de rôle, et disons plutôt les arts classiques (peinture, sculpture, musique). Rien de bien original.

Vu la masse de travail que représente une œuvre telle que Thorinth, cela plombe un certain temps dans une carrière d’artiste… Quel regard portes-tu sur cette série aujourd’hui qu’elle est terminée ?
Nicolas Fructus : Un grand bonheur d’avoir fini. Une profonde respiration. Mais il y a pire, comme masse de travail ! Ces derniers temps, je ne savais pas pourquoi ça me faisait autant de bien d’avoir bouclé. En fait, tant qu’on n’a pas fini, on doute de soi, de son histoire, de la façon de la mener ; c’est un questionnement perpétuel. Eh bien c’est fini. C’est comme c’est, avec ses défauts et ses qualités ; c’est un bout de moi, et je suis content. Tous les doutes sont dans ce qui n’est pas encore fait.

Quel est le retour que te font tes fans en dédicaces ?
Nicolas Fructus : Je n’ai fait que deux dédicaces, pour l’instant, le gros arrive à partir de Mars. Le plaisir est de pouvoir partager l’avis des lecteurs, et de ne plus avoir à dire : « Attendez, vous verrez, j’y réponds dans le prochain ! ». Là, non. Ça y est, c’est fini. La discussion commence !

Comment travailles-tu pour parvenir à ce dessin si particulier ? Quelles sont les étapes de la réalisation d’une planche ?
Nicolas Fructus : C’est de plus en plus simple : je fais une esquisse de la planche sur un format A3 environ, je scanne, et j’attaque à la palette graphique directement sur l’esquisse, qui maintenant disparaît. Ce sont les mêmes contraintes pour la couleur directe. Au lieu d’utiliser de la peinture, c’est de l’informatique. C’est tout. A noter que sur les deux premiers tomes, je laissais encore le trait, ce n’est même plus le cas aujourd’hui. Pour ce qui est du côté « particulier », que ce soit en traditionnel ou sur ordinateur, il n’y a qu’une chose : passer du temps dessus, c’est le meilleur moyen de faire au moins quelque chose qui vous plaît, donc qui finit par être particulier, puisqu’il vous est propre.

Si tu avais une « gomme magique » pour modifier après coup n’importe quel aspect de la BD, est-ce que tu l’utiliserais et si oui, sur quoi ?
Nicolas Fructus : Tout le Tome 1. J’aimerais faire une refonte graphique de ce tome. Le remettre à niveau. Bon, il est comme il est, il faut l’accepter. Mais si un jour j’ai l’occasion, l’opportunité, je n’y manquerai pas. Sur un premier tome, on se prend tous les écueils que peuvent comporter la BD. La refonte permettrait d’être plus « léger », de venir assouplir tout ça. Voilà, c’est le mot, ça manque de souplesse.

Y a-t-il une vie après Thorinth ? Quels sont tes projets en matière de bande dessinée ? Dans d’autres genres ? Tu veux rester un « auteur complet » et travailler en solo ? Tu restes chez les Humanos ? Quoi, comment, avec qui ? On veut des scoops ! :-)
Nicolas Fructus : Si tu as un scoop, je suis preneur ! Non, je ne sais pas. Je suis toujours à cheval entre productions et travail en solo. Ce qui est sûr, c’est l’illustration. J’aime de plus en plus en faire. Pour la BD, les projets se bousculent encore, ce n’est pas clair dans ma tête. En plus, ce sont différentes tailles de projets. Alors lequel passera en premier ?… Et ça va de la collaboration au solo. Voilà ! je ne peux pas être plus Normand que ça ! (Si !?! encore un peu plus !?!)

Si tu étais un bédien (un habitant de la planète BD !), quelles seraient les BD que tu aurais envie de faire découvrir aux terriens ?
Nicolas Fructus : Le Garage Hermétique (le problème, c’est que c’est déjà une œuvre extraterrestre), Marc Antoine Mathieu, Bezian, De Crécy pour les plus jeunes, et toute la clique des 70’s de Moebius à Druillet, en passant par Bilal, et tous les autres joyeux dingues du même acabit. En fait, bien plus que des albums, ce sont les univers que ces gens-là ont su mettre en œuvre, mettre à plat.

Si tu avais le pouvoir cosmique de te téléporter dans le crâne d’un autre auteur de BD, quel serait celui (ou celle) chez qui tu élirais domicile ?
Nicolas Fructus : Moebius, à temps partiel, le plein temps étant impossible à cause de Giraud ! (je ne veux pas devenir fou, quand même ! )

Merci beaucoup Nicolas !