Depuis 10 ans, le dessinateur Olivier Grenson anime sur papier les aventures romanesques de l’espion-magicien Niklos Koda (le Lombard, Troisième vague). 10 ans et autant d’albums : le dernier opus, sorti en novembre dernier, marque la fin d’un cycle… prochainement suivi d’un renouveau. A l’ambiance ésotérique chère à Jean Dufaux (son scénariste, prolifique en la matière), Grenson ajoute un graphisme réaliste léché, un degré de raffinement récemment encore amplifié, en couleurs directes, dans La femme accident (Dupuis, Aire Libre)…
interview Bande dessinée
Olivier Grenson
Bonjour Olivier, pour faire connaissance, commençons par une question de présentation : qu'est ce qui t’a donné envie de faire de la BD ?
Olivier Grenson : L'envie de m'évader et de ne dépendre de rien d'autre que de mon imagination. J'avais une sensation de plénitude quand, étant petit, dès le lever, je pouvais passer des heures à dessiner. Il y a eu aussi, dès le départ l'envie de plaire, peut-être d'attirer l'attention... Je ne me suis pas rendu compte que je pouvais devenir auteur de bande dessinée (je parle d'avant mes dix ans). Il m'a fallu lire le livre de Vandooren (Comment devenir créateur de BD) pour me rendre compte que c'était un vrai métier.
Quel regard portes-tu sur ces 10 ans en compagnie de Niklos Koda ? Aucune lassitude ?
OG : Non, il y a une évolution constante du scénario, du développement des personnages et de la manière de les mettre en scène. Nous constatons aujourd'hui que le personnage n'a pas livré tous ses secrets, qu'il a encore un potentiel que nous pouvons développer et exploiter. Envisager une nouvelle saison, c'est surtout nous donner la possibilité de nous remettre en question et nous donner de nouveau challenge.
Ce 10e tome est il pour toi une véritable fin de cycle ?
OG : En tous cas, ce 10e album sera un point de repère. La fin du cycle permettra aux lecteurs de scinder la série, avant les retrouvailles avec sa fille et Valentina et après. Pour nous, c'était l'occasion de boucler une première boucle et de ne pas s'enliser dans d'interminables méandres narratifs. Et peut-être de créer une rupture qui dynamiserait la dramaturgie de la série. Il nous permet également de créer une rupture qui donnera aux personnages un souffle nouveau et une possibilité de faire évoluer Koda d'un seul coup ; à la fois dans le scénario, mais aussi dans le dessin. Le 11e Koda devrait pouvoir se lire comme un premier album !
Quelle orientation va prendre la série?
OG : Là, il faudrait poser la question à Jean Dufaux. Nous en avons bien sûr déjà discuté, mais c'est Jean qui a les cartes en main et c'est un peu tôt pour en dévoiler les grandes lignes. Nous devons encore préciser pas mal de choses. Jean n'a pas encore commencé l'écriture du scénario.
Peux-tu nous rappeler la genèse de ce projet ?
OG : Nous nous sommes rencontrés 5 ans avant de commencer à travailler ensemble. Cinq années qui nous ont permis de nous connaître petit à petit, de terminer des projets qui étaient entamés et d'entrevoir sous quel axe aborder une nouvelle série avec un personnage récurent, singulier et au centre des récits. Je ne me sentais pas prêt dès le début, pas à la hauteur pour travailler avec Dufaux , j'ai juste attendu le bon moment. Cela a coïncidé avec le lancement de la collection Troisième vague.
Comment fonctionne ta collaboration avec Jean Dufaux ?
OG : Je respecte et je suis toujours son scénario et son découpage. Toutefois le dessin participe à l'histoire, il amène une réécriture et un recadrage, il doit soutenir et renforcer le récit. Le dessin et ma mise en scène constituent parfois quelques petits changements. Mais le travail est intéressant parce que justement il n'est pas simplement l'exécution d'un scénario. Le travail de discussion sur le découpage constitue toujours une étape passionnante de la collaboration. Dufaux a l'art d'être vraiment à l'écoute de ses dessinateurs. Cela crée une symbiose indispensable dans une telle collaboration!
Qu'as-tu appris en travaillant avec lui ?
OG : La manière de Jean Dufaux de travailler sur la longueur est impressionnante ! Il donne à ses personnages une consistance toujours renouvelée, rien n'est jamais figé. Koda reste un personnage fort. Il n'est pas, comme pour certaines séries, le faire-valoir d'une intrigue ou le véhicule de l'histoire. Il a son évolution et il est le centre de chaque histoire. D'autre part, on retrouve dans Koda beaucoup de personnages secondaires qui ont de la force et de la présence. Ils se sont développés petit à petit, mais sont aussi attachants que le héros. Tous les personnages qui gravitent autour de Koda donnent à la série sa singularité. C'est ce qui me passionne encore aujourd'hui après dix ans de travail : l'évolution de cet univers particulier, étrange et magique… ou la famille a une place de choix.
A ton avis, qu'a apporté ton travail sur la Femme accident à Niklos Koda et réciproquement ?
OG : J'ai encore besoin de recul pour vraiment saisir les acquis déterminants de l'un sur l'autre. Ce qui est certain, c'est que je ne voulais pas m'enfermer dans une série. Il m'a fallu beaucoup de temps pour laisser Koda en suspend, cela s'est fait petit à petit. Mais aujourd'hui, il me paraît naturel de travailler sur différents projets. J'alternerai en choisissant des projets et des collaborations différentes. C'est très enrichissant et cela me donne la sensation de toujours apprendre. Je pense que c'est indispensable pour un artiste ou un artisan, de se remettre continuellement en question.
Quels rapports entretiens-tu avec tes personnages ?
OG : Evidemment , je passe énormément de temps avec mes personnages, beaucoup plus que Jean Dufaux ! Ce qui m'intéresse, c'est leur évolution et leur psychologie, souvent complexe et non manichéenne. Il y a certainement une projection. Pour que la collaboration scénariste-dessinateur marche, il faut aussi que je m'y retrouve. J'ai toujours considéré le travail sur les personnages comme un jeu d'acteur et il faut savoir tous les jouer. Mais ils font partie d'un tout : personnages, décors, ambiances particulières, couleurs contrastées…
Que penses-tu de la production BD actuelle ? Quelles séries suis-tu ?
OG : C'est une grande question, mais pour aller à l'essentiel, je pense que la bande dessinée évolue très bien. Elle a encore pas mal de chemin à parcourir et tant mieux, mais sa principale évolution est la diversité : diversité de genre (la bande dessinée d'auteur prend actuellement le devant de la scène) et d'autre part une diversité de format et de la pagination. La bande dessinée est plus métissée aujourd'hui, on retrouve un mix des cultures.
Quels sont tes projets ?
OG : C'est important pour moi de me ressourcer dans d'autres domaines et bien sûr les projets ne manquent pas. J'écris pour l'instant une histoire qui sortira dans la collection signé, en deux tomes. C'est une histoire de famille déchirée sur trois générations, une histoire d'amour, de culpabilité et de guerre… la guerre de Corée. Elle commence aujourd'hui à San Francisco et se poursuivra en Corée dans les années 50 et 70. Je termine aussi le deuxième tome de la Femme Accident, il devrait sortir en fin octobre 2009.
Si tu étais un bédien (habitant de la planète BD), quelles seraient les BD que tu aurais envie de conseiller aux terriens ?
OG : Le garage hermétique de Moebius, Feux de Mattotti, La porte d'Orient de Giardino, Bouche du Diable de Boucq et Charyn, Les Corto Maltèse, Maus, Cages de Dave McKean… Je suis aussi fan du travail de Georges Pratt… Oh il y en a tellement ! Dans les dernières parutions, Gipi pour "S" notamment, Là ou vont nos pères de Shaun Tan, Faire semblant c'est mentir de Dominique Goblet…
Es-tu un gros lecteur de BD ? Que penses-tu du cru 2009 de la sélection d’Angoulême ?
OG : Je ne suis pas un gros lecteur, et d'ailleurs, je ne suis pas gros :-) ! Je préfère lire des romans pour changer de médium. Mais je lis régulièrement, ne fusse que pour me tenir au courant. Quand je donne des cours de BD, je donne des références. Quant à la sélection, il y a les unanimités, incontournables : Winshluss et Bravo. Il y a les nominés pour faire plaisir aux éditeurs et pour ne vexer personne, mais il y a surtout beaucoup d'absents…
Si tu avais le pouvoir cosmique de rentrer dans la peau d’un autre auteur de BD (pour cerner sa démarche… ou toute autre raison inavouable !), lequel choisirais-tu ?
OG : MOEBIUS ! La découverte de son cerveau doit être au moins aussi fascinante que la découverte de l'Amérique… :-)
Merci Olivier !
OG : Merci et ravi d'avoir fait ta connaissance, au plaisir de se revoir !!!