Alors que l'exposition des planches originales du tome 9 de Pin-up se terminera le 23 décembre 2005 au Wagg (62, rue Mazarine - Paris 6e), les bédiens ont profité de l'évènement pour poser quelques questions aux deux papas de cette héroïne sexy. Yann (scénario) et Philippe Berthet (dessin) sont revenus sur le succès de leur Pin-up, sur la suspension (momentannée ?) de Yoni et ils nous confiés quelques secrets sur leur nouvelle série, Poison Ivy...
interview Bande dessinée
Yann et Philippe Berthet
Bonjour Yann et Philippe Berthet ! Pour faire connaissance, pouvez-vous nous résumer (très brièvement) votre parcours jusqu’à la genèse de Pin-up ?
Yann : Comme on est de la même génération, on a débuté au même moment dans les pages du journal Spirou, dans les années 70. A l’époque, le journal s’ouvrait à de jeunes auteurs tels que Conrad, Yslaire, Dodier, Le Gall, Jannin… On se bousculait dans les couloirs de la rédaction avec nos « fardes » (c'est-à-dire nos cartons, en Belgique) et on se fréquentait très souvent en dehors des bureaux. On allait au restaurant… On a même fait de la gonflette ensemble, autant dire qu’on est allé très loin ! C’est alors qu’on a cherché à faire une série en commun. Philippe avait déjà son univers, avec le Privé d’Hollywood. Il était déjà encré dans un certain style de BD un peu sexy, un peu glamour, centré autour du rêve américain. J’ai donc cherché à m’insérer là-dedans, en réfléchissant à ce que je pouvais apporter de plus au Privé d’Hollywood. Ce personnage ayant une solide paire de « burnes », je me suis donc dit que j’allais plutôt créer un soutien-gorge bien rempli ! On est parti d’un prototype de femme qui existait déjà dans Halona, une BD que Philippe avait réalisée en solo. C’était un personnage secondaire, une jeune flic indienne très sexy, qui m’avait alors tapé dans l’œil. Ma petite idée était alors d’inventer un passé, une vie aux pin-up qui étaient peintes sur les carlingues d’avion. Que pense une femme qui a posé pour un dessinateur et qui découvre que son image a été reprise sur une forteresse volante qui a massacré des milliers de personnes ? La problématique de départ part de là. Ensuite, on l’a faite exister à travers tous les grands mythes du rêve américain.
Comment Pin-up est-elle passée d’un premier cycle de 3 albums à une série à part entière ?
Yann : Au départ, on a été prudent. Pin-up concrétisait mes premières armes dans un style réaliste. On s’est donc donné le temps d’un cycle de trois albums et de voir le résultat. Déjà, 3 albums, ça nous paraissait un solide galop d’essai. Ensuite, le succès aidant, Dottie s’est dotée d’une plus grande profondeur psychologique, elle a acquit en maturité. En fait, la maturité des auteurs se ressent à travers la maturité du personnage et inversement. Au fur et à mesure des albums, elle a pris de la bouteille. On la découvre au départ en ouvreuse de cinéma amoureuse de son GI et aujourd’hui elle est très loin de cette problématique là. C’est intéressant de voir comment elle a réagi aux évènements et ce qu’elle en a retenu. On est arrivés à un personnage qui, quand on connaît son passé, est d’une grande complexité et, je l’espère, d’une grande réalité. Je suis assez fier de cette série, car en 9 albums, on a réussi à étoffer un personnage, à lui créer une vie.
Philippe Berthet : Après la première trilogie, s’est posée la question de savoir vers quoi on allait faire évoluer le personnage. Est-ce qu’on ne profiterait pas d’une deuxième trilogie pour faire évoluer le genre de la série ? La deuxième trilogie s’est donc concentrée sur le thème de l’espionnage, puis ensuite vers un thème plus polar. Ainsi, à l’intérieur d’une même série, on explore des genres narratifs différents.
Deux cycles de 3 tomes, puis un cycle de 2 tomes, puis à présent un one-shot… Pourquoi les histoires de Pin-up se raccourcissent-elles ainsi ?
Philippe Berthet : On est tout simplement confrontés aux réalités éditoriales : une trilogie, ça demande aux lecteurs, premièrement d’attendre trois ans pour avoir la conclusion de l’histoire, et deuxièmement d’acheter trois bouquins pour avoir une seule histoire. On s’est même rendu compte que beaucoup achètent le tome 1 et puis attendent ensuite la sortie du tome 3 pour acheter le tome 2. On a donc réajusté le tir pour être plus proche de la demande des lecteurs. Du fait, on a tout de même livré 54 pages au lieu de 46, et du coup le récit a gagné en densité et en nervosité. Je pense que c’est mieux perçu ainsi.
Comment avez-vous glissé ensuite de la série Pin-up vers la série Yoni ?
Philippe Berthet : Il faut faire attention, quand on développe une série sur plusieurs tomes, à ne pas faire du sur-place ou de la redondance. On a éprouvé le besoin, tous les deux, de trouver un moyen de sortir de cet univers là. Par contraste, on a choisi le personnage de Yoni, carrément à l’opposé. Autant Dottie représente le passé américain avec tout le côté glamour, autant à travers Yoni, on a cherché à imaginer un futur proche. L’idée au départ, c’était ensuite d’alterner les Yoni et les Pin-up, de manière à se régénérer à chaque fois et de revenir à la série avec un œil nouveau, enrichi de ce qu’on a fait dans un autre domaine.
A travers Pin-up, mais surtout Yoni, vous n’hésitez pas à parler de sexualité de manière frontale. Quelle est la finalité recherchée ?
Yann : J’ai tout simplement essayé de suivre l’évolution des mœurs de la société d’aujourd’hui. Les publicités actuelles, par exemple pour les parfums, sont d’une incroyable audace comparées à celles des années soixante. Ce sont des attitudes qui évoquent parfois carrément la sodomie, avec un érotisme qui aurait fait peur à Hugues Hefner (à l’époque patron de Playboy). Alors que les photos dans les premiers Playboy étaient très chastes. On s’en moque d’ailleurs beaucoup aujourd’hui ! De nos jours, il y a une telle banalisation de la sexualité, que pour un futur relativement éloigné, on a pris le parti d’imaginer une banalisation encore plus grande. Ce qui a hélas été perçu pour de la vulgarité. C’était pourtant juste une volonté de banaliser la chose. De même, un autre aspect qui a été assez mal pris par les critiques, c’est la « franchouillardise » de certains propos. Il faut savoir qu’à Las Vegas, on donne des cours de diction française, telle que les américains imaginent que l’on parle dans l’hexagone. Résultat, les américains qui imaginent les français avec un canotier sur la tête et des maillots à rayures, causent comme dans les films de Maurice Chevalier, c’est totalement ridicule. On a donc voulu aller plus loin dans le ridicule, en exagérant cet aspect, et les lecteurs ont tout simplement trouvé ça… ridicule ! Il aurait presque fallu un préambule de 6 pages pour expliquer nos intentions. On a pourtant pris le soin de situer le contexte dans 2-3 planches en intro du premier Yoni. Ça nous a pris un temps incroyable et c’est tombé complètement à côté de la plaque…
Yoni, Dottie, Tigresse blanche… Vous préférez les personnages féminins ?
Yann : J’épanouis mon côté féminin à travers mes héroïnes. En tant que scénariste, je vis au travers de ce que je raconte et partant de là, j’en profite pour mettre de l’exotisme dans mon quotidien. Je préfère que ce soit à Hong-Kong plutôt que dans un quartier de Bruxelles. De même, je préfère animer une femme plutôt qu’un homme que je vois tous les jours dans la glace !
Philippe Berthet : Pin-up est d’abord lu par des hommes, parce que le public lecteur de bandes dessinées est majoritairement masculin. Mais on a également des retours très positifs de la part des femmes. Elles ont le sentiment que le personnage est vraisemblable, réaliste, et pas seulement une poupée gonflable qui est agitée d’albums en albums.
Subissez-vous des contraintes narratives, ou des censures de la part des éditeurs ?
Yann et P. Berthet : Absolument pas, nous sommes totalement libres.
Philippe Berthet : Mes dernières censures remontent à ma collaboration au journal de Spirou, dans les années 80.
Yann : j’ai eu quelques censures à l’époque de Nicotine Goudron chez Albin Michel, parce que j’allais trop loin. Mais cela faisait partie de la commande : aller le plus loin possible. Ne rien se refuser était plus un challenge qu’une censure, cela faisait partie du jeu.
Yann, après avoir collaboré à une trentaine de série, pourquoi passez-vous seulement maintenant à l’anticipation, à travers Yoni ou Narvalo ?
Yann : La science-fiction ne m’intéresse absolument pas en fait. Dans Yoni, on s’est fixé le parti pris de ne rien inventer. Tout ce qu’on a mis en scène existe aujourd’hui ou est en cours de développement, tout au moins à l’état de prototype. Par exemple, on trouve déjà le « robosuck » sur Internet aujourd’hui. La voiture qui parle et qui vous réveille par exemple quand vous êtes en train de vous endormir, existe déjà. On s’est interdit toute science-fiction. Même les sous-marins ultra rapides, qui sont un peu l’équivalent du Concorde mais sous la mer, existent. On a essayé d’être très proche de la réalité, de ne pas trop spéculer, de ne rien inventer de manière arbitraire.
Quel est l’avenir de vos séries ?
Philippe Berthet : On continue Pin-up, bien entendu, mais Yoni, vu le peu d’enthousiasme que la série suscite, j’arrête. C’est une série qui continuera peut-être, mais sans moi. Je ne veux pas m’entêter, mais autant faire des choses qui plaisent aux lecteurs et qui soient plus satisfaisantes pour moi. Ce n’est pas plus grave que ça. Avec Yann, on est repartis sur une nouvelle série, issue de la série Pin-up et succinctement présentée en dernière page du tome 9. Ce ne sera pas la jeunesse de Dottie, mais la jeunesse de « Poison Ivy », le personnage des strips de la première trilogie de Pin-up. On a essayé d’imaginer comment ce personnage typé patriotique est arrivé à maturité et tel que les lecteurs le connaissent.
Le style graphique de cette nouvelle série adoptera celui de cette illustration ?
Philippe Berthet : En dernière page, il s’agit surtout d’un « rough ». Mais ce sera peut-être la couverture du premier tome. Graphiquement, cette série ne sera pas aussi réaliste que Pin-up, mais plus dans un esprit comics américain. Le personnage aura des super pouvoirs, le ton sera donc surtout plus léger, plus fantaisiste.
D’un point de vue général, Philippe, Berthet, sans vouloir remettre en question ton style graphique limpide et réaliste, qui nous plait beaucoup, tu n’as jamais essayé de changer ta manière de dessiner ?
Philippe Berthet : Je dessine comme je dessine, on ne décide pas de ces choses là. De temps en temps, je fais des croquis en essayant de changer… mais au final, je reviens toujours au style Pin-up. Sur le rough de Poison Ivy, mon style est un peu plus caricatural, quoique je ne sois pas vraiment un dessinateur humoristique ! Je pense qu’il ne faut pas aller contre sa personnalité. Ce qui me préoccupe de plus en plus, c’est de RACONTER en bande dessinée. J’ai passé des années et des années en suant un maximum sur des problèmes de dessins. Cela, les lecteurs ne le ressentent pas en lisant l’album une fois terminé. Mais je me suis beaucoup dépensé à essayer de RESOUDRE les choses. Aujourd’hui, j’ai tout de même acquis une certaine maturité graphique. J’ai envie de prendre un maximum de plaisir, c'est-à-dire de vraiment raconter en dessinant. Mon dessin est enfin totalement au service de ce que les scénaristes me proposent, je n’ai plus peur de ce qu’ils vont me faire dessiner. Ce plaisir allié à la rapidité d’exécution, je me sens aujourd’hui plus dans la narration que dans le dessin lui-même.
Quels sont vos autres projets au sein du 9e art ?
Philippe Berthet : Personnellement, je suis donc tout d’abord concentré sur les deux albums à venir de Poison Ivy. Ensuite, j’ai un projet de one-shot avec Thierry Robberecht, qui a déjà fait 2-3 choses chez Casterman.
Yann : Quant à moi, il y a les suites des suites des suites de toutes mes séries… Sinon, en projet, j’ai quelques albums avec Joël Parnotte (qui fait déjà les Aquanautes) et dont un est fini depuis pas mal de temps. Cela se passera en Bretagne au XVIIIe siècle avec une histoire de naufragés… Bref, ce sera dramatique, avec de superbes couleurs et ce sera publié chez dargaud. Et puis chez Delcourt, j’ai une nouvelle série en projet, avec un jeune dessinateur qui n’a encore rien publié et qui s’appelle Hervé Nau. Ce sera une BD pour fille, avec une héroïne un peu timide et effacée (et oui, encore une héroïne !), qui n’aura pas la réserve d’énergie d’une Dottie. Et là aussi, la couleur sera magnifique. En fait, la couleur est une question primordiale pour moi. Je ne supporte plus de voir des BD colorisées de manière impersonnelle, sans qu’il y ait une véritable implication du coloriste dans le récit. Ça peut casser une ambiance que la couleur ne soit pas en adéquation avec l’histoire. C’est une composante créative très importante.
Si vous étiez un bédien, quelles seraient les BD que vous aimeriez conseiller aux terriens ?
Yann : Ce serait un manga, Seizon life, en trois tomes, que j’ai trouvé véritablement génial et qui fait aimer les mangas à ceux qui n’aiment pas les mangas.
Philippe Berthet : L’age de raison de Mathieu Bonhomme.
Si vous aviez le pouvoir cosmique de vous téléporter dans le crâne d'un autre auteur de BD, chez qui auriez-vous élu domicile ?
Philippe berthet : Sans rire, il y a des gens qui répondent à cette question ?
Yann : (en riant) J’avoue que ça m’intéresserait bien d’être un moment Anna Miralles…
Merci Yann et Philippe !