L'histoire :
Mardi 21 août 1781. La Marie-Caroline a quitté les côtes du royaume de Juda et fait voile vers Saint-Domingue, ses cales emplies d’esclaves. Du « bois d’ébène », comme on dit. Tout pourrait être parfait mais l’équipage remet à la mer ce matin le corps de son capitaine (victime d’une mauvaise chute un jour passé). Le commandant en second, Bernardin, est désormais en charge du navire. Le personnage est détestable et l’atmosphère à bord s’en ressent. Bernardin méprise les femmes et encore plus les nègres. Alors quand Alihosi lui refuse ses faveurs lui jetant au visage le café brûlant destiné au jeune François Vignebelle – trop occupé à s’occuper de Mary (ou Mary à s’occuper de lui) – son sang ne fait qu’un tour. Alihosi a cru aux paroles protectrices de sa maîtresse ; 100 coups de fouets lui enseigneront qu’en mer, le capitaine reste seul maître à bord. Un matelot aurait été pendu pour ce geste ; Alihosi n’est « que » fouettée devant tous sur le pont. Le verbe d’Isa lui vaudra même 10 coups supplémentaires ! Bernardin entend mâter jusqu’à la moindre étincelle de protestation. Encore vive après le châtiment, Alihosi est soignée et demande à voir Isa. En preuve de ressentiment, la nègre crache à la figure de sa maîtresse ! Entre elles deux, le divorce est consommé. Isa ne le sait que trop bien –même si elle en vient aux mains après les paroles vraies d’Hoel – son comportement a été préjudiciable à sa protégée (…). La Marie-Caroline poursuit sa route en direction des îles américaines. L’équipage diminue dangereusement – le lieutenant Chenier ayant succombé à une fausse manœuvre. Le temps se gâte. Le mauvais œil semble sur le vaisseau…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avec l’annonce d’un 6ème volume à paraître – La petite fille bois-caïman – ce 5ème album au titre somptueux (et pourtant d’une réalité toute contraire) ne conclue plus la série. Il la « pré-conclue » cependant brillement, en une sorte de huis clos marin haletant en des termes comparables à ses débuts. En résumé : un apothéose ! Ne s’encombrant ni ne s’interdisant nul « au revoir » (en rapport avec ses personnages), François Bourgeon se laisse libre de surprendre son lecteur à tout moment. Trois personnages en ressortent grandis : Isabeau bien sûr, car après tout elle a été, demeure (et demeurera ?) l’héroïne, la figure de la féminité sensuelle et libérée, et ainsi si désirable ; Alihosi aussi, l’esclave nègre qui à l’inverse d’Aouan met ses pas dans ceux de sa maîtresse jusqu’à la rébellion ; enfin étonnement, le cuistot « Gueule-de-tangon », clin d’œil peut-être à Stevenson et son Ile au trésor, référence du genre flibuste (…). D’autres prennent du recul, l’entérinent ou y sont appelés : Hoel que longtemps déjà la maladie a éloigné du devant de la scène, et d’Isa imperceptiblement ; ou encore Mary, l’amie volage et « ennemie » qui fut plus qu’un substitut à Agnès perdue dès les débuts (…). Mais le morceau de bravoure de l’album reste la réflexion ouverte en second plan sur l’esclavage. Bourgeon ne fait fi ni des idéaux qu’il place dans la bouche de son héroïne, ni des réalités rappelées par Hoel, par exemple, et par la force des événements. Lorsque se referme cette aventure arrivée en port de Saint-Domingue des îles d’Amériques, reste un portrait de femme, un morceau de bravoure. Isa, petit bout de femme seule face à l’océan. Forte, belle et si fragile à la fois. L’espace d’un instant, elle, on eut oublié qu’elle n’avait, en ce mois de mars 1782, que dix-huit ans… Dans un ultime éclat de rire libérateur, sous un déluge régénérateur, s’ouvre une nouvelle page à écrire et se referme donc une aventure belle et vraie. Plus qu’une aventure divertissante, Les passagers du vent sont le portrait d’une époque, d’une femme, d’une contemporanéité. Une ode à la vie cruelle et si pleine d’espoir à la fois. Une espérance à venir, à l’image du regard d’Isa sur la couverture retravaillée pour cette réédition du Bois d’ébène aux éditions 12 BIS…