L'histoire :
En 1983, un violoniste turc, prodige selon les milieux spécialisés, se produit dans une salle parisienne de concerts. Entendant les premières notes, un vieil arménien se dresse dans le public, le visage crispé, et fait un malaise cardiaque. Il prononce alors quelques mots, énigmatiques : « …le cahier à fleurs… » Quelques jours plus tard, par courtoisie, le violoniste prodige rend visite au vieil homme à l’hôpital et l’interroge sur ce qu’il sait de ce cahier à fleurs. Le vieillard lui impose alors d’écouter le récit de son enfance tragique... bon gré mal gré, car le jeune turc a nié la veille le génocide arménien, au cours d’un talk-show télévisé. En 1915, son père est luthier dans une petite ville d’Anatolie orientale, une région annexée par la Turquie. Sa sœur ainée, Mayranouche, est alors une virtuose du violon. Sa famille nourrit d’ailleurs pour elle, quant à la maîtrise de cet instrument, de belles ambitions. A cette époque, l’aigreur des turques envers les arméniens s’amplifie et les relations sont plus que tendues. Les villageois ont raison de s’inquiéter : un matin à l’aube, tous les chefs de famille sont convoqués à la préfecture. Deux jours plus tard, aucun n’est revenu. Devant l’inquiétude des femmes, vieillards et enfants, une autre annonce impose à ces deniers de quitter le village, officiellement pour être « protégés »…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Après la shoah et la guerre d’Algérie, Laurent Galandon poursuit dans la thématique de la « Mémoire » dont il est en train de faire le spécialiste. Dans la lignée des ethnies opprimées au cours du XXe siècle – tziganes, juifs, algériens – voici à présent les arméniens. Curieusement, cette histoire emprunte globalement la même trame que le 4e volet de la saga des Fleury-Nadal de Frank Giroud (Anahire). Il n’est certes pas question de taxer l’un ou l’autre de plagia, mais il y a, semble t-il, des sources de documentations communes. Il faut dire que la reconnaissance du génocide arménien par le gouvernement turque est dans l’air du temps : la communauté internationale presse actuellement en faveur de cet « aveu » public. De ce travail de mémoire nécessaire dépend d’ailleurs nombre d’engagements géopolitiques qui peuvent façonner notre XXIe siècle. Commencé au présent sur la problématique de la négation, le récit bifurque rapidement vers un large flashback, à travers lequel il nous est donné de suivre la descente aux enfers, nourrie d’authenticité, de deux enfants arméniens en 1915. Pour mettre en scène ces souvenirs abominables, qui dureront le temps d’un diptyque, Galandon s’appuie sur le joli dessin réaliste de Viviane Nicaise. Rarement la dessinatrice aura atteint une telle justesse, en harmonie avec le sujet. Avec peu de mots et beaucoup de sensibilité, les auteurs parviennent à transmettre limpidement un propos d’une gravité extrême. Parcimonieux, les dialogues sonnent justes ; cadrages et découpage insufflent un rythme de lecture équilibré ; la violence nécessaire n’est jamais voyeuriste… L’ouvrage n’hésite pas, parfois, à livrer des planches muettes, parfaitement explicites. Les postures, les regards, des scènes insupportables sont alors d’une indicible éloquence. A noter : pour aller au bout de leur démarche, les éditions Bamboo et le CCAF (Conseil de Coordination des Arméniens de France) mettent à disposition des milieux scolaires un livret pédagogique…