L'histoire :
Deux lecteurs de comics passionnés papotent dans la librairie spécialisée BD. L’un n’en démord pas : Batman n’est pas un super héros comme les autres, car il n’a pas vraiment de super pouvoir. L’autre que ses collants, sa tenue, ses ustensiles, son idéal de justice en font par essence un super-héros. L’autre répond que tout ça, c’est juste parce que Batman est très très riche. Or ça, par hasard, ce ne serait-il pas un super pouvoir ?
Les héros de l’âge d’or de la BD s’expriment au sujet de la reprise de leurs séries par de nouveaux auteurs. Astérix trouvent cela très bien, par Toutatis, puisque les lecteurs en redemandent. Spirou explicite qu’il se métamorphose ainsi beaucoup, mais que son créateur originel avait lui-même beaucoup transformé son univers au fur et à mesure. Une ombre chinoise anonyme ressemblant à Tintin (et Milou) exprime quant à lui son désir de mourir avec son créateur. Enfin, Gaston baille à l’idée de devoir reprendre du service… Et qu’en pense le libraire ?
Des lecteurs seniors (des petits vieux, quoi) défilent devant la caisse enregistreuse du libraire, l’un pour acheter une intégrale Macherot, l’autre pour des rééditions de Boule et Bill, la troisième pour on ne sait quoi, tellement elle est sourde… Dans ces conditions, peut-on affirmer que la BD connecte réellement le libraire au monde de l’enfance ?
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Le titre et la dernière de couv ne font pas mystère de l’orientation générale que prennent les strips verticaux de ce 7ème Animal lecteur : le libraire spécialiste et sa « BD Boutik » sont en faillite, doublement touchés par la baisse du pouvoir d’achat que les lecteurs consacrent aux loisirs et par la concurrence d’Amazon et d’Internet. Or l’impact de cette mue économique s’est effectivement prolongé jusque dans les ventes de la série Animal lecteur elle-même. La 4ème de couv ironise (jaune) derrière l’annonce des titres à paraître : « Plus rien, la série est finie, si vous aviez été plus nombreux à acheter les albums, on aurait volontiers continué ». Rarement mise en abyme aura été aussi cruelle. Un lourd parfait de nostalgie habite donc les dernières pages de ce dernier volume, lors de la prise de conscience du libraire à mesure que la date fatidique de fermeture définitive approche, et notamment lorsqu’il se demande comment annoncer cela à son fils… Tout un symbole. Pour autant, l’inspiration comique de Sergio Salma demeure d’excellent niveau et de très bon goût. A aucun moment son personnage ne se pose en victime amère, à aucun moment il ne reporte sa banqueroute sur les responsables de cet état de fait. Il en va ainsi de tous les secteurs économiques depuis l’aube de l’humanité : ils muent, abandonnant toujours leurs victimes sur les bas-côtés. Salma singe donc toujours la versatilité des « consommateurs », l’épuisement et la répétition du métier, et en appelle aux madeleines de Proust pour expliciter le mécanisme de pulsion et de passion de la BD. C’est fin, c’est drôle – surtout à travers le dessin caricatural et les trognes débiles déterminées par Libon – et c’est aussi super triste que ce soit fini. Mais c’est la vie. Carton rouge à celui qui achètera ce bouquin via Internet.