L'histoire :
En 1920, dans un Moscou tout juste sorti de la révolution, le jeune fils d'un ambassadeur américain a pris fait et cause pour l'idéal soviétique. Passionné d'art et étudiant lui-même, Walter participe aux ateliers libres animés par Kandinsky, un des fers de lance de la peinture moderne, qui déboulonne les anciennes valeurs de l'art figuratif. Lors d'une exposition consacrée à Malevitch, le plus radical des artistes révolutionnaires, Walter reste perplexe devant un « Carré noir sur fond blanc ». Son étonnement n'est pas du goût de la jeune Natalia, emballée par la remise en cause totale des valeurs traditionnelles et bourgeoises que représente la toile abstraite. Pourtant, les deux jeunes gens se sont déjà rencontrés, dans Petrograd en pleine révolte, quelques années plus tôt, et souhaitent secrètement se rapprocher l'un de l'autre. L'occasion leur en est donnée lorsque Kandinsky leur propose de partir tous deux à bord de l'Etoile Rouge, un train qui va traverser le pays pour apporter l'art et la culture aux contrées reculées. Démarre alors pour les deux idéalistes une épopée révolutionnaire, doublée de la confrontation avec une réalité parfois très concrète...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Après quelques premières pages un peu confuses, multipliant les plans compliqués au milieu du Palais d'Hiver de Pétrograd, le récit d'aventure concocté par Jack Manini et Olivier Mangin trouve un très bel équilibre et devient rapidement passionnant. Le thème de la propagation de l'idéal artisitique officiel au cœur de l'URSS naissante est très original et donne aux aventures de Walter et Natalia une vraie profondeur. Leur touchante naïveté qui se heurte, petit à petit, à des désillusions personnelles, est une forme intelligente de prise de recul, qui laisse un espace d'analyse et d'interprétation au lecteur. Difficile à ce stade de savoir jusqu'où leur conviction va résister, face aux dures réalités qui les attendent. Mais les auteurs n'en disent pas plus pour le moment, ce qui crée une forme de suspens tout à fait particulière. Les rencontres avec les artistes clés de cette époque sont également un régal, qu'il s'agisse de l'enthousiasme partagé de Kandinsky, de la radicalité plutôt antipathique de Malevitch, ou du sort qui sera réservé à un Chagall pas assez abstrait. C'est donc un très intéressant récit historique qui nous est proposé ici, doublé d'une relation complexe entre deux jeunes gens passionnés. Il y a clairement une tendance de la BD actuelle de choisir d'ancrer les récits dans un contexte historique documenté. Mais lorsque c'est fait avec maturité par deux auteurs qui maîtrisent leur sujet et leur art (sublimé par les très belles couleurs de Bérengère Marquebreucq), cela permet au lecteur d'élargir ses horizons de manière tout à fait ludique. Alors ne boudons pas notre plaisir...