L'histoire :
Curtis Hughes est le père de Louis Hughes, alias Loop. Paumés, les deux personnages le sont assurément. Curtis passe sa vie à récolter les dettes d’un prêteur sur gages véreux. Son fils Louis, lui, vit seul avec une mère qui l’a élevé seul et qui ne cesse de répéter que son père n’était pas un truand mais une brute. Un beau jour, l’agent Graves débarque dans la caisse de Louis et lui explique que si sa vie est aussi minable, c’est en partie à cause de son père, un père absent qu’il n’a jamais rencontré mais auquel il pense chaque jour. Graves lui propose donc « de saisir sa chance ». Le deal : tuer son père à l’aide de cent cartouches non identifiables et étancher sa soif de vengeance. Mais que cherche au juste ce mystérieux agent Graves ? Le petit Louis n’est pourtant pas un truand. Mais guidé par sa seule rage, il se rend au domicile de son père pour lui régler son compte. Ni une ni deux, Louis pointe son flingue sur le visage de Curtis et promet de mettre fin à ses jours dans trois secondes…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Tandis que paraissent simultanément les rééditions des tomes 3 et 4 de ce classique du polar noir hardboiled, l’éditeur Urban Comics a eu l’idée astucieuse d’insérer dans les premières pages un schéma récapitulatif des liens et mécanismes qui sous-tendent le fonctionnement des nombreux personnages de l’histoire. C’est vrai qu’on s’y perdrait entre le Trust, puissant cartel en guerre, et les Minutemen, son ancienne garde rapprochée. Sans oublier au milieu des agents indépendants plus ou moins paumés, plus ou moins hantés par leur passé, plus ou moins marginalisés. Sans compter sur l’inévitable et énigmatique agent Graves muni de son attaché-case, dont on sait qu’il obéit à un code moral très précis sans savoir au juste quelques sont ses motivations profondes. Tout en conservant la complexité du scénario et en multipliant les figurants pris au piège d’une conspiration qui les dépasse, Azzarello réussit à nous captiver sans nous perdre, par ses dialogues ciselés d’une grande fluidité, ses micro-intrigues classiques mais riches en surprises, son sens pêchu de la narration et de la composition psychologique des personnages, entre armoires à glace aux veines saillantes, petites frappes de bas-étage en quête de respectabilité et mafieux à la diabolique duplicité. Les différentes parties de la machination se dévoilent peu à peu et le plan de Graves se précise, suggérant l’idée de possibilités narratives infinies. Il est toujours question de vengeance et de trahisons, de guérilla urbaine et de retournements inattendus, mais aussi de baseball et de gros billets verts. Difficile à résumer mais diablement prenant. La partition graphique emporte elle aussi l’adhésion : encrages efficaces et puissants, proportions à peine exagérés, regards noirs de tueurs, réalisme des giclées de sang, expressivité des gueules, le tout dans des décors poisseux (le plus souvent) ou luxueux, tripots minables ou hôtels quatre étoiles peuplés de filles faciles, territoires d’une effrayante justice immanente où règne l’implacable loi du Talion. Résultat : on flippe, on saigne, on sue à grosses gouttes…et on en redemande !