interview Comics

Al Ewing

Bonjour Al Ewing, peux-tu te présenter et nous dire comment tu as commencé à travailler dans l'industrie des comics ?
Al Ewing: J'ai commencé en travaillant pour dans le magazine 2000AD qui est probablement le plus ancien comics britannique encore en circulation aujourd'hui - il a commencé à paraître en 1977 - même si je suppose qu'il faut aussi prendre en compte des titres comme Beano et d'autres. Mais 2000AD est un des principaux. Et ce qui rend cette expérience particulière, vis-à-vis des autres façons de débuter dans les comics, est que 2000AD accepte les candidatures spontanées : on peut soumettre soi-même ses comics et dessins, ce qu'on ne peut pas faire avec Marvel, DC Comics ou n'importe qu'elle autre compagnie. En général, on ne les contacte pas, ce sont elles qui vous appellent. Tandis qu'on peut envoyer autant de matériau qu'on souhaite à 2000AD et c'est ce que j'ai fait. Je leur ai donc envoyé un script pour - et c'est comme ça qu'à peu près tous les dessinateurs et scénaristes travaillant pour 2000AD ont commencé - un "Future Shock", une série d'histoire de science-fiction - et parfois d'horreur - de 5 pages avec une genre de twist surprenant dans sa conclusion. Je leur en ai donc envoyé un et, quelques mois plus tard, ils m'ont contacté pour me dire qu'ils avaient bien aimé mon histoire. A l'évidence, il y avait encore un peu de travail à faire mais bon, ça a commencé comme ça. Par la suite, je leur ai envoyé de plus en plus de scripts et, une fois qu'on a publié suffisamment d'histoires courtes, on vous confie une série puis, après quelques séries, on te fait assez confiance pour éventuellement te demander de pitcher un Judge Dredd. Finalement, mon travail auprès de 2000AD a attiré l'attention de certains éditeurs américains. ça ne s'est pas fait du jour au lendemain non plus, ça s'est fait au bout de peut-être dix ans et je ne dirais pas que mon parcours garantirait encore aujourd'hui de réussir dans ce métier. Mais, bon. Je crois que ce qui m'a fait remarquer, ça a été Zombo, la série que j'avais écrite avec Henry Flint, avec un héros mi-humain, mi-zombie. C'est un comédie horrifique avec une ambiance très anarchique, très chaotique et dingue. Et ce comics avait circulé entre les mains de quelques éditeurs américains. C'est là qu'est intervenue Kelly Sue DeConnick, qui travaille aujourd'hui sur Captain Marvel et avait à l'époque écrit Bitch Planet pour Image Comics. A ce moment-là, elle travaillait sur un gros crossover impliquant Captain Marvel et elle été trop accaparée pour pouvoir gérer certains tie-ins avec de gros events Marvel - je crois qu'il s'agissait alors d'Age of Ultron - et la compagnie m'a donc demandé si je souhaitais écrire quelques uns de ces tie-ins, histoire de voir de quoi j'étais capable. Et, apparemment, ils ont apprécié ce que j'ai fait puisqu'ils m'ont par la suite confié des séries régulières. Voilà comment j'en suis arrivé à travailler sur Mighty Avengers, Loki, etc.

Quelles sont tes influences ?
Al Ewing: Je dirais que John Wagner a eu une grande influence sur mon travail. C'est lui qui a créé Judge Dredd. Pat Mills, aussi. Je citera aussi Stan lee et Jack Kirby, en tant qu'influences majeures. Je pense au travail d'auteur de Kirby, travail que l'on néglige souvent. Il y avait une poésie particulière à ses dialogues, on qualifie ça aujourd'hui de "word jazz" [NDT: "jazz des mots"]. C'est très poétique, rempli de symboles, de déclamations... Les personnages de Kirby ne parlent pas vraiment, ils déclament et mettent en avant ce langage poétique. Et je crois qu'à l'époque il y avait une grande tendance au réalisme à l'opposé de laquelle Kirby s'est retrouvé. Je trouve ça tragique car il était très en avance sur son temps et sur le notre, même. Or je trouve que ça a sa place, en particulier dans les comics de super-héros. Quand on amène trop de réalisme dans les comics de super-héros, ça a tendance à tout plomber, à tout mettre en marron et en gris. Je pense qu'au contraire il faut y mettre beaucoup de couleurs, d'onomatopées, tout ça en complément des dialogues. Donc oui, Jack Kirby a eu une grande influence sur mon écriture.

Ces derniers temps, tu as beaucoup travaillé pour Marvel. Quelles sont, à tes yeux, les principales différences sur le plan éditorial entre Marvel et 2000AD ?
Al Ewing: En termes d'édition, les deux ont leurs points positifs et négatifs. Je dirai que ce qui distingue Marvel des autres éditeurs est ce que l'on appelle "le style Marvel". ça revient à rédiger le scirpt, le transmettre au dessinateur qui illustre ce script et c'est ensuite seulement que l'on ajoute les dialogues, une fois les illustrations terminées. On a donc en main l'aspect final de la planche au moment où on écrit les dialogues. Tu as déjà, a priori, définit certains éléments de dialogues à l'avance, tu sais de quoi vont parler les personnages sur telle ou telle page mais c'est une fois que tu reçois les dessins que tu vas réellement t'y attaquer et écrire les dialogues pour qu'ils correspondent au mieux aux différentes expressions. En raison de ses délais très courts, c'est impossible de procéder ainsi sur 2000AD, il faut travailler d'emblée avec un script complet. C'est un hebdomadaire avec le plus souvent cinq séries à livrer. C'est un rythme effréné et je ne pas encore essayé d'écrire pour Marvel à la mode 2000AD. Par contre, l'avantage de 2000AD par rapport à Marvel c'est qu'on peut faire à peu près ce que l'on veut. Chez Marvel, on travaille dans un cadre précis, C'est un univers très vaste dirigé par plusieurs personnes. On ne fait que participer à l'expansion de cet univers, ton rôle est limité à un des multiples engrenages de cette immense machine. Bien sûr, au sein du cadre qu'on t'a donné, tu peux faire ce que bon te chante mais on est loin de la liberté totale dont on bénéficie auprès de 2000AD. Si tu fait une série pour 2000AD, c'est ta série à toi. Damnation Station, par exemple, je voulais en raconter l'histoire - qui se passait dans l'espace - en deux cycles et, dans le second cycle, j'ai tout conclut en faisant tout sauter et en ne laissant rien derrière. Et je ne pense pas pouvoir faire la même chose chez Marvel, pas à ce point. Si j'étais mieux placé que je ne le suis dans la hiérarchie alors peut-être que je le pourrais mais, même si c'était le cas, il y aurait forcément une porte ouverte, un moyen de revenir sur les faits et de réinstaurer une sorte de statu quo. C'est comme ça que fonctionnent, en quelque sorte, ces deux monstres. Mais je ne me plains surtout pas de la méthode Marvel, on a quand même la possibilité de faire beaucoup de choses chez eux. C'est juste qu'il y a malgré tout des limitations à ce qui est possible d'écrire que l'on ne trouve pas chez 2000AD.

Dans quelle mesure est-ce que les différents events et crossovers qui prennent place chez Marvel affectent ta liberté dans l'écriture d'une série individuelle ?
Al Ewing: Il y a des répercussions. Mais on reçoit de nombreux avertissement, bien à l'avance, avant ce genre d’événements. On se voit souvent offrir la possibilité d'ignorer l'event, sauf dans le cas où la série ou le personnage joue un rôle clé. Par exemple, Loki occupe un rôle très important dans Axis et il a donc fallu inclure l'event dans la série. Mais pour Original Sin, j'ai demandé à prendre part à l'event. ça a demandé des arrangements dans les scénarios mais, étant donné l'implication de Thor dans Original Sin et son secret révélé, la participation de Loki avait du sens. Le truc, avec les crossovers, c'est que d'un côté ils sont effectivement un peu gênants mais, d'un autre côté, ils amènent un nouveau lectorat à lire ta série. ça ressemble à un pacte avec le diable : tu t'impliques dans le crossover et, en échange, tu as de nouveaux lecteurs. En tous cas ça marche dans ce sens là. Peut-être que ça change, cela dit, peut-être que les gens s'en lassent un peu. Mais bon, on verra. Je pense que ça prendra du temps pour que les choses changent. Ce qu'il y a, aussi, c'est que 9 fois sur 10, tu es averti bien à l'avance et tu vas donc avoir beaucoup de temps pour t'y préparer. Généralement, tu prépares ton histoire bien à l'avance, sur plusieurs numéros, et on va juste te demander de référencer quelque chose sur tel et tel numéro. Dans le cas d'Original Sin, on te demandait si tu avais une idée concernant un éventuel secret sombre et bien caché. Et ils m'ont posé cette question alors que je travaillais sur le deuxième numéro ainsi que sur les suivants, pour construire mon récit. J'avais donc beaucoup de temps pour placer des références au grand secret que j'allais révéler. Ce n'était d'ailleurs pas un si grand secret que ça, je voulais juste placer une histoire se déroulant dans le passé. Mais, pour en revenir aux crossovers en général, tu peux les laisser t'utiliser mais tu peux aussi les mettre à ton service afin de raconter ta propre histoire. Si tu es à la marge de l'event, les tie-ins n'ont alors souvent qu'un vague rapport du genre "oh, un ou deux héros sont soudainement devenus des vilains", "ouh, il y a un grand secret" ou encore tu dois incorporer des Inhumains et donc amener un nouveau personnage, ce genre de petits détails. Et tu peux alors te contenter raconter l'histoire que tu comptais raconter quoi qu'il en soit, en ajoutant une poignée de petites modifications. Je ne me suis retrouvé bloqué qu'à de rares reprises, généralement, on peut s'en sortir comme ça. Je pense qu'on peut s'en sortir comme ça.

Quelle est ton actualité ? Tes prochains projets ?
Al Ewing: Il y a des choses avec lesquelles je suis actuellement en pourparlers avec Marvel et dont je ne peux pas vraiment parler, le genre de truc sur lequel tout le monde va se jeter rageusement, bla bla. Mais dans les choses qui ont été récemment annoncées, il y a un projet avec Alan Davis, qui a travaillé sur Excalibur, D.R. & Quinch et... euuh... plein de choses, c'est un des grands dessinateurs de mon enfance et c'est donc un grand honneur de travailler avec lui.

Il est très gentil, en plus
Al Ewing: Oh oui, il en a l'air. Et très professionnel, aussi.

Je l'ai rencontré il y a deux semaines.
Al Ewing: Vraiment ? Je ne l'ai pas encore rencontré, face-à-face, mais il est incroyablement professionnel. J'ai écrit des trucs pas possibles pour qu'il puisse les illustrer, juste parce que c'est lui et qu'on veut faire de son mieux dans ces cas-là. ça va être un truc à la Avengers vs Ultron qui va sortir en parallèle du film. Mais ça se passe dans un futur distant... Je ne sais pas si ça a déjà été publié en France mais il a un moment dans Original Sin, avec les Avengers de Jonathan Hickman, où ils arrivent dans un futur alternatif où Ultron a pris le pouvoir et je vais revenir sur ce futur avec des Avengers issus de périodes différentes, principalement du passé. Il y aura un Captain America du futur, Danielle Cage - la fille de Luke Cage - et quelques Avengers du présent. Il y aura le Iron Man alias Jim Rhodes, de l'époque des Guerres Secrètes, le Thor de l'époque où Walter Simonson était à l'écriture et le Hulk des tout débuts. ça va être une histoire plutôt simple et surtout amusante, sur trois numéros étendus soit à peu près 90 pages en tout. ça va être un épopée Avengers du genre directe et fun. Il n'y aura pas besoin d'être au fait de la continuité du moment, l'idée sera de pouvoir sortir du ciné, d'aller en boutique et de demander "Hey ! Vous auriez un comics des Avengers vs Ultron ?", de pouvoir prendre ce titre et de passer un bon moment. C'est le but.

Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un autre auteur pour en comprendre le génie, qui irais-tu visiter ?
Al Ewing: Aaaah. Pouvoir lire dans l'esprit d'un artiste... Hmmm. Je suppose que l'élu serait... Kevin O'Neill. Il me fascine. Kevin O'Neill a fait Nemesis The Warlock dans les années 80 - il est surtout connu pour ça - puis Marshall Law dans les années 90, La Ligue des Gentlemen Extraordinaires - qui est son travail le plus reconnu, dans les choses plus récentes. Mais, oui, ça m'intéresserait beaucoup de pouvoir visiter son esprit et de voir comment il arrive à sortir tous ces trucs grotesques grâce auxquelles il ont en quelque sorte fait sa renommée. Jack Kirby, sinon. J'adorerais pouvoir entrer dans cet esprit. En termes d'artistes anglais ou américains, oui, je pense que voilà les deux grands noms que je choisirais.

Merci Al !

Remerciements à Arno et à l'organisation du Lille Comics festival, et à Alain Delaplace pour la traduction et la virée dans le ch'Nord !.

Al Ewing Captain America and the Mighty Avengers


PAR

6 décembre 2014
©Panini Comics édition 2015

C'est à l'occasion d'un tie-in lors du crossover Age of Ultron que les lecteurs de comics ont pu voir le nom d'Al Ewing orner un de leurs comics. Ce scénariste britannique a fort logiquement débuté dans la revue 2000AD avant d'être repéré par Marvel qui après quelques galops d'essais lui confie 2 séries : Mighty Avengers et Loki. Son écriture se révèle ingénieuse et suffisamment fraîche pour éviter à des titres de second plan d'y rester. Future valeur sûre de l'industrie du comics mainstream, nous avons établi un premier contact avec Al Ewing lors de sa venue dans le département du Nord.

Réalisée en lien avec les albums Age of Ultron, The Avengers (revue) – Hors série, T7, Uncanny Avengers (revue) – V 2, T4
Lieu de l'interview : Lille Comics Festival