Après un excellent premier volet de La mémoire dans les poches (avec Luc Brunschwig, chez Futuropolis), Etienne Le Roux, dessinateur discret mais ô combien talentueux, nous revient aujourd’hui en tant qu’auteur complet ! Il scénarise en effet également L’éducation des assassins (chez Delcourt), un drame d'heroïc-fantasy qu’il fait mûrir depuis de nombreuses années. L’occasion de l’interviewer à domicile se présentant, nous nous sommes rués sur cette opportunité pour découvrir un artiste extrêmement sympathique !
interview Bande dessinée
Etienne Le Roux
Bonjour Etienne, pour commencer, peux-tu nous décrire ton parcours, comment en es-tu arrivé à faire de la bande dessinée ?
Etienne Le Roux : J'ai commencé très tôt, au sein de ma famille de profs, avec des grands frères et des grandes sœurs qui lisaient des journaux comme Pilote. J'ai toujours dessiné, ça a toujours été mon grand plaisir. En arrivant au collège, à l’âge où les rêves de pilote de chasse s'évanouissent, j'ai pensé faire de la BD. Je suis donc allé aux Beaux Arts où j'ai fait un passage éclair. J'y ai rencontré des personnes qui m’ont aidé, comme Georges Pernin, qui a fait pas mal de choses dans Tintin dans les années 70 et qui m'a fait rencontré du monde. J'ai commencé à publier quelques petites histoires. J'ai fait la tournée des festivals avec des dossiers sous le bras et j'ai rencontré Laurent Galmot qui s'occupait de Vents d'Ouest. J'ai ainsi pu faire mon premier livre, une adaptation de jeu vidéo, Prisoner of ice. C’était Thomas Mosdi au scénario et ça racontait une histoire de nazis qui utilisaient la magie noire. On avait quatre mois pour le faire, ça allait cartonner puisque le jeu allait être énorme ! En fait, ça a été un bide monstrueux (rires). A l’époque, il y avait eu un titre sur Alone in the dark mais lui, il a continué. Ensuite, j’ai travaillé avec Serge Pellé sur Le cycle de Golden Tiger. Cela a été ma dernière phase d’apprentissage car on n’avait pas les mêmes points forts, j’ai pas mal appris avec lui. Après, j’ai entendu que Le serment de l’ambre cherchait un dessinateur. J’ai envoyé une page d’essai et je me suis retrouvé dans cette galère pendant plusieurs années. Le premier s’est fait très facilement mais le scénariste a mis cinq ans à faire le second…
Pendant ce temps là, tu t’es lancé sur Amenophis IV…
ELR : Comme je n’avais pas de scénario, je n’avais rien d’autre à faire et comme je ne fais que de la bande dessinée, j’avais besoin de bosser. J’avais rencontré Didier Dieter sur un festival, des amis m’ont dit que travailler avec lui était génial, c’était une très bonne expérience humaine et professionnelle. Sur Amenophis IV, les qualités comme les défauts sont de notre responsabilité commune. J’aurais pu continuer sur la vague d’heroïc-fantasy qui m’avait porté, mais j’avais d’autres attentes.
Une suite est-elle envisageable ?
ELR : Il y a très peu de chances, Didier a pris sa retraite de scénariste. Ce n’était pas un horrible bide, mais Guy Delcourt avait insisté pour que le troisième tome soit un one shot et le résultat aurait pu être meilleur. Je ne pense pas être bon sur 46 pages.
Ensuite il y a eu Après la guerre,…
ELR : Il y a eu d’abord Frère Pardon. C’était une période où j’avais besoin de travailler, j’avais sorti le titre sous un pseudo, Goulven. C’était de l’heroïc-fantasy, mais très ironique, il y a des moments où je me suis bien amusé dessus, j’ai lâché un peu la bride du dessin. C’est méchant, c’est violent, c’est mon Lobo ! Heureusement je n’avais pas non plus prévu de me défouler sur plein d’albums… comme le titre est sorti chez Soleil, à la sortie tout est beau et parfait, et après plus de nouvelles ! J’étais content de le faire, et puis j’ai récupéré Didier et on a fini Le serment de l’ambre. Je n’en suis pas totalement satisfait parce que le premier scénariste, Contremarche, qui avait arrêté après le premier tome, avait ce talent un peu elliptique de mettre une puissance dans son récit, ce que l’on n’a pas réussi à faire avec Didier. On était plus intéressé par le côté humain des personnages que par l’histoire, on a donc terminé cela d’une manière un peu bancale. Ensuite, avec Didier, on a décidé de faire quelque chose ensemble, de créer un univers et on a commencé L’éducation des assassins. J’avais envie de faire une série sur les enfants et je n’avais pas envie que cela soit drôle. Ce qui a fait qu’on a travaillé ensemble ! Il faisait les premiers synopsis et me les envoyait afin que je les retravaille. Au bout de quatre ou cinq essais, cela ne lui plaisait toujours pas : il trouvait ça trop sombre et il m’a dit de le faire tout seul ! C’était quelque chose d’assez douloureux à faire, il est difficile de se mettre en accord avec soi-même. En fait, c’est pratique d’avoir un scénariste sur lequel râler ! Je n’ai pas une approche écrite, je vois des scènes et il faut que je reconstruise autour. Je ne veux pas trop préparer ou avoir écrit, car cela pourra évoluer selon mes humeurs ou mes envies. Je travaillais en atelier à l’époque, donc je confrontais mes idées à leurs réactions, ce qui était, assez pratique.
La sortie a du te stresser !
ELR : J’ai flippé depuis la fin du bouquin en avril, d’abord pour la pression, ensuite pour les premières lectures. Avec Grégoire Seguin (l’éditeur), on a pu retoucher les petits détails qui ne semblaient pas clairs et les premiers échos de chez Delcourt étaient bons. J’ai flippé à chaque étape, à l’impression des feuilles, à la fabrication de l’album. Les premiers échos sont bons… Comme je suis un scénariste peu confiant, j’en ai peut être rajouté un peu sur le dessin. Depuis, avec les premiers retours de lectures, j’ai l’impression de ne pas être trop à coté de la plaque.
Tu as ensuite enchaîné avec La mémoire dans les poches.
ELR : J’avais présenté le scénario de L’éducation des assassins à Delcourt et j’avais commencé à faire les premières planches lorsque Luc Brunschwig est arrivé avec La mémoire dans les poches. J’avais tellement peur de faire un livre tout seul que je me suis lancé avec Luc dans un genre inédit pour moi. Delcourt n’a pas été casse-pied. Ils m’ont laissé faire tranquillement le tome 1 de La mémoire dans les poches. Sans ce titre, L’éducation des assassins n’aurait probablement pas la même tête, Luc a une écriture tellement précise et machiavélique.
Une fois le tome 2 de La mémoire dans les poches terminé, tu te consacres exclusivement à L’éducation des assassins ?
ELR : On a un projet plus léger avec Luc, après. Ce ne sera pas son projet de 1500 pages, ce n’est pas pour moi ! On serait deux dessinateurs, moi pour la plus grande partie et l’on cherche le collaborateur idéal pour la seconde.
Qu’en est-il d’Après la guerre ?
ELR : On a très longtemps partagé un atelier avec Freddy Martin. Lorsque Luc est arrivé dans la région, il avait un projet pour chacun. Pour tous les deux, il avait Après la guerre et sachant que Freddy est un dessinateur assez lent, il pensait qu’avec moi, il pourrait réaliser son rêve de feuilleton mensuel. On a fait une vingtaine de pages ensemble et je prenais progressivement beaucoup d’avance sur Freddy. Son style évoluait trop pour moi, nos styles n’allaient pas ensemble, je viens de voir le second et il a une cohérence parfaite ! Je n’étais pas trop à l’aise dans ce type d’univers.
Maintenant que le premier tome de L’éducation des assassins est sorti, quelle est ta plus grande fierté ?
ELR : Je n’ai jamais bossé autant sur un bouquin, donc d’avoir mené cela jusqu’au bout… J’ai presque pu mettre toutes les idées que je voulais dans le premier tome, j’espère qu’elles s’éclaireront par la suite (rires). Je suis content de l’impression, du rendu graphique. Mon travail est de l’aquarelle modifiée à l’ordinateur, j’avais peur que cela ne passe pas. J’étais déjà content de l’impression de La mémoire dans les poches, l’ambiance était plus triste. Pour l’histoire, j’ai essayé de lutter contre une « efficacité à l’américaine » au profit d’une inefficacité à l’européenne.
Tu as multiplié les thèmes dans cet album : fantasy, social…
ELR : Cet univers ne m’a pas toujours hanté. Cela a commencé à la naissance de mes enfants, on travaille pour eux, on imagine le meilleur pour eux. Là, j’ai essayé d’imaginer le pire pour eux, en les mettant dans un monde sombre et violent. Cela pourrait se rapprocher de l’Antiquité, c’est magnifique et pourtant totalement affreux. Je ne lis quasiment plus de romans, je préfère me documenter sur la Grèce antique, le Moyen Age, pour enrichir cet univers.
Quelles sont tes influences ?
ELR : Il y a Richard Corben et Moebius ! J’achète tout ce que fait Corben même si cela passe inaperçu aujourd’hui. Big Foot est excellent, avec Rob Zombie au scénario ! C’est un petit chef d’œuvre, des histoires viriles et violentes, il a une narration pure, évidente, il ne fait pas de second degré pour le plaisir et il a visité plein d’univers. J’aime bien les américains des années 30, les européens des années 50. Récemment, il y a Franck Quitely, j’adore WE3. Il a réussi à inventer une nouvelle sorte de narration. Il y a aussi Dominique Bertail, on sent ses influences mais il ne les étale pas. C’est un excellent coloriste, c’est toujours intelligent, le Ghost money est très bien. Au niveau scénario, Moore est mon influence numéro 1, mais je n’essaie pas de faire comme lui. La grande leçon d’Alan Moore est de ne pas aller plus loin que chez soi. Son univers a été fondé par les super héros, il a mangé ça depuis tout petit. Il est capable de rendre ça universel parce que ça lui est très personnel, comme Jean Giraud avec ses univers à lui. J’aime les contes soufis aussi, leurs histoires ont un but objectif, elles doivent avoir un effet sur l’auditoire, pas seulement divertir, mais faire entrevoir la complexité du monde, avec une morale complexe où les choix sont multiples. J’aime aussi des écrivains comme Jorge Luis Borges ou des scénaristes comme Dieter ou Luc Brunschwig.
Est-ce que tu suis une démarche artistique particulière ?
ELR : J’ai clairement envie de toucher à tout. Je suis un gros lecteur de science-fiction, mais je me suis rendu compte que je n’avais pas d’univers visuel original, cela ne sort pas facilement. J’ai donc fait mon deuil sur la SF. En même temps, je me dis que cela peut irradier d’autres genres. On m’a proposé de faire un western, il n’y a pas si longtemps que ça. Si le scénario est bon, alors je me lancerai. Je ne ferais pas de techno-thriller ou les séries de milliardaires. De même, j’adore lire des histoires de super héros, mais là aussi je vais éviter…
As quel moment penses-tu avoir passé un cap au niveau de ton style ?
ELR : Je pense que c’est lorsque j’ai travaillé avec Pierre Dubois sur Le grimoire du petit peuple. J’ai eu une petite histoire à l’aquarelle dans le premier tome. C’est la première fois où je n’ai eu aucun problème pour dessiner, il y a des défauts mais j’arrivais à un truc qui me satisfaisait. J’espère pouvoir refaire un titre avec lui par la suite. On a le scénario, on a l’ambiance, mais je n’ai pas le temps pour l’instant.
Quels sont tes futurs projets ?
ELR : Je scénarise un titre qui s’appellera Le dernier voyage d’Alexandre de Humboldt. C’est un aristo-prussien du XIXe siècle. Il était écologiste avant l’heure, connu comme Einstein au XIXe siècle. L’histoire racontera son dernier voyage à 75 ans, il verra que son monde a beaucoup changé depuis ses premiers voyages. J’ai écris cette histoire pour Vincent Froissard, je le connais parfaitement et j’avais envie qu’il ait du plaisir à faire un album. C’est un grand illustrateur, il a un truc qui ne ressemble pas aux autres. Le titre sortira chez Futuropolis en 2009. Puis, mon titre avec Pierre Dubois : j’aimerais faire un seul tome, mais en prenant plus d’espace pour l’exprimer, et dans une ambiance différente de ce qu’il fait, plus noire.
Quelles séries souhaiterais-tu conseiller aux terriens ?
ELR : Je lis beaucoup plus de comics et de mangas que de BD ! En BD, il y a Ghost Money. Je continue à suivre avec un grand bonheur L’âge de bronze d’Eric Shanower. Le Rides de Paco Roca, les titres de Simon Hureau, en particulier Colombe et la horde, Gunnm, Naruto que je lis avec mon fils, All star Superman, Caravanes d’Olivier Milhiet.
Si tu avais une gomme magique pour corriger un détail ou une partie d’un de tes titres, souhaiterais-tu l’utiliser ?
ELR : J’ai grandi avec la BD. Au début j’étais juste content d’être publié, je ne voyais pas plus loin. Et puis petit à petit, je me suis rendu compte des défauts et des qualités de mes éditeurs, et que je devais les considérer comme des collaborateurs, pas comme des patrons. Je suis un indépendant, il faut bien que j’assume mes choix, alors non, pas de gomme magique.
Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d’un auteur afin de mieux comprendre son génie, qui irais-tu visiter ?
ELR : Alan Moore ! C’est le seul type qui a des interviews passionnantes. Il y a des notes à la fin de From Hell, je pense être le seul à les avoir lu et même plusieurs fois (rires) ! Ce type a un cerveau plus gros que les autres, à chaque fois qu’il visite quelque chose, il le rend intelligent et différent du formatage actuel. Il respecte le genre et le change en le transcendant. C’est très documenté et son analyse est très pertinente.
Si tu n’avais pas fait de la BD, qu’aurais-tu fait ?
ELR : Je ne sais pas, j’aurais mal tourné, j’aurais fait une carrière minable dans le crime. Ou je serais resté chez mes parents jusqu’à mes 40 ans (rires) !
Quelle est la question que l’on t’a le plus posé ?
ELR : Quand est-ce que sort le suivant ?
Et celle que l’on ne t’a jamais posée ?
ELR : Grâce à internet, on peut redécouvrir de nombreux illustrateurs du début du siècle qui mériterait d’être publiées. Donc je dirais, quels auteurs aimerais-tu réhabiliter ?
Merci Etienne !