interview Comics

Goran Parlov

©Panini Comics édition 2014

Tous les fans des aventures du Punisher écrites par Garth Ennis se rappellent forcément du passage de Goran Parlov sur la série. Le dessinateur croate, après avoir fait ses classes en Italie chez Bonelli durant une quinzaine d'années, a su appliquer son trait au monde des comics. Après un passage chez DC Comics / Vertigo sur Outlaw Nation et Y, le dernier homme, l'artiste a participé au run mythique de Garth Ennis sur le Punisher puis quelques années après à Fury Max avec le même scénariste. Les deux compères sont d'ailleurs inséparables puisqu'ils travaillent sur une ultime saga de Frank Castle, à paraître aux USA en 2015. Goran Parlov était de passage au Paris Manga Sci-Fi Show et comme nous l'apprécions fortement, une interview était obligatoire.

Réalisée en lien avec les albums Fury Max T1, Fury Max T2, Y, Le Dernier Homme – Edition Hardcover, T2
Lieu de l'interview : Paris Manga & Sci-Fi Show

interview menée
par
19 novembre 2014

Bonjour Goran Parlov, peux-tu nous parler de tes débuts dans le monde des comics ?
Goran Parlov : J'ai commencé en 1991, sur Ken Parker, un comics italien très connu. J'aimais beaucoup ce comics et ça m'a fait très plaisir que les deux auteurs me contactent pour travailler avec eux. Mais ça n'a duré qu'un an, après quoi je suis parti à Milan où j'ai travaillé pour Sergio Bonelli et ce pendant près de quinze ans. Puis, à un moment, j'ai commencé à travailler en parallèle pour Marvel, en même temps que pour Bonelli, et aussi pour DC Comics [rires]. Donc j'en suis arrivé à travailler pour trois éditeurs, sur deux continents.

Quelles sont tes influences ?
Goran Parlov : Je dois dire que j'ai été très influencé par les artistes français. Tout d'abord Moebius - Jean Giraud - et Jijé, connu pour Tanguy et Laverdure qui était une de mes bandes dessinées préférées. Ensuite, il y a l'école espagnole avec Jordi Bernet, Ernesto García Seijas - qui est argentin -,... Je n'en cite que quelques uns mais parmi les classiques il y a Alex Toth, aux Etats-Unis, et John Prentice qui sont mes héros. John Romita, John Buscema,... C'est très banal.

Que penses-tu, avec le recul, de ton expérience chez Bonelli ?
Goran Parlov : Cela a été crucial pour moi ! J'y ai découvert le fonctionnement de l'industrie. J'ai appris les bases du comics comme la narration. C'était très rigide, chez Bonelli, car il y avait des milliers de règles à respecter et ça m'a aidé à devenir un auteur. J'y ai appris les ficelles du métier et je leur en suis très reconnaissant. Une fois que je suis sorti de cette rude école, je suis allé chez Marvel où j'ai pu me libérer et où le vrai moi a pu s'exprimer mais quoi qu'il en soit, c'est chez Bonelli que j'ai appris les bases.

Outlaw Nation a été ta première expérience américaine. Comment es-tu arrivé sur ce projet ?
Goran Parlov : Ça fait déjà quinze ans... Oui, je ne suis pas sûr de l'année mais oui, oui, tu as raison. Je faisais Outlaw Nation quand j'ai vu le World Trade Center tomber à la télé. Bon, quelle est la question ? J'étais ami avec Goran Sudzuka depuis déjà un moment et il avait besoin de mon aide. C'était trop pour lui de devoir assurer à la fois le crayonné et l'encrage alors il m'a demandé de l'aide et j'étais disponible. Comme on était déjà amis, on se comprenait. J'ai aussi beaucoup aimé le script de Jamie Delano J'ai beaucoup ri avec ce script, je le trouvais très drôle. J'ai beaucoup aimé travailler sur Outlaw Nation.

Tu as participé à la série Y, le dernier homme qui a été un grand succès. Quel regard portes-tu sur le titre de nos jours ? De la fierté ?
Goran Parlov : Bien sûr que je suis fier ! ça a été fabuleux pour moi de pouvoir travailler sur ce titre avec Brian K. Vaughan. Il sait comment écrire et, quand on lit son script, tout fonctionne. Et le fait que le titre ait eu du succès, c'est un plus. Je reçois encore aujourd'hui les chèques pour ma participation sur Y... "Oh, tiens, ils l'ont publié en France, en Angleterre et en Italie et voilà le chèque ! Chouette !" [rires]. Donc oui, j'ai beaucoup apprécié.

Ta prestation la plus connue est sans nul doute sur The Punisher avec Garth Ennis...
Goran Parlov : Je crois que c'est ce que j'ai fait de plus important jusqu'à maintenant. Je me souviens avoir commencé en tant qu'outsider. Au départ, les gens m'en voulaient car ils souhaitaient quelqu'un de connu, d'établi. On aurait dit qu'ils ne voulaient pas d'un nouvel artiste. Je ne connaissais le personnage du Punisher que parce que je me rappelais de lui dans de vieilles aventures de Spider-Man, ce qui est une toute autre histoire... Et au début je me disais 'Oh merde, le Punisher, je ne sais rien de ce personnage !" puis j'ai commencé à lire le script et je me suis dit "Oh mon dieu, c'est vraiment bien !" J'ai continué à lire le script et là j'ai dit "J'en suis !". [rires] "C'est fantastique ! Qui a écrit ça ? Oh, Garth Ennis, le gars de Preacher ? Ah, d'accord." [rires] J'étais en admiration devant ce script. Je me disais que c'était génial et j'avais hâte de commencer. C'était la première fois que je lisais un script d'un bout à l'autre. D'habitude, je ne lis que ce dont j'ai besoin, seulement la page à illustrer. Mais là, j'ai tout lu. Donc oui, je considère que ça a été un de mes projets les plus importants.

Tu as aussi travaillé avec Peter Milligan, Victor Gischler et Jonathan Maberry sur des récits du Punisher. Qu'as-tu retenu de ces collaborations ?
Goran Parlov : C'est probablement celle avec Peter Milligan. Alors que je travaillais encore pour Bonelli, je lisais déjà ce qu'il faisait. Je me souviens en particulier d'Enigma avec Duncan Fegredo, je suis tombé amoureux de ce comics. Alors quand j'ai eu l'opportunité de travailler avec lui, même si c'était pour six ou sept pages, je ne me rappelle plus très bien... Je me rappelle m'être dit "Enfin, j'ai réussi à travailler avec Peter Milligan !". Les autres étaient eux aussi très bons et j'ai aussi apprécié de travailler avec eux mais, tu vois, j'avais cet amour pour Peter Milligan... Enigma, je ne sais pas si tu l'as lu, avec Duncan Fegredo ? Donc oui j'étais très heureux quand on m'a dit que Peter Milligan allait écrire un script pour moi.

Reviendras-tu un jour sur le Punisher ?
Goran Parlov : Oui, d'ailleurs j'y retourne de suite, à l'heure où on parle ! Dès mon retour, je commence une mini-série Punisher, avec Garth Ennis. Ce sera une mini-série de cinq ou six numéros qui raconteront, en gros, les origines du Punisher. ça se déroulera alors qu'il est posté au Vietnam, avant qu'il n'ait tué pour la première fois, avant même qu'il n'ait vu son premier cadavre. Cette histoire servira à réunir tout les éléments de la saga du Punisher : Nick Fury, Barracuda, le Punisher... On va mettre un point final à l'histoire du Punisher à l'aide de cette mini-série. Je suis impatient de rentrer pour m'y mettre. Je devrais avoir commencé mais je suis paresseux [rires]. J'étais très fatigué après Starlight et j'avais besoin de quelques semaines pour pouvoir me mettre à réfléchir au Punisher. Je sais que les gars de Marvel sont sacrément en pétard après moi [rires] mais je ne suis qu'un dessinateur, j'ai besoin de me reposer entre deux titres. Ce sera mon excuse quand ils me passeront un coup de fil énervé [rires].

Tu as aussi collaboré avec Garth Ennis sur Fury Max. L'action de la série se déroule en plusieurs lieux et à plusieurs époques. As-tu utilisé de nombreuses documentations pour créer tes visuels ?
Goran Parlov : Oui, exact. Chaque page impliquait des recherches supplémentaires. On voulait un aspect très documentaire. Par exemple, Garth Ennis m'a envoyé de nombreuses photos des avions de l'époque. On a perdu beaucoup de temps là-dessus. Je me rappelle un moment, au Vietnam, quand les français s'y trouvaient et avant que les américains n'arrivent, vers 1952, je souhaitais trouver des images de l'ambassade américaine et, après avoir échoué, j'ai demandé à Marvel s'ils pouvaient en trouver. Et on a eu du mal à y arriver car j'ai commencé à dessiner le bâtiment et j'ai réalisé que nos références dataient de 1972, or je voulais être beaucoup plus précis que ça. On a donc fait toutes ces recherches, sur tous ces avions... Je me souviens avoir dû recommencer tous les appareils que j'avais dessinés parce que Garth m'a dit que les hélices avaient quatre pales et pas trois "NON ! Elles en avaient quatre ! Il faut que tu reprennes tout !" et j'ai du tout refaire.

Pour Fury Max, t'es-tu servi de classiques comme Nick Fury Agent of S.H.I.E.L.D. ?
Goran Parlov : Non, je ne l'ai pas lu. Je n'ai rien lu de Nick Fury. J'ai employé ma propre version de Nick Fury, celle que j'avais utilisée dans le Punisher et voilà. Nick Fury existait déjà dans mon univers et je n'ai eu aucun mal à le réinventer. Nick Fury était le cadet de mes soucis, c'était le plus facile. Tout le reste était beaucoup plus dur car on avait très peu de références à notre disposition, en particulier concernant le Vietnam lors de la présence française. Comme de retrouver les détails des uniformes de la Légion Étrangère. J'ai fait de mon mieux mais pour la Légion Étrangère ou pour l'armée Vietnamienne, ça a vraiment été la galère. Mais j'ai été précis.

Peux-tu nous parler de Starlight, la série que tu as sorti avec Mark Millar ?
Goran Parlov : Les six numéros en deux phrases... [rires] Un vieil homme, qui a sauvé l'univers autrefois et qui se voit offrir la chance de recommencer. Il est contacté pour prendre part à une nouvelle aventure dans l'espace. Voilà, je ne veux pas vous gâcher la surprise.

Avais-tu des références en terme de science-fiction ?
Goran Parlov : Oui, bien sûr. Il s'agit de L'Incal, de Mœbius et du Prisonnier des Etoiles de Alfonso Font. Voilà mes deux comics de science fiction préférés. Je ne me souviens pas avoir jamais lu Flash Gordon ou les autres comics du genre. Je voulais éviter ça et Mark me disait "Non, non, ça doit être un hommage à Flash Gordon" mais il a fini par laisser tomber à cause de problèmes de droit. Quand au job, je l'ai accepté parce que je voulais travailler avec Mark Millar [rires]. C'était quelque chose de complètement nouveau. Au départ, on a travaillé sur autre chose, la préquelle d'un autre titre, peut être Jupiter's Legacy, je ne sais plus. Mark voulait que j'illustre cette préquelle et, à un moment donné, il a dit "Stop ! J'ai envie de faire quelque chose de nouveau avec toi. On ne va pas faire cette préquelle, je vais écrire un nouveau titre pour toi" et on a fait Starlight.

Avec autant de collaborations prestigieuses, n'aurais-tu pas envie de scénariser toi-même tes récits ?
Goran Parlov : J'aimerais bien les écrire, mais je ne m'en sens pas capable. J'ai essayé mais c'est bien plus difficile qu'il n'y paraît, d'écrire une histoire qui fonctionne dans un comics. Je ne pense pas que je l'écrirais, je ferais probablement mon comic-book sans script, en laissant les idées venir au fur et à mesure. Mais oui, j'ai mes idées mais je n'ai pas le temps de les réaliser, pas toutes.

Quels sont tes prochains projets ?
Goran Parlov : Le Punisher. Juste ces cinq ou six numéros. C'est tout pour le moment.

Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter l'esprit d'un autre artiste pour en comprendre son génie ou son art, qui irais-tu visiter et pourquoi faire ?
Goran Parlov : Ah, le cerveau d'un artiste. Je ne crois pas que je puisse tirer quoi que ce soit de leur cerveau. Tout ce dont j'ai besoin est sur le papier. En général, je préfère éviter de rencontrer les auteurs car bien souvent, j'ai été déçu. J'aimerai juste manger son cerveau [rires]. Non, juste avoir son travail sur le papier, ça me suffit.

Merci Goran !

Remerciements à Claire Regnault pour l'organisation de cette rencontre, à Alain Delaplace pour la traduction et à Mickaël Géreaume pour les questions, la mise en page et le chapeau.

Goran Parlov