interview Comics

Michael Gaydos

©Panini Comics édition 2015

Artiste aussi rare que talentueux, Michael Gaydos est devenu incontournable aux yeux des fans de comics Marvel lorsqu'il a co-créé avec Brian Michael Bendis la série Alias mettant en scène une super-héroïne qui est devenue détective privé. Jessica Jones, c'est son nom, est depuis apparue dans moult séries du Marvelverse et connaît même les joies d'une série télévisée via Netflix. Grâce à cette adaptation inattendue, tous les regards se sont de nouveau braqués sur Michael Gaydos qui s'est vu invité par la galerie Arludik pour y exposer ses planches. Grâce à notre envoyé spécial Mathieu Auverdin que nous avons dépêché sur place, nous avons pu lui poser nos questions...

Réalisée en lien avec les albums Alias, 24, Alias T4, Alias T3, Alias T2, Alias T1
Lieu de l'interview : galerie Arludik

interview menée
par
19 novembre 2015

Bonjour Michael, pour ceux qui ne te connaîtrait pas et pour introduire l'interview, pourrais-tu te présenter ?
Michael Gaydos : Oui. Je m'appelle Michael Gaydos, je suis illustrateur, artiste et co-créateur du comics Jessica Jones. Ce comics faisait partie du label MAX et il est sorti au début des années 2000. Ça parle d'une ex-super-héroïne devenue détective privée et qui est confronté à ses nombreux démons intérieurs et aussi à des personnes très atteintes. L'histoire raconte comment elle se relève après ce qui lui arrivé.

Et comment es-tu devenu un artiste ?
Michael Gaydos : J'ai commencé à dessiner des comic-books quand j'avais 5 ans [rires] J'ai toujours voulu dessiner des comics. Les styles dans lesquels je souhaitais dessiner ont plutôt changé avec le temps. Avant la fac, j'aimais vraiment John Byrne : je voulais devenir le nouveau John Byrne. Puis je suis allé à l'université et je n'avais jusqu'alors jamais été introduit aux beaux-arts mais là-bas, j'ai découvert ça et je suis tombé amoureux de tout ça, même si j'adorais toujours les comics et que je voulais toujours en illustrer. Heureusement, à l'époque, bon nombre d'illustrateurs de comics tentaient des expériences avec des travaux très différents : Bill Sienkiewicz, Kent Williams, Jon J. Muth ou George Pratt et j'adorais ce qu'ils faisaient. Ils injectaient la sensibilité des beaux-arts dans leurs illustrations de comics et là, j'ai su que j'avais trouvé ma voie.

Tu a décidé de mélanger les deux univers.
Michael Gaydos : Exactement.

J'allais justement te demander quelles sont tes influences artistiques, dans les comics et dans la peinture ?
Michael Gaydos : Je viens de te donner celles au niveau des comics mais en ce qui concerne l'art plus classique, je dirais les artistes expressionnistes comme Egon Schiele, Gustav Klimt... J'adore Degas, Toulouse Lautrec... Ces artistes, tu vois, du genre très expressifs. Il y a aussi des artistes plus abstraits comme Anselm Kiefer...

Comment décrirais-tu ton propre style ?
Michael Gaydos : J'aimerais qu'on en dise que c'est un style expressionniste. C'est la meilleure façon de faire, pour moi. Je suis influencé par tous ces grands peintres qui, je trouve, ont amené toutes ces qualités dans leur travail, souvent en noir et blanc. À la fac, j'ai fait beaucoup d'estampes et ça m'a laissé une forte impression : les contrastes du noir avec le blanc avec un équilibre très expressif entre eux... Ça a été très important, pour moi, cette spontanéité dans le travail.

J'allais justement dire que tes œuvres sont en général très sombres et basées sur les contrastes du noir et blanc mais elles sont aussi très réalistes.
Michael Gaydos : Oui, en effet.

Est-ce que tu te bases sur des références, de vraies personnes ?
Michael Gaydos : Oh, oui. En fait, le personnage de Jessica Jones était basé sur ma désormais ex-épouse.

Tu as réalisé de nombreux titres et couvertures mais ta présence se justifie par l'exposition de tes travaux sur la série ALIAS, une série que tu as co-créé avec Brian Michael Bendis. Que représente la série pour toi et plus particulièrement Jessica Jones ?
Michael Gaydos : Je te dirai en mon nom mais aussi en celui de Brian que Jessica est notre nana. [rires] Il est difficile de concevoir que j'ai créé quelqu'un qui a commencé dans l'univers comics de Marvel et qui aujourd'hui a sa propre série télé. J'ai du mal à me faire à cette idée. C'est très surréaliste. Pour moi, c'était juste un comics que je réalisais pour le rendre ensuite à l'éditeur, je n'aurais jamais imaginé tout ça. Et même ça [NDT : il montre la pièce où il se trouve] voir comme ça mes dessins dans une galerie d'expo, à Paris, en plus...

Tu ne t'y attendais pas.
Michael Gaydos : Non, non. Maintenant, ça ne peut qu'empirer [rires]

Comment as-tu été choisi pour travailler sur le comics ALIAS ?
Michael Gaydos : J'avais travaillé avec Brian sur deux autres projets, avant ALIAS. On avait travaillé ensemble sur un récit assez court, pour DC et puis j'ai aussi fait quelques illustrations pour lui, sur Jinx. Il avait bien aimé ces dessins et c'est à ce moment-là qu'il a été approché par Marvel au sujet du nouveau label MAX, pour lui demander s'il avait des idées pour un nouveau comics. Il avait ALIAS en tête et il voulait que je travaille dessus. Il a donc montré à Marvel mes illustrations de Jinx et les gens de chez Marvel ont été assez dingues pour dire oui.

Les fous.
Michael Gaydos : Oui, hein ?

Tant mieux pour toi.
Michael Gaydos : N'est-ce pas ? [rires]

À l'origine, ALIAS a été publié au sein du label MAX de Marvel. Cela t'a t-il permis certaines libertés artistiques ou au contraire as-tu des contraintes spécifiques ?
Michael Gaydos : Non, non, pas de contraintes, j'avais définitivement plus de liberté. En tous cas, Brian a bénéficié de plus de libertés en ce qui concerne le langage employé.

Plus adulte ?
Michael Gaydos : Le premier mot était fuck ! Mais il y avait quand même des choses que je ne pouvais pas mettre : pas de scènes de sexe trop explicites. La nudité, en général, devait rester suggérée. Pour eux, c'était une version R des comics Marvel classiques mais pour certaines scènes... [NDT: l'évaluation R correspond à une interdiction, au cinéma, aux mineurs de moins de 16 ans non-accompagnés et désigne en général notre « interdit aux moins de 16 ans »] En fait, je crois qu'il ne m'a fallu censurer une seule fois une image car on y a voyait les fesses de Jessica et ça, ils n'en veulent pas.

Ça a peut-être surtout à voir avec l'attitude américaine, en général.
Michael Gaydos : Oh oui, c'est sûr.

Je pense qu'en France, ça serait passé.
Michael Gaydos : Sûrement mais d'une certaine manière, je pense que ça s'est quand même bien passé parce que, souvent, les lecteurs arrivent à visualiser les choses et il parfois plus intéressant de seulement suggérer les choses plutôt que de les montrer.

C'est plus élégant.
Michael Gaydos : Exactement.

Sais-tu si les producteurs de la série télé Jessica Jones se sont influencés de tes planches et/design ? Que penses-tu du casting ? As-tu été consulté ?
Michael Gaydos : Oui mais je n'ai pas été consulté. Ils ont consulté Brian. cela dit, j'ai vu le premier épisode et ils ont directement repris certains de mes plans pour les recréer à l'image.

Et qu'est-ce que ça te fait de voir ainsi à l'image une scène telle que tu l'as dessinée ?
Michael Gaydos : Oh, je suis... Stupéfié. C'est incroyable.

Mais tu en es content ?
Michael Gaydos : Oh oui. Je suis très satisfait. J'ai adoré le premier épisode. J'y suis allé sans aucune attente particulière et j'ai été très surpris. En fait, j'ai souvent dit lors des interviews que chaque fois que chaque fois que je me mets à dessiner Jessica, je tombe de nouveau amoureux d'elle et que le premier épisode m'a fait le même effet.

C'est aussi une chance que la série soit diffusée sur Netflix, ça permet à la série d'adopter elle-aussi un ton plus adulte. Je viens de regarder le trailer et j'ai vu qu'ils employaient l'Homme Pourpre, qui n'est pas non plus le vilain le plus iconique de l'univers Marvel ou le plus effrayant, et, pourtant, il l'est, ici.
Michael Gaydos : Oui, c'est vrai. Je ne sais pas si tu as lu les comics ?

Non mais la série va être re-publiée en France très prochainement et je la lirai à ce moment-là
Michael Gaydos : Eh bien quand tu liras le premier arc, avec l'Homme Pourpre, tu verras combien il peut être menaçant.

J'en doute pas mais c'est vrai aussi que, d'ordinaire, c'est un vilain peu menaçant et qu'il se fait souvent massacrer par le héros. Je viens par exemple de lire un Daredevil où l'Homme Pourpre se fait battre par ses propres enfants.
Michael Gaydos : Ah, oui. Ça dépend en effet de ce qu'en font les auteurs. Je pense que ce que Brian s'est amusé à faire, c'est de prendre tous ces personnages assez peu connus du public et de les triturer.

C'est vrai que, dans le trailer, il ressemble à une sorte de Croque-Mitaine, tapi dans l'ombre et tuant les gens selon son bon vouloir.
Michael Gaydos : Oui, c'est vrai.

Rêverais-tu de retravailler sur le personnage de Jessica Jones aujourd'hui ou dans le futur ?
Michael Gaydos : Oh oui, du moment que Brian a une idée intéressante.

Ce serait alors uniquement avec Brian ou bien si Marvel et Brian...
Michael Gaydos : Si c'était avec la bénédiction de Brian, s'il était à l'aise avec l'idée... Il est un peu comme moi, à ce sujet. Dès lors que quelqu'un d'autre que nous dessine ou bien écrit Jessica, on a un peu l'impression qu'elle nous trompe. [rires] Si j'avais la bénédiction de Brian, oui, mais c'est sûr que je préférerais que l'on travaille de nouveau ensemble. Je ne sais pas s'il est intéressé par l'idée de reprendre la série. On était très satisfaits de notre run. La série, telle quelle, a de quoi rendre fier.

Donc vous n'avez ni l'un ni l'autre, pour l'instant, l'envie de reprendre la série, de la continuer ?
Michael Gaydos : Je pense qu'on voudrait faire, en tous cas je voudrais faire quelque chose qui soit plus dans la veine de MAX et que les lecteurs, si on devait continuer, préféreraient que l'on continue avec cette tonalité plus adulte. De temps à autre, j'aime bien retourner aux comics et faire un numéro des Avengers ou des histoires courtes... Je pense qu'il faudrait que ce soit pour une occasion particulière, quelque chose qui ne vienne pas ternir ce que l'on a déjà fait.

Tu as travaillé récemment sur un récit inédit de 24 (24h chrono). Comment as-tu travaillé l'aspect physique de Jack Bauer ?
Michael Gaydos : Ça a été un processus au cours duquel j'ai fait de nombreuses esquisses, l'ensemble a nécessité d'être approuvé et certaines esquisses ont été rejetées. [rires] Il m'a surtout fallu trouver ce que cherchaient les éditeurs et ma propre idée n'était pas forcément la leur. J'ai du comprendre ce qu'ils attendaient de moi mais je pense qu'au final, en dépit des malentendus, ça s'est bien terminé et ils m'ont donné le feu vert.

Tu as eu du mal à reproduire les traits de Kiefer Sutherland ? Certains artistes ont parfois du mal à reproduire certains visages. Tu as un style plutôt réaliste, est-ce que ça t'es facile de reproduire les traits d'une personne, comme ça ?
Michael Gaydos : Ce n'est pas très difficile. C'est simple au regard d'un projet comme 24 ou encore True Blood dans le sens où il y a de nombreuses références de disponibles, pour parvenir à reproduire les traits. Ça, j'apprécie. Mais j'ai aimé faire 24. Mon approche était différente de celles que j'ai eues dans d'autres projets, c'était un peu plus expérimental, mais je pense que ça s'est bien terminé. J'étais content du résultat et je pense qu'eux aussi [rires].

Quelle est ton actualité ? Et en comics ?
Michael Gaydos : Je ne sais pas si c'est sorti ici mais, aux U.S.A., Archie Comics a sorti une ligne intitulée Dark Circle et j'ai travaillé sur The Black Hood et je travaille aussi sur un graphic novel pour Random House et c'est une adaptation d'un roman de Jonathan Kellerman qui est un grand auteur de romans policiers.

The Black Hood n'est effectivement pas sorti en France. Peux-tu nous en parler un peu car on ne connait pas ce personnage.
Michael Gaydos : Black Hood est en fait un personnage assez vieux. On le voit au début de la série et il se fait tuer. Son meurtrier finit par adopter la personnalité de Black Hood. On revisite le personnage mais toujours en se référant à son ancienne version.

Mais comme c'est une nouvelle version, tu as dû bénéficier d'une certaine liberté, non ? Ça a dû être assez fun.
Michael Gaydos : Oui, ça a été le cas. Il est intéressant de constater qu'ALIAS a été la première série de MAX mais que j'ai aussi fait Snake Woman qui a été le premier titre de Virgin Comics [rires]. J'ai fait pas mal de séries qui étaient en fait les premières à sortir de leurs compagnies respectives.

Ils t'envoient tâter le terrain !
Michael Gaydos : C'est ça [rires] Je suppose. Et j'ai lu, dans une critique de The Black Hood, un détail que le critique a porté à mon attention : j'ai été impliqué dans le premier comics de Marvel à comporter le mot fuck et j'ai travaillé sur le premier comics de Archie à comporter le mot fuck ! [rires]

Qui est l'auteur de The Black Hood ?
Michael Gaydos : Duane Swierczynski.

Oh, il est surtout connu pour son style sombre, violent et plein d'action.
Michael Gaydos : C'est exact.

La série est toujours en cours ?
Michael Gaydos : Oui.

Comment juges-tu l'évolution des comics à la fois artistiquement et du point de vue de son industrie ?
Michael Gaydos : C'est assez drôle car pour être venu auparavant en Europe, je constate qu'ici, ça a changé dans le sens où les comics sont désormais considérés comme une forme d'art tandis qu'aux U.S., c'est plus un business, un job. En tant qu'artiste, c'est une joie que de venir ici et avoir l'opportunité, comme aujourd'hui, d'être là, que les gens viennent me voir pour discuter et d'être traité comme un artiste. Le fait d'être reconnu pour ce que l'on fait... On voit ça, un peu, aux États-Unis, mais les comic-books, en général, sont encore considérés comme des ouvrages rigolos et les gens n'arrivent pas vraiment à comprendre d'une part tout ce qui se cache derrière la réalisation d'un comic mais aussi toutes les grandes choses qu'on a déjà réussi à accomplir avec ce média et en quoi ça a inspiré bien d'autres choses. Je pense que tous les films qui sortent aident l'industrie, de manière générale. Et la qualité est au rendez-vous, aussi. Si ils sortaient de mauvais films, ce serait un problème pour nous. Heureusement, je crois que les gens impliqués dans ces différents projets sont aussi des lecteurs qui ont grandi avec ces comics et on a comme ça des gens comme Joss Whedon qui est un grand fan de comics – ce n'est un secret pour personne – et c'est un très bon réalisateur. C'est une très bonne chose que d'avoir tous ces gens qui font du bon boulot et qui font des comics quelque chose de plus respecté. Mais je ne pense pas que j'aurais, aux U.S.A., une opportunité comme celle que j'ai ici aujourd'hui, de pouvoir montrer mon travail dans une galerie, car les comics n'y sont pas considérés comme une forme d'art.

Si tu avais le pouvoir métaphysique de visiter le crâne d'une autre personne pour comprendre sa vision des chose ou encore pour apprendre quelque chose, des technique, comprendre son génie, qui irais-tu visiter et pourquoi ?
Michael Gaydos : Tu sais quoi ? Ça tombe bien parce qu'hier, j'étais au musée d'Orsay et je suis émerveillé par les tableaux de Van Gogh. J'adorerais pouvoir me rendre dans son esprit. C'était quelqu'un de très torturé –

Peut-être pas l'endroit le plus paisible à visiter...
Michael Gaydos : Non mais ce serait quand même un endroit intéressant et apprendrait comment son vécu et sa maladie mentale ont affecté œuvre. Ce serait intéressant de voir tout ça et de savoir ce qu'il pensait, comment il percevait les choses. Quand on regarde ses tableaux, on se demande si c'est comme ça qu'il voyait les choses, le monde. Pour moi, ce serait très intéressant.

Merci Michael !

Remerciements à Diane Launier et à la galerie Arludik pour l'organisation de cette interview, à Alain Delaplace pour sa traduction robotisée et à Mathieu Auverdin pour avoir supplée l'équipe de la meilleure des manières.


Alias Jessica Jones Michael Gaydos Marvel