Jeune auteur plein de talent, Singeon est le genre de garçon qui surprend. Aussi à l’aise dans un registre classique (dessinateur pour Bienvenue, Gallimard/Bayou) qu’indépendant ou alternatif (Sauvetages, chez Cornélius, Les Autres Gens, revue Doputotto Max), le dessinateur avance sans œillères, travaille en collaboration ou en auteur complet, au gré de l’inspiration et des envies. A l’occasion de la sortie du tome 1 de Bienvenue et du one-shot Sauvetages en 2011, nous avions parlé avec lui de ses goûts, de son rapport à la création et de ses envies d’auteur. Rencontre avec un gars ultra sympa et réfléchi, ouvert et affable. C’est parti !
interview Bande dessinée
Singeon
Bonjour Singeon, peux-tu te présenter brièvement aux lecteurs de planetebd : ta vie, ton œuvre ?
Singeon : J'ai trente ans, je suis né en Martinique. Je dessine depuis tout petit. Mes premier pas dans cet univers ont commencé au collège puis au lycée. On faisait de la bande dessinée et des comics avec nos moyens, on faisait nos armes. Après un Bac Littéraire option Arts Plastiques, j'ai fait une école de graphisme. Sans en faire mon métier, j'ai été sensibilisé au travail typographique et j'ai fait la connaissance d'un ami qui m'a encouragé à faire les Beaux-Arts de Paris. A partir de là, j'ai fait des fanzines, de la sérigraphie, puis j'ai noué les contacts qui m'ont amené quelques années plus tard à ma première grosse bande dessinée Bienvenue !!
Quelles étaient tes influences quand tu étais plus jeune ?
Singeon : Très tôt, Lucky Luke et Tintin évidemment, même si je m'identifiais bien plus au premier et Les Quatre As. Je dévorais les rares comics qui me passaient sous le nez, Strange notamment. Ce sont ces dessins que je recopiais le plus.
Est-il difficile de rentrer dans le monde de la BD ?
Singeon : Mes premières rencontres se sont faites sur des forums. Paris m'a ensuite été d'un grand secours pour me faire une bande d'amis partageant les mêmes intérêts pour la mise en case. Une fois bien entouré, les choses sont devenues plus accessibles, j'avais davantage confiance. Pour Bienvenue, j'ai bénéficié de la notoriété de Marguerite, qui m'a permis de réaliser mon premier album sans passer par les mêmes aléas qu'un auteur débutant seul. Son public a pu découvrir mon travail mais c'est avec plaisir que j'ai découvert que la seule couverture ou les dessins avaient été à l'origine du choix de certains de mes lecteurs.
A quoi ressemble une journée de travail chez Singeon ?
Singeon : Ça dépend vraiment du stade de développement du projet. Pendant la réalisation d'un album, je me fixe des objectifs à la journée : une page de crayonnés ou une page d'encrage, Sur la fin de Bienvenue 1, je travaillais essentiellement la nuit. J'arrivais à l'atelier à 16h, je repartais à 8h du matin. Sur Bienvenue 2 que je termine en ce moment, je travaille de jour et mon rythme s'est accéléré : 4 page par jour. .Je travaille à mi-temps en atelier avec d'autres dessinateurs : Anne Simon, Erwan Surcouf, Clotka… Ce qui me permet d'être stimulé, de reprendre des forces et surtout d'avoir une vie sociale pour ne pas devenir dingue tout seul chez moi. En l'absence de projet signé, je prends des notes pour mes idées de scénario et je dessine pour le plaisir. Je consacre beaucoup de temps à regarder des images sur internet, une source intarissable d'inspiration… qui parfois me submerge !
Est-ce que le travail de création est une souffrance ?
Singeon : Quand on est dans une période sans réel projet, il est difficile de se mettre à l'ouvrage sans être sûr de son aboutissement. Rien n'est encore acquis, on doute de sa validité de son projet. Le même sentiment arrive parfois lors de la réalisation d'une bande dessinée signée. Une commande d'illustration ou un épisode des Autres Gens sont des récréations alors idéales pour se changer les idées. Je dessine très régulièrement dans le métro, c'est mon souffle de liberté totale où je n'ai de compte à rendre à personne.
Comment se sont passées ta rencontre et ta collaboration avec Marguerite Abouet ?
Singeon : Je l'ai rencontrée par l'intermédiaire d'Agnès Maupré qui travaillait aux côtés de Clément Oubrerie sur le Chat du Rabbin. Elle savait que Marguerite cherchait un dessinateur pour un nouveau scénario. J'ai fait un essai et ça a marché. Côté travail, Marguerite arrive avec un scénario déjà écrit, découpé planche par planche. Marguerite m'a laissé le choix du découpage des cases ce qui m'a permis de m'investir beaucoup plus dans la mise en scène. Mon seul apport sensible au scénario est le fait que Bienvenue n'aille non pas en Fac d'Arts Plastiques (comme prévu initialement par Marguerite) mais aux Beaux-Arts. Y ayant étudié, je connaissais les lieux, l'ambiance et ç'aurait été dommage de ne pas utiliser ce matériau singulier. Et peu importe que les cours qui sont donnés dans Bienvenue ne reflètent pas le contenu exact de mes études là-bas.
Combien de temps t’a-t-il fallu pour réaliser la BD ?
Singeon : Un an et demi en tout. Un an pour trouver les personnages, faire le storyboard et ensuite 6 mois pour la dessiner, crayonnés plus encrages. Je me suis appuyé sur des photos et streetview sur googlemaps, qui est un merveilleux instrument pour le dessinateur. Dans Bienvenue on est dans un Paris fantasmé. Je m'inspire de la ville et la raconte par des détails qui lui sont propre : le métro, les barrières… Je suis très content quand les gens me disent qu'ils reconnaissent bien la capitale à travers ces petits détails : ce sont plus des codes graphiques que des vérités. br>
T’es-tu t’es inspiré d’une école sfarienne ou même de Clément Oubrerie pour ton dessin, est-ce que tu voulais t’inscrire dans un style particulier ?
Singeon : Un point commun nous relie avec Clément : les carnets de Joann Sfar édités chez l'Association. Pour lui comme pour moi ils ont été une source de motivation intense. Ces carnets ont dédramatisé le rapport sacré que je pouvais avoir avec le "beau" dessin, en mettant plus en avant la vivacité et la bizarrerie à l’œuvre, tout cela servi avec son talent de conteur au graphisme enlevé. Ils m'ont détendu. Quant à Clément Oubrerie, c'est la légèreté et la vie qu'il a su insuffler à Aya de Yopougon qui m'a marqué. Les cases arrondies de Bienvenue sont le seul clin d'oeil graphique à son travail sur Aya.
Quelles ambiances voulais-tu porter avec ton dessin ?
Singeon : C'est la première fois que je dessinais de manière aussi réaliste et il m'a fallu du temps avant de trouver un style qui me convienne pour les personnages, oscillant entre caricature et tendresse. Mais encore aujourd'hui, certains m'échappent. J'avais une image assez enchantée de l'histoire à la première lecture, mais plus je la dessinais, et plus je me rendais compte qu'une palette de couleurs trop chaleureuse ne conviendrait pas à cette vie d'étudiante galérant sous les toits. J'ai utilisé beaucoup de gris colorés, et Clémence Sapin m'a aidé à harmoniser les ambiances de ce premier livre.
Pour ta première vraie BD, quel était ton sentiment avant sa réalisation ?
Singeon : Beaucoup d'appréhension. J'ai même proposé à un copain de la dessiner à ma place ! Je pensais qu'il conviendrait mieux, lui qui était si fort en décors urbains et personnages féminins. Et puis je me suis dit que l'occasion était trop belle et je me suis lancé !
Quels ont été les échos des lecteurs par rapport à cette première BD ?
Singeon : Très bons, des retours sur mon blog et surtout en dédicace. Certains l'offrent à des amis et la conseillent. Des gens y reconnaissent leur vie étudiante, d'aujourd'hui ou d'il y a vingt ans.
Evoquons Sauvetages, chez l’éditeur indépendant Cornélius, un OVNI original, barré et inclassable : peux-tu nous raconter la genèse du projet ?
Singeon : Tout est partie d'un rêve que j'ai retranscrit en dessin : un singe albinos entouré de bateaux, à taille réelle ou modèles réduits. Il était tantôt minuscule, tantôt taille King-Kong et augurait ces jeux sur la différence d'échelle. Je lui ai trouvé ensuite une mission : sauver une princesse emprisonnée dans son donjon, ici les cheminées du bateau. J'ai travaillé au pinceau, sur un format A3 qui me sortait de l'échelle habituelle de mes dessins, plus petits. Au bout de trois ou quatre dessins, j'ai décidé que j'allais en faire cinquante pour développer toutes les situations imaginables. Ils ont ensuite été envoyés en 2006 à une quinzaine d'éditeurs, gros et indépendants. J'ai eu quelques réponses, engageantes ou intéressées, mais toutes négatives. Un petit éditeur m'a même dit : « On n'hésite pas à publier des livres casse-gueule, mais celui-là, il va nous couler ! » En 2008, je m'apprêtais à l'autopublier quand, à l'occasion d'une exposition Misma à Rennes (feu Périscopages), Jean-Louis Gauthey des éditions Cornélius est tombé sur ces dessins. Deux ans plus tard, mon livre était imprimé.
Dans ce livre déroutant, avais-tu une intention, et y-a-t-il tout simplement une cohérence ?
Singeon : Le pitch était simple : des singes doivent sauver une princesse sur des bateaux de guerre, et en découlera des situations variées : catastrophes, espoir, indifférence, dénouement joyeux, désolation... des variations autour de la séduction, faire la cour et prouver sa bravoure. La cohésion vient de la répétition des personnages et des décors plus que de la progression dramatique du récit.
C’est quoi pour toi Sauvetages : un livre illustré, un imagier, une BD, un livre, de l’art, un portrait de l’inconscient, un conte ?
Singeon : J'ai renversé l'ordre de création, j'ai accompagné mes dessins avec des mots et non l'inverse. Je cherchais un rythme sans scénario, je voulais éviter le catalogue et favoriser l'interaction entre les images et lecteur, avec comme résultat une narration non linéaire et polysémique où chacun compose son histoire.
On s’y perd souvent entre réel et fiction, dans cet imaginaire fécond et loufoque. Comment classerais-tu ou définirais-tu Sauvetages ?
Singeon : A Périscopages, Sébastien Lumineau m'a dit que c'était pour lui une bande dessinée, j'en ai été surpris et ravi. Si l'on s'en tient à une définition simple, la bande dessinée correspond à une séquence d'images qui raconte une histoire, mais pas forcément de manière linéaire. Même si j'ai du mal à en parler comme d'une bande dessinée, l'idée que c'en est une chemine dans ma tête. C'est différent d'un livre d'illustration. Je voulais accumuler beaucoup de dessins pour qu'au final, de toute cette matière le lecteur extirpe du sens ; j'ai voulu quelque chose de très empathique, un projection de situation amoureuse, où les personnages nous mettent dans la confidence en nous faisant participer aux plans. Sauvetages est un panorama de la séduction, rien n'est concrétisé.
Quels échos ?
Singeon : Positifs, les lecteurs séduits aiment se perdre dans le livre. Pour d'autres, sa narration rebute. Pourtant Sauvetage est un recueil de dessin sur un même thème ou chaque image raconte une histoire. Associées les unes aux autres, elles forment une grande épopée (marine). Le dessin subit diverses mutations, entre formes brutes et motifs délicats, qui découle d'un travail de recherche graphique important.
Dans quoi te sens-tu le plus à l’aise finalement, Sauvetages ou Bienvenue ?
Singeon : C'est un travail différent. Sauvetages est une expérience personnelle que j'ai réalisé quand j'étais aux Beaux Arts, qui devient un livre cinq ans après sa création. Bienvenue, c'est un ouvrage de commande, une fiction avec un texte existant auquel je devais donner vie par des personnages, une mise en scène recherchée. Sauvetages parle de moi, Bienvenue montre que je peux aussi faire parler d'autres gens.
Tes projets ?
Singeon : La suite de Bienvenue paraîtra en octobre 2012. Pour les Autres Gens, je participe à un des derniers épisodes (la série sur le net se termine fin juin). Et il y a un scénario de SF que je développe de mon côté, et pour lequel j'ai un éditeur pressenti. Je participe toujours à Doputtuto Max, dont le troisième opus sortira cet automne.
Ta culture BD, tes références ?
Singeon : Ma référence absolue de jeunesse : Akira Toriyama (Dragon Ball) a accompagné toute mon adolescence, surtout au collège. J'ai découvert ensuite Sfar, Blain, Blutch, David B., Killoffer. Aujourd'hui, Joe Daly dans lequel je me retrouve complètement, je suis émerveillé par son travail. William Sweeney avec Tales from the Green Fuzz, un anglais qui écrit des histoires barrées entre SF et fast-food, sorte de récit de hot dog, de mitraillettes camembert, de kebab et de hamburger qui se poursuivent. Charles Burns, qui m'avait plus marqué par Big Baby que Black Hole, Chris Ware aussi, très fort dans l'économie de moyens, dit beaucoup avec des formes très simples et utilise la matière du souvenir avec une maestria incroyable.
Si tu avais le pouvoir de visiter le crâne d'un autre auteur pour en comprendre son génie, qui choisirais-tu ?
Singeon : Question difficile, il me faut un petit temps de réflexion… J'aime les auteurs hyper analytiques en fait, parce que je ne le suis pas du tout. J'ai une admiration pour Alan Moore qui possède un esprit de synthèse extraordinaire, une connaissance des mythes sans fin et une culture immense. Je le trouve sidérant. Et contrairement à l'image du "bon"scénariste qui ne s'entoure que de "mauvais" dessinateurs, je trouve ses choix de collaboration toujours d'une adéquation parfaite.
Merci à toi, Singeon !