L'histoire :
Josef est l’héritier d’une usine d’éponge, dans une ville portuaire sur le rivage de la mer d’Edel, qui se vide de ses eaux. La cause de cette catastrophe écologique : une politique d’agriculture intensive imposée, privilégiée au dépend de l’économie de la pêche. La contestation, vive, est partagée entre une frange de population qui accepte ce douloureux sort et les francs-battants, qui mènent des actions terroristes à l’encontre d’un pouvoir despotique. Le père de Josef, vieil homme sage et résigné, a conscience que ce vent de révolte dépasse les simples divergences d’opinion. Selon lui, le problème est ethnique et la guerre civile couve. L’entreprise familiale étant sur le point de fermer, il conseille à son fils de sortir du pays, aidé par un passeur, pour refaire sa vie à l’étranger en compagnie de sa douce et gentille fiancée Joliette. Cependant, Josef, qui a du renier ses études de peinture, n’est pas sûr de vouloir de ce destin. Il s’en confesse volontiers, les soirs de beuverie, à sa grande amie Edith, artiste dévergondée. Par une belle nuit d’été, ils se promènent dans un champ de coton, à la chasse aux lucioles, une tradition locale. C’est alors qu’Edith présente Vespérine à Josef. Elle est l’épouse d’un opposant au régime politique, paralytique depuis une obscure altercation avec les forces de police. Les deux jeunes gens tombent alors immédiatement et irrémédiablement amoureux l’un de l’autre…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avec cette nouvelle série, le scénariste Jean-Philippe Peyraud et le dessinateur Alfred, tous deux jusqu’alors sans éditeur fixe, montent encore d’un cran leur savoir-faire dans le 9e art. Aux pinceaux, Alfred use en virtuose de son trait moderne et redouble de savoir-faire pour rendre les ambiances, les moments de légèreté ou au contraire la tension montante. Un choix graphique curieux, celui de caricaturer à outrance la milice en ombres chinoises, avec des casques à pointes, des yeux rouges et des rictus carnassiers, fonctionne néanmoins à la perfection. Car le scénario de Peyraud prend avant tout ses racines dans un contexte sociopolitique fictif tourmenté. La révolution gronde et s’ancre subtilement dans le récit et les dialogues. L’époque et le lieu sont purement imaginaires, même si cette mer intérieure menacée de disparaître fait penser à l’assèchement de la mer d’Aral, et les bâtiments coiffés de coupoles à un style architectural slave. Mais le cœur du récit est ailleurs : « Le désespoir du singe » est le nom donné à un arbre qui n’offre aucune prise aux primates pour s’accrocher. C’est la métaphore utilisée par Vespérine pour illustrer l’absurdité de sa liaison impossible avec Josef. L’histoire de cet amour naissant sur fond de guerre civile, insuffle certes une puissante tonalité romantique et un solide cadre politique, mais il a surtout un petit quelques chose de tragédie classique. D’ailleurs, l’entrée en matière de Josef et d’Edith, émergeant au lendemain d’une cuite et situant le contexte en 4 premières planches, fait penser à la construction d’une pièce de théâtre, acte 1, scène 1. Prévue pour s’étaler sur 4 actes (4 tomes), cette fresque historique et romantique débute donc de la meilleure des manières, offrant au passage un album magistral. Peut-être ce qui se fait de plus abouti en terme de bande dessinée moderne, tout en restant très accessible.