interview Comics

Joshua Dysart

©Panini Comics édition 2014

Joshua Dysart n'est pas un scénariste de comics comme les autres. Après un premier contact malheureux avec le médium, l'auteur a bien failli ne jamais poursuivre l'expérience. A force d'acharnement et de travail, il est parvenu à apporter de nombreuses choses à des licences bien connues dont les récits sont très souvent balisés depuis des années. Préférant prendre son temps pour peaufiner ses récits, Joshua Dysart a très vite eu la chance de travailler sur des figures emblématiques telles que Conan, Hellboy ou encore Swamp Thing. C'est pourtant en revisitant une des vieilles figures du comics des années 40, le Soldat Inconnu, que son talent a explosé aux yeux des lecteurs. Puissant et éprouvant, son récit n'a d'égal que le talent du dessinateur Alberto Ponticelli pour une série qui fera date au sien du catalogue Vertigo d'Urban Comics. Dernièrement, Joshua Dysart a intégré l'effectif des auteurs ayant rejoint les rangs de Valiant Comics qui lui permit de narrer ce qu'il voulait au sein d'un univers ambitieux. Là encore, le scénariste nous surprend dans le bon sens du terme en offrant une histoire riche et spectaculaire à la fois. A force de livrer de véritables pépites, l'envie de converser avec Joshua Dysart devenait plus grande chaque jour. L'occasion ne fut pas manquée et comble des réjouissances, le scénariste s’épand comme aucun autre avant lui au jeu des questions / réponses.

Réalisée en lien avec les albums Harbinger – version librairie, T1, Harbinger – version librairie, T2, Soldat inconnu T4, Hellboy T11
Lieu de l'interview : Le cyber espace

interview menée
par
28 avril 2014

violent messiahs Bonjour Joshua Dysart, peux-tu te présenter ?
Joshua Dysart : Bien sûr. Je m'appelle Joshua Dysart et j'ai commencé ma carrière en auto-publiant un comic-book en noir et blanc intitulé Violent Messiahs avec quelques amis. C'était en 1996. Le marché est entré en crise au moment même où nous sortions le premier numéro et nous ne sommes pas allés plus loin. On a mis le projet de côté et, avec mes amis, nous nous sommes mis à travailler sur d'autres titres, des créations à eux. J'ai toujours eu du mal à me fier à mon propre travail. Le fait est que je ne me suis pas impliqué, émotionnellement parlant, dans ce que je faisais avant 2000. Cette année-là, j'ai pitché une nouvelle version de Violent Messiahs à Image Comics, accompagné d'un nouveau dessinateur (Tony Rodriquez) et en couleurs cette fois. Ils ont marché : le titre a rejoint deux autres nouvelles séries et toutes les trois ont été publiées ensemble par Image. Ces deux autres titres étaient Powers de Brian Michael Bendis et Michael Avon Oeming et The Red Star de Christian Gosset. Ça a été super de bosser avec Image. Violent Messiahs a plutôt bien marché et m'a permis d'entrer en discussion pour d'autres titres, par la suite.

Quelles sont tes influences ?
Joshua Dysart : C'est un vaste sujet et, en général, un sujet que je m'efforce d'éviter vu le nombre de choses qui nous influencent tous. L'art, les gens, nos expériences personnelles... Tout cela participe à nos influences et la réponse à cette question a tendance à partir dans toutes les directions et varie constamment. Mes inspirations sont nombreuses et difficiles à définir précisément. Cependant, en termes de comics, je suis essentiellement le produit de deux périodes distinctes. Tout d'abord, celle des comics underground qui ont émergé à la fin des années 60, ici, aux Etats-Unis. Robert Crumb était alors le chef de file de ce mouvement. Ensuite il y eu la période des comics britanniques, au milieu des années 80 dont le principal artisan était, selon moi, Alan Moore. Le premier mouvement était fondé sur de folles expérimentations de déconstructions et une totale liberté esthétique tandis que le second a eu débouché sur l'émergence d'une littérature populaire de grande qualité visant un public exigeant et réfléchi. Ces deux mouvements ont tout changé, ici, en Amérique. Le tout premier comics que j'ai lu était le premier numéro de Zapped, de Robert Crumb, que j'avais trouvé au milieu de la pile de numéros de Playboy de mon père, après que mes parents aient divorcés. J'avais alors reconnu le style de Crumb car mes parents possédaient aussi l'album Big Brother and Holding Company (NDR : du groupe Cheap thrills) dont Crumb avait réalisé la couverture.

violent messiahs

Crumb a donc été le premier artiste dont j'ai appris le nom. Dès le départ, ma conception des comics était entachée par cet agglomérat de sexualité, de rock'n'roll et autres plaisirs défendus. Ensuite sont venus Watchmen, Maus, Cerebus et Love and Rockets et tout cela me paraissait tellement plus intéressant que le tout-venant super-héroïque que je lisais peu. A la même époque, j'étais - et je suis encore - un grand fan des films documentaires. J'ai toujours trouvé le drame réel bien plus séduisant que le drame artificiellement rehaussé des fictions. J'étais l'enfant unique d'un jeune couple donc les adultes (qui avaient alors entre 19 et 25 ans, quand je suis né, mais cela était "adulte" à mes yeux) me fascinaient vu qu'il n'y avait pas d'autres enfants dans mon entourage. J'ai aussi lu beaucoup de science-fiction, en grandissant, et cela m'a orienté vers la littérature pulp. Je suppose donc que tout cela a contribué à la nature de mon travail, aujourd'hui. J'étais bien trop jeune quand ma mère m'a emmené voir Raging Bull, au cinéma. Peu de temps après, elle m'a aussi emmené voir Alien. A moins que ce ne soit l'inverse, qui sait, la mémoire est une chose amusante. Quoi qu'il en soit, Alien m'a terrifié. J'étais tellement petit qu'il a fallu m'expliquer que tout ça était pour de faux et que le monstre n'était qu'un gus en costume. Mais le fait est que ces deux films, viscéraux, envoûtants, ciselés et pourtant différents l'un de l'autre ont fusionné dans mon petit esprit saturé. Je ne percevais pas de différence entre une tragédie familiale et virile traitant d'un boxeur en guerre avec le monde et une oeuvre de science-fiction sombre traitant des horreurs de la nature. D'un certain point de vue métaphorique, l'un s'appliquait à l'autre et c'était la même histoire. Je pense que, depuis, je n'ai cessé d'essayer d'assembler le grand art et le modeste pulp.

violent messiahs Quel regard portes-tu sur Violent Messiahs aujourd'hui ?
Joshua Dysart : C'était tout à la fois génial et horrible. Nous étions tous deux au sein d'un même processus créatif, ce que je n'avais jamais fait, auparavant. Je commençais les choses mais je ne menais jamais les projets à leur terme. Ça, c'était ce qui était génial : élaborer quelque chose, devenir accro à ce processus créatif. Gosse, je ne faisais pas parti d'une troupe théâtrale ou d'un groupe de musiciens ou quoi que ce soit du même genre. J'étais plutôt solitaire alors tout ça était nouveau pour moi alors que j'étais dans ma vingtaine. Mais c'était difficile, aussi. J'étais fauché et je dormais sur la canapé dans le studio où l'on réalisais le comics. Bill (NDR : William O'neill) et moi n'étions pas non plus les meilleurs amis du monde. On ne s'entendait pas ; on avait des opinions politiques divergentes et on voyait le monde différemment. En plus, je cohabitais avec lui ainsi qu'avec sa femme, Jane, dans ce tout petit espace et ça a eu un effet négatif sur nos relations et ça aussi ça a été dur pour moi car personne n'a envie d'être le trou du cul qui squatte le canapé pendant des mois et des mois. Il en a résulté de nombreux conflits. Honnêtement, ça a été une période ignoble de ma vie. Mais je savais qu'il me fallait finir le boulot et terminer ce premier volume (les huit premiers numéros). Je me disais qu'une fois ça terminé, je pourrais abandonner les comics, faire autre chose, ou bien tout laisser tomber, qu'importe. Je commettais de nombreuses erreurs en route et j'apprenais encore ce que c'était d'être créatif mais il fallait, en tous cas, terminer ce volume. La souffrance est naturellement associée à la croissance de l'individu. Enfin, le premier volume a fini par être publié, c'était la nouvelle version de chez Image Comics, et on m'a tout de suite proposé de travailler sur autre chose, ce qui allait être mon premier job rémunéré. J'ai continué à faire des comics et ma vie s'est par la suite améliorée grâce à la créativité dont j'ai appris à faire preuve. Aujourd'hui, je pense que cette expérience est une des choses les plus importantes que j'ai pu faire et qui m'ont permis de me retrouver où je suis.

hellboy dysart Par la suite, tu as participé à plusieurs titres célèbres comme Swamp Thing, Conan ou Hellboy. Que penses-tu de ton travail ainsi que de celui de tes collaborateurs au cours de cette période ?
Joshua Dysart : Ce qui est marrant c'est que tous ces titres, tous ces personnages qui sont venus à moi - je n'ai jamais explicitement demandé à travailler sur ces titres -, je les adorais quand j'étais gosse. J'étais un fan du Swamp Thing de Len Wein et aussi de celui d'Alan Moore, j'ai lu tous les Conan de Robert E. Howard et j'avais lu tout Hellboy depuis sa première aventure dans la revue Dark Horse Presents, sortie peu avant que je ne débute dans les comics. Pour autant, je n'aurais jamais eu le courage de me lancer après ces titres. De toute façon, je n'ai jamais été le genre de gamin qui s'asseyait et imaginait des histoires pour des personnages qui n'étaient pas les siens, ça ne me serait venu à l'esprit. J'écrivais, certes, mes uniquement mes propres histoires, celles de mes propres personnages. Et mes premières histoires étaient rarement du pulp et étaient plutôt des essais ratés à de la haute littérature. Mais ces titres, ceux que j'aimais lire étant enfant, ils sont venus à moi sans que je ne demande quoi que ce soit. J'ai du émettre une sorte d'onde positive ou bien j'avais mes influences écrites sur mon front, sans le savoir. C'était à l'époque où je rencontrai les gens qui allaient par la suite m'apprendre à écrire de bon comics. Scott Allie, Mike Mignola, Joan Hilty, Jon Vankin, Karen Berger, Pornsak, Pichetshote,... Tous étaient mes professeurs. Et le dur labeur lié à une production quotidienne et régulière était lui aussi un professeur: écrire chaque jour, penser continuellement aux comics, voir arriver les illustrations, apprendre des illustrateurs, apprendre à devenir flexible et à adapter mon style à celui de l'artiste avec lequel je collaborait... Tout cela fait partie d'un cursus global auquel je suis inscrit depuis 2000. Je pense, par exemple, que mon run sur Swamp Thing comporte certaines des pires choses que j'ai pu écrire mais aussi certaines de mes meilleures et des plus audacieuces écrites, aussi. A mesure de la lecture, on peut constater mon évolution, sentir que ma vision des choses devient plus claire. Bien sûr, j'apprend encore aujourd'hui. Mon éditeur actuel, Warren Simons, m'apprend à être plus commercial sans pour autant sacrifier mon esthétique personnelle. Je n'ai pas l'impression d'être là pour réaliser quelque chose de durable ou pour laisser un héritage quelconque. Je suis ici pour effectuer un travail sur moi-même, pour employer la créativité et l'écriture afin de devenir un meilleur penseur, une meilleure personne. Quelqu'un de plus empathique, qui soit en paix avec lui-même. Le fait que je sois payé pour ce travail, c'est la cerise sur le gâteau.

unknow soldier soldat inconnu En 2008, Alberto Ponticelli et toi avaient relancé Soldat Inconnu. Comment as-tu rencontré Alberto et comment vous êtes vous retrouvés sur ce projet ?
Joshua Dysart : J'ai été approché par Vertigo, tout comme bon nombre d'autres auteurs, afin de pitcher une nouvelle version d'un classique de la deuxième guerre mondiale : Soldat Inconnu. Je leur ai alors pitché l'idée de l'Ouganda et du conflit entre l'Armée de Résistance du Seigneur et la Force de Défense du Peuple Ougandais. Une fois le feu passé au vert, mon éditeur - Pornsak - et moi-même avons commencé à chercher un dessinateur. Pornsak a tout de suite aimé le dessin d'Alberto mais je pensais que ça ne collerais pas. Je voyais bien son génie mais je pensais qu'il nous fallait moins de style et plus de réalisme. Mais Pornsak a insisté et j'ai cédé. A la seconde où j'ai commencé à recevoir des pages de travail, j'ai su que Pornsak avait eu raison. Alberto était un monstre. Son travail était extraordinaire. J'ai appris à aimer cet homme: il est gentil, drôle et il a mis tout son cœur et toute son âme dans Soldat Inconnu. Je crois que je n'ai été confiant dans notre capacité à réussir cette entreprise qu'à partir du moment où Alberto nous a rejoints. Il a sauvé ce bouquin, il l'a rendu vivant, l'a défini temporellement et géographiquement, physiquement et émotionnellement. Il n'y a rien qu'il ne puisse faire, artistiquement. Le jour où je travaillerai de nouveau avec lui sera un grand jour, oh oui.

Peux tu présenter Soldat Inconnu à nos lecteurs ?
Joshua Dysart : Soldat Inconnu parle d'un médecin, un pacifiste né en Ouganda et ayant reçu son éducation aux Etats-Unis. Cet homme retourne en Acholiland (NDT: une région d'Afrique de l'est située au nord-est de l'Ouganda), au nord de l'Ouganda, en 2002 alors que le conflit entre l'ARS et l'armée bat son plein. L'âge moyen des combattants était alors de 13 ans. Il se rend là-bas afin de servir la nation dont il s'est senti culturellement exclu. Mais il craque, ou peut-être était-ce le fruit de son éducation. En tous cas, il finit par emprunter le chemin de la violence dans cet endroit violent en soi. Et en plus, il s'avère être doué pour ça, pour la violence. Il devient un soldat solitaire dans ce bush est-africain et il abandonne tous les principes et la morale qui lui ont été inculqués. Il devient un énième import occidental, perdu et n'ayant rien d'autre à offrir à sa terre natale qu'un peu de désolation supplémentaire. A travers cette histoire, nous essayons de traiter de la nature de la violence, de l'origine de ce conflit, de les effets de la guerre sur les civils ainsi que sur la culture, du phénomène des enfants soldats, des dégâts causés à la région par la distante gouvernance américaine, de la complexité de l'aide occidentale à l'Afrique et du rôle que les marges et profits jouent dans de tels conflits. Je sais bien que cela fait beaucoup de choses pour un petit bouquin de guerre pulp, mais on a fait ce qu'on a pu, je laisse les lecteurs juger de notre réussite.

unknown soldier As-tu lu quelques une des versions précédentes de Soldat Inconnu ?
Joshua Dysart : Bien sûr. Notre Soldat Inconnu est dans la continuité directe de celui de Garth Ennis ainsi que dans celle du tout premier run, aussi. J'ai lu tous les Soldat Inconnu, même s'il vaut mieux laisser certains tomber dans l'oubli.

Pourquoi avoir choisi l'Ouganda ? J'ai lu quelque part que tu as passé un mois là-bas, est-ce vrai ?
Joshua Dysart : J'ai choisi l'Ouganda parce que Joseph Kony exerce une fascination sinistre sur moi. C'était bien avant la campagne Kony 2012, qui a été une catastrophe sur le plan de la communication du côté de l'occident. J'ai aussi choisi l'Ouganda car le conflit entre et l'Armée de Résistance du Seigneur de Kony et l'armée Ougandaise est une des crises humanitaires les plus longues mais aussi des plus méconnues de ma génération. Quand j'y suis allé, en me rendant en Acholiland, cela faisait alors 21 ans que ce conflit perdurait. Plus de trois millions de personnes ont du être déplacées et quelques 25000 enfants se sont trouvés de force dans les armées combattantes. C'était un désastre ignoré, une guerre ignorée. Et je pense que le sans-coeur-issu-du-monde-développé qui était en moi y a vu le théâtre idéal pour un soldat inconnu fictif, même si c'est le mercenaire en besoin d'un job qui y a pensé, au départ. Au moment de pitcher mon histoire, je n'ai pas accordé d'attention au caractère complexe d'une telle entreprise revenant à faire de ces horreurs un récit de guerre occidentalisé et commercial. C'est après que ça m'est venu, quand il m'a fallu mettre la main à la pâte. Je suis alors devenu obsédé par les contradictions inhérentes au produit : était-ce du divertissement ? Était-ce un simple job ou bien une forme d'activisme ? Était-ce anti-guerre ou bien est-ce que je glorifiais celle-ci ? Etc, etc. Et oui, je me suis rendu en Acholiland, en Ouganda. Depuis la frontière avec la République Démocratique du Congo jusqu'à la frontière soudanaise puis jusqu'à la frontière kenyanne. J'y suis resté un mois en 2007, durant un cessez-le-feu qui a été rompu le mois même ou le premier numéro de Soldat Inconnu est sorti, en 2008, quelques jours avant la sortie, pour être précis. J'ai alors passé du temps avec des soldats de l'armée ainsi qu'avec des ex-ARS ainsi qu'avec de très nombreuses autres personnes ayant été affectées par la guerre. C'était une des choses les plus importantes que je n'aie jamais faites, en tant qu'être humain : aller sur place et rencontrer les gens.

unknown soldier La version française contient de nombreux bonus en fin d'albums, de véritables textes quasi-documentaires. Est-ce que, pour toi, les comics sont un bon moyen de faire passer de nouvelles informations au lecteur ?
Joshua Dysart : Je pense que tu parles des textes que j'ajoutais à la fin de chaque numéro. Tout cela est de moi, j'ai effectivement écrit de longs textes figurant en fin d'ouvrage, du moins à la fin de ceux parus aux Etats-Unis. Je ne sais pas si les comics sont encore un bon moyen de faire passer de l'information mais cela a été le cas, fut un temps. C'est visuel, pas cher et, avant qu'internet ne débarque, ça se vendait très facilement. Internet a changé la manière dont les données se propagent ainsi que les médias dans lesquels nous sommes engagés. Mais les comics ont été l'outil de propagande de choix pendant un long moment et je crois qu'ils ont encore une grande influence.

Parmi les autres points forts de Soldat Inconnu, on a la participation à l'illustration de Pat Masioni, un artiste africain. Comment est survenue cette collaboration ?
Joshua Dysart : ça a été une longue et difficile quête. On voulait vraiment trouver un artiste africain. En particulier, on souhaitait trouver un artiste de l'est de l'Afrique. Pat vient de la République Démocratique du Congo, c'est un peu plus à l'ouest que la partie de l'Afrique où l'on cherchait en priorité mais il s'est avéré parfait pour notre ouvrage. On l'a découvert alors qu'on parcourait un catalogue en ligne pour une exposition artistique comportant les œuvres d'artistes africains. A ce moment-là, cela faisait un an que l'on cherchait quelqu'un. C'était important pour nous d'amener sur ce projet quelqu'un pouvant garantir une certaine honnêteté culturelle. Pat était phénoménal. Il semble que nous soyons bientôt amenés à travailler de nouveau ensemble alors gardez vos yeux bien ouverts !

unknown soldier Est-il difficile de trouver une narration adéquate, qui soit entre réalisme et fiction ? Que penses-tu de Soldat Inconnu aujourd'hui ?
Joshua Dysart : Ouais, c'est toujours un équilibre difficile à maintenir mais c'est aussi le créneau sur lequel je me suis le plus engagé, en tant qu'auteur. Pour ce qui est de Soldat Inconnu, on traitait d'un conflit qui avait vraiment eu lieu et au cours duquel de vraies personnes ont trouvé la mort. Et voilà qu'on en faisait du divertissement pulp. Je continue à me demander si on a bien fait. Mais mon éditeur me disait toujours "Si tu as peur de te planter, débarrasse-toi de tes craintes à travers ton travail." alors c'est ce que qu'on a fait. On a essayé, à travers le comics, de traiter à chaque fois de ce dont on pouvait nous accuser. Par exemple, on traitait de la manière dont la vision occidentale du monde faisait ressortir les pires aspects de la culture est-africaine, etc. On est rentré dedans tête la première parce que, dans le cas contraire, il aurait été malhonnête de notre part d'ignorer l'absurdité qu'il y avait à réaliser un tel comics. En ce qui concerne la deuxième partie de ta question, est-ce que tu parles de ce que je pense de notre version de Soldat Inconnu ou bien de celle qui a suivi ? Je ne peux pas vraiment parler de la dernière mouture de Soldat Inconnu. C'est comme ça, c'est quelque chose dont DC Comics peut se servir pour vendre du comics. C'est la raison pour laquelle ma version de Soldat Inconnu devait mourir. Il lui était impossible de survivre dans ce monde moralement propre et aux couleurs chamarrées du DC Comics Universe. Il se demanderait en permanence pourquoi Superman ne combat pas Joseph Kony. Mais si tu veux savoir ce que je pense de notre travail à nous, eh bien j'en suis très fier. Parfois, je me dis que j'ai échoué (pas le reste de ma fantastique équipe, seulement moi), que je n'ai réussi qu'à retranscrire qu'une merde d'exploitation post-coloniale. Mais je trouve le plus souvent qu'on a réussi à faire quelque chose qui est d'un réel intérêt. On a pris les comics pulp et on les a balancés dans le monde réel, on a livré de l'action, du divertissement et peut être aussi un peu de vérité. Peut-être même a-t-on réussi à éduquer certains éléments de la "génération X-Box" ? Peut-être a-t-on réussi à les faire réfléchir à ce qu'est la guerre sorti de leur connerie de "Call of Duty" sans pour autant avoir eu l'air de leur faire la morale. Qui sait ?

bprd Tu as collaboré avec Mike Mignola sur B.P.R.D. 1947 et 1948. Que penses-tu de ces deux sagas ?
Joshua Dysart : Je suis un grand admirateur de ce que fait Mike et je suis très, très reconnaissant d'avoir pu faire partie de son univers. J'ai adoré travailler avec lui, Paul Azaceta, Gabriel Ba, Fabio Moon et Dave Stewart. Je suis super fier de ce qu'on a fait.

Récemment, tu as participé à la renaissance de Valiant Comics avec Harbinger. Le second album vient juste d'être publié en France. Peut-tu présenter cette série à nos lecteurs ?
Joshua Dysart : La série traite d'un conflit de classes qui est aussi générationnel et il est raconté à travers le prisme des super-héros. Ça parle du fait d'être jeune et tant de pouvoir que l'on ne sait quoi en faire. ça parle aussi du capitalisme, de ce que c'est capable de faire mais aussi de défaire. Ça traite des relations entre garçons et filles. Dans le détail, ça parle d'un jeune SDF accro aux cachetons et qui se révèle un psiotique (notre version du super-héros) ultra-puissant mais inexpérimenté. Il est recruté par la plus grande congrégation du monde qui s'avère être dirigée par un psiotique très puissant, peut être le plus puissant de l'histoire. Cette corporation cache en son sein une école secrète pour les enfants semblables à notre héros. Mais les événements se précipitent, tout part en vrille et on finit par avoir ce jeune punk drogué, fauché, démocrate et indiscipliné qui part en guerre contre un riche et puissant dictateur. A partir de là, l'histoire s’échevelle et part dans tous les sens, y compris des plus dingues.

harbinger Qu'est-ce que nous réservent les prochaines aventures de Pete ?
Joshua Dysart : Ouaip. Si le dernier album français est Harbinger : Renégats (un de mes préférés jusqu'à maintenant) (NDR : c'est le cas !), alors ce qui suit sera le crossover Harbinger Wars autour de la bataille pour Las Vegas ! De la bonne lecture ! La série est très "super-héroïque" à ce moment-là. Après ça, un autre de mes albums préférés arrive : Perfect Day. C'est dans la continuité bizarre et déjantée de ce qui a précédé. Je l'adore mais ça a un peu divisé les lecteurs. Mais je pense qu'en tant que narrateur, on a échoué si on n'a pas réussi à fâcher quelques personnes en route. Et puis après ça arrivera Résistance qui change toute la donne pour l'univers Valiant et pour Harbinger en particulier.

Pourquoi avoir choisi Valiant Comics pour la suite de ta carrière ?
Joshua Dysart : C'est plutôt eux qui m'ont choisi, en quelque sorte. Ils m'ont proposé du boulot, ils avaient l'air cool et ils m'ont laissé beaucoup de liberté sur mes créations. Alors je les ai rejoints.

Que penses-tu des autres séries Valiant Comics ?
Joshua Dysart : Je pense qu'elles sont géniales. On a des auteurs incroyables en ce moment : Fred Van Lente, Robert Vinditti, Matt Kindt... Un talent incroyable ! Et plein de fabuleux dessinateurs !

As-tu des projets à venir ?
Joshua Dysart : J'en ai mais je ne peux pas encore les annoncer. Je prends mon temps pour préparer mes petits plats, si tu vois ce que je veux dire.

harbinger wars

Connais-tu des comics ou des artistes français ? Si c'est le cas, qu'en penses-tu ?
Joshua Dysart : "Bien évidemment ! Bande Dessinée !" (NDR: en français dans le texte). Quelques uns des meilleurs comics du monde ! Georges Bess, Enki Bilal, Jacques Tardi, Philippe Druillet, Jean-Claude Mézières et le plus grand dessinateur de comics ayant jamais vécu, Jean Giraud ! Il y a aussi le grand réalisateur chilien et accessoirement force de la nature Alejandro Jodorowski, qui travaille sur des comics français ! Et n'oublions pas Hergé et tous les autres maîtres franco-belges. J'adore les comics français. Si je déménage en France, y aurait-il moyen pour moi de travailler sur des comics, là-bas ? Malheureusement, mon français est nul et je lis surtout des traductions américaines. J'ai quand même quelques éditions originales, en français. J'aime ne serait-ce que regarder les dessins.

harbinger wars Si tu avais l'opportunité de travailler sur une histoire basée sur un super-héros sur lequel tu n'aurais pas encore travaillé jusque là , lequel choisirais-tu ?
Joshua Dysart : Mmm... Je n'arrive pas à penser de cette manière et, de toute manière, les super-héros ne sont pas mon truc, à la base, même si je me sens attiré par les personnages du Silver Surfer et de Doctor Strange. C'est le genre de choses que j'aime bien. Pendant un temps, je travaillais sur le développement d'une histoire de Captain America mais ça ne s'est jamais concrétisé. Mais ce serait intéressant de travailler sur le personnage, quand même. Il y a moyen de se montrer subversif, avec lui. Mais en général je préfère les gens normaux aux héros. Il n'y a rien de fascinant à regarder Superman voler dans un bâtiment en flammes pour sauver des gens mais quand un quidam se jette dans les flammes pour ça, c'est tout à fait admirable, si tu vois ce que je veux dire.

As-tu un comic-book préféré ?
Joshua Dysart : Oui, il y en a même trop pour tous les nommer. Ce sont souvent des graphic novels. J'ai du mal à suivre les séries mensuelles. 22 pages et quelques tous les trente jours, ce qui est le rythme américain, c'est une drôle de façon de faire. Pour en revenir à mes favoris, j'aime tout ce que font Jason, Sammy Harkham et Dan Clowes ainsi que bien, bien d'autres. Je pense que From Hell est le meilleur graphic novel anglophone. Encore une fois, il y trop de réponses possibles pour toutes les citer ici.

Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un autre auteur pour en comprendre son génie, qui choisirais-tu ?
Joshua Dysart : Walt Whitman, peut être ? Juste pour me balader un moment avec lui, tu vois. Baigner dans son aura et partager sa vision de l'Amérique. D'une certaine manière, ça serait plus comme passer du temps avec un moine qu'avec un auteur. Il y avait tellement de grâce et de puissance... L'écriture était sa méditation. Apprendre sa façon d'aimer et, à partir de là, de cet amour, commencer à simplement créer serait extraordinaire. Mais très honnêtement, j'ai une bonne centaine de noms en tête et il se trouve que le sien en fait partie.

Merci Joshua !!

Remerciements supplémentaires à Alain Delaplace pour sa traduction digne d'un psiotique !

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