interview Bande dessinée

Michel Dufranne

©Le Lombard édition 2014

Après 35 albums, ce psychologue de formation et critique littéraire de métier se définit toujours comme un apprenti scénariste du 9ème art. Michel Dufranne – que certains ont forcément croisé en tant que Miroslav Dragan – avoue se spécialiser dans les « mauvais genres », jouer la mouche du coche et rester toujours curieux de comprendre et creuser les sujets culturels ou sociaux à la marge. C’est ce qui l’a poussé à s’intéresser au cas des homosexuels sous le régime nazi (Triangle rose) ou plus récemment au mouvement Femen, ces militantes anti-patriarcat venues d’Ukraine qui exhibent avec virulence leurs messages sur leurs seins nus. Avec le Journal d’une Femen, en compagnie de la dessinatrice Séverine Lefèbvre, ils réalisent un formidable travail de vulgarisation documentaire, bien que 100% fictif, étayé par des mois d’enquêtes et de rencontres. Un auteur essentiel !

Réalisée en lien avec l'album Journal d'une Femen
Lieu de l'interview : Le cyber espace

interview menée
par
21 septembre 2014

Bonjour Michel ! Pour faire connaissance avec toi et ton œuvre de bande dessinée, comment te présenterais-tu aux néophytes ? Qui es-tu ? Quelles sont tes différentes casquettes ?
Michel Dufranne : Quadra, père de famille, belge, bruxellois, psychologue de formation, apprenti scénariste de BD depuis un peu plus de 11 ans et 35 albums, critique littéraire dans la petite lucarne (RTBF) et dans le poste (RTBF/La Première) depuis 10 ans, lecteur boulimique, « spécialiste » des « mauvais genres », obèse et barbu, toujours chaussé de Converse et couvert d’une casquette (mais je ne suis pas Kris) et fan de hockey sur glace.

Y-a-t-il du faux dans les affirmations suivantes : petit, tu voulais être bibliothécaire ou tueur à gage ; aujourd’hui tu lis un livre par jour ; tu considères la curiosité comme une géniale qualité ; et tu fais toujours rien qu’à faire le contraire de ce qu’on attend de toi.
Michel Dufranne : C’est un résumé assez rock’n’roll d’une interview que j’ai accordée récemment à BELA [Maison des Auteurs, SCAM/SACD], donc tout est vrai puisque c’est sur Internet ! Que dire… J’ai transformé notre appartement en bibliothèque (j’ai arrêté de compter les livres, il y en a trop) et lis plein de romans avec des tueurs ; je m’efforce de lire un roman par jour (donc si on ajoute les BD sur les WC ou au lit, ça fait plus qu’un livre) ; la curiosité est effectivement l’un de mes moteurs (le désir de comprendre serait plus exact que « curiosité ») qui peut être à double tranchant quand il s’agit de monter des projets de bande dessinée (« Holà, c’est trop pointu comme sujet, ça n’intéressera aucun lecteur ni libraire un truc pareil ! ») ; quant à avoir l’esprit de contradiction, je n’irais pas jusque-là, je suis plutôt « mouche du coche » que contradicteur et j’aime bien évoluer aux lisières des chemins balisés et autorisés.

Tu scénarises des BD dans des registres très variés. Tu sembles t’éclater aussi bien avec des aventures fantastiques, des adaptations d’œuvres littéraires ou des sujets sociaux, historiques ou religieux… L’éclectisme serait-il ton équilibre ?
Michel Dufranne : Je ne m’éclate pas en écrivant. Je suis un auteur torturé en perpétuelle interrogation, ce qui est une belle connerie en ces temps de crise où l’idéal est de produire vite et beaucoup pour tenir la tête hors de l’eau. Si je semble exigeant avec mes collaborateurs, ce n’est rien comparé à la pression que je me mets tout seul ! Par ailleurs, je ne cherche pas l’éclectisme, je cherche des sujets, des thèmes, des rencontres, qui me titillent les petites cellules grises et me poussent à m’interroger et à dépasser mes propres limites de connaissances, voire à remettre en cause certaines de mes opinions. Ensuite, se posent les questions : est-il judicieux d’en faire des livres ? Si oui, sous quelle forme ? L’éclectisme découle donc des interrogations initiales et non l’inverse. Quant à mon équilibre, il vient de la nécessité de toujours le trouver une fois que l’on évolue sur le fil… Malheureusement le stress est mon moteur.

Y-a-t-il des « genres » qui ne t’attirent pas ?
Michel Dufranne : Non. Je le répète : le genre doit découler naturellement de mon interrogation initiale. Il est probable que je ne fasse jamais de bande dessinée d’humour car je ne suis pas un gars drôle ; cela dit les auteurs d’humour sont rarement des gars drôles, donc peut-être me trompé-je et devrais-je me réorienter… Au-delà du « genre » de récit, je pense qu’il y a une forme de narration dans laquelle j’aurais beaucoup de mal à m’épanouir : l’entertainment. Étant toujours obsédé par l’idée d’amener le lecteur à découvrir quelque chose ou à s’interroger sur ses acquis, j’ai beaucoup de mal à ne pas tout compliquer, à introduire des détails qui ne pourront être identifiés que par des lecteurs très attentifs voire – pire – ayant un bagage culturel de pointe… Bref, j’ai beaucoup de difficultés à être séduisant et simple, ou à brosser le lecteur dans le sens du poil. Je m’interroge aussi sur ma capacité à, par exemple, rejoindre une série-concept ou m’emparer d’un personnage existant (en mode reprise ou spin-off)… mais comme on ne me l’a jamais proposé et qu’on ne me le proposera jamais, je ne devrais pas m’interroger sur le sujet.

Pourquoi signer parfois sous le pseudonyme Miroslav Dragan ? Comment as-tu pondu un nom pareil ?
Michel Dufranne : Le pseudo provient de la contraction de noms de joueurs de Hockey sur glace. Il est né à une époque où je menais de front des activités incompatibles qui nécessitaient que certaines se passent sous pseudo. Ensuite, je me suis fixé comme règle : « Dragan » pour les récits relevant de la sphère de « l’Imaginaire » et « Dufranne » pour ceux émargeant de l’espace « réaliste ». Lors de la préparation du premier tome de Souvenirs de la Grande Armée, des commerciaux et des libraires m’ont alerté et confirmé qu’en ces temps troublés où le marché est « réactionnaire », il était préférable de pérenniser mon vrai nom « bien-de-chez-nous »… Un jour, peut-être que Dragan ressortira de son placard, mais il risque de ne pas être content !



Venons-en au mouvement Femen. Pourquoi as-tu éprouvé le besoin de t’intéresser à cette cause et à cette forme « sulfureuse » de militantisme ? Est-elle vraiment sulfureuse, d’ailleurs ?
Michel Dufranne : Sulfureux ?! Vraiment… Agressif, choquant, révoltant, marrant, etc. probablement, mais « sulfureux », comme vous y allez… Pourquoi ? Initialement par curiosité, on y revient toujours. Je travaillais à l’époque à l’élaboration d’un projet traitant de certains éléments de l’histoire ukrainienne mis en rapport avec le grand-frère russe et l’Occident. Le projet ne s’est pas fait car « Coco, tu comprends bien que ça n'intéressera jamais les lecteurs français ! »… J’étais donc en relations avec des contacts russes et ukrainiens qui m’avaient apporté de la documentation pour Souvenirs de la Grande Armée ; l’un d’eux m’a informé d’une manifestation « étrange » : des nanas défilaient topless, un truc impensable dans un pays orthodoxe comme l’Ukraine. J’ai commencé à me renseigner sur ledit mouvement, j’ai pris des premiers contacts, mais rien de suffisamment élaboré pour me mettre à écrire. Lorsque Inna Schevchenko a fui son pays pour la France, c’est m’ont épouse qui m’a conseillé de la rencontrer « de visu », maintenant qu’elle était à 1h25 de Bruxelles. Quelques coups de fils et j’avais un contact direct avec elle ; quelques heures plus tard je la rencontrais… Je n’avais toujours aucune idée claire quant à un projet BD, mais lors de notre deuxième rencontre, j’ai été interpellé par sa « garde prétorienne » de jeunes militantes françaises. Je me demandais pourquoi ces femmes s’engageaient aux côtés d’une Ukrainienne ? Comment elles géraient cet engagement au quotidien ? Etc. J’avais suffisamment de questions pour que cela me semble un sujet intéressant à traiter… Et comme en plus j’avais l’accord de toutes les actrices, j’ai pu commencer à bosser.

Comment nous expliques-tu ce paradoxe qui te pousse à mettre en exergue d’un côté la Bible et de l’autre des militants anticléricaux ?
Michel Dufranne : Personnellement, je ne vois aucun paradoxe à traiter de ces sujets. Mon rôle est de m’effacer derrière les récits que je propose et de conserver une neutralité objective qui ne laisse pas transparaître mes pensées ou goûts profonds. Ce sont les autres qui cherchent de la cohérence ou des contradictions dans ce que je fais ; ça doit les rassurer. Mais personnellement, ce genre de remarque me fait toujours un effet étrange… C’est comme si on disait « Quoi !? Tu joues au foot et tu sais lire ?! ». Nous vivons dans une société judéo-chrétienne (même les plus laïques d’entre nous aiment profiter de leurs vacances de Noël ou de Pâques) et nous « subissons » l’actualité tous les jours… Pourquoi s’interdire de s’interroger sur le monde dans lequel nous vivons ? J’ai « subi » plusieurs questionnements de ce genre. Une année, paraissaient à des dates rapprochées des albums de Souvenirs… et de La Bible…. J’ai été « interpellé » sur la toile par un libraire qui me traitait de facho car l’équation était simple : Premier Empire + Religion = militantisme identitaire ! Quelques années plus tard, un journaliste qui avait toujours défendu les sorties d’albums de La Bible a été choqué que j’écrive Triangle Rose et ne me trouvait plus légitime pour « oser transposer » ce texte fondateur. Tant que je ne me mens pas à moi-même, je continuerai à traiter des sujets qui m’interpellent ou m’intéressent.

Tu expliques en préface que, souvent, des questions grivoises inadaptées t’avaient été posées lorsque tu parlais de ce travail sur le Femen (as-tu vu leurs nichons, couché avec elles, etc.). Ce sont de belles filles qui montrent leurs seins… et les débats dérivent irrémédiablement sous la ceinture ?
Michel Dufranne : Ce projet a été très instructif à plusieurs titres. C’est la première fois, en 35 albums, que le simple fait d’énoncer le sujet du livre amenait mes interlocuteurs à donner leur avis (avis qui, très vite, donnait lieu à des débats plus larges ou à des prises de position très affectives). C’est aussi la première fois que j’ai croulé sous des questions « amenées avec humour » qui, objectivement, étaient déplacées… Je suppose que leur mode de manifestation titille à ce point les fantasmes des hommes et des femmes que la retenue n’est plus de mise et que l’équation « 1 quadra + 1 Femen = crise de la quarantaine, il doit la sauter » devient une « évidence » pour beaucoup. Cela dit, ça en dit long sur les rapports homme/femme dans notre société. C’est aussi la première fois que j’ai eu des réponses d’éditeur « ambigües ». La plus belle restant certainement : « le projet m’intéresse, mais il faudrait éliminer la dimension militante pour ne conserver que la dimension folklorique » (version politiquement correcte de « un album où l’on peut montrer légitiment des nichons, ça me va »). Enfin, c’est aussi la première fois que je fais lire l’album en cours d’écriture à une vingtaine de lecteurs ; et là je me suis pris de grosses claques, quand des copines m’ont raconté certains événements de leur quotidien…

Comment t’expliques-tu leur paradoxe qui consiste à chatouiller le fantasme masculin, afin de dénoncer le machisme ?
Michel Dufranne : La dénonciation porte sur le patriarcat (et pas seulement le machisme ou le sexisme au quotidien). Je ne pense pas que ce soit à ce point paradoxal : elles utilisent les techniques de communication de leur époque (même si les manifestations féministes topless ne sont pas une invention récente). Ce qui est amusant, c’est de constater que vendre une bagnole ou de l’alcool avec une nana à moitié nue, ça choque moins que des femmes dépoitraillées, les seins couverts de slogans (elles ne sont donc pas « nues » mais utilisent leur corps comme support), qui défendent leurs droits.



Sais-tu comment a germé cette forme particulière de manifestation, à l’origine ? Comment l’expliquerais-tu à quelqu’un qui ne la comprendrait pas ? A quelqu’un que cela choque ?
Michel Dufranne : La réponse est trop longue et faite de trop de nuances que pour être abordée ici entre la poire et le fromage. Revoyez les ouvrages évoquant l’Histoire des mouvements féministes et la réappropriation du corps ; pour le mouvement lui-même, jetez un œil sur Femen de Galia Ackerman (interviews/rencontres des 4 fondatrices du mouvement) ou Topless Jihadis de Jeffery Tayler.

Le journal d’une Femen est une fiction… mais qui se veut réaliste. Etait-ce le bon biais pour évoquer le plus complètement possible ce sujet ?
Michel Dufranne : J’espère… J’évoque dans l’avant-propos qu’à mes yeux, un scénariste n’est pas un journaliste (il n’en a ni les contraintes déontologiques, ni les protections juridiques), mais un créateur de narration. La création d’une activiste « fictive » permettait d’abord et avant tout de développer un personnage auquel le lecteur pourrait s’identifier en partant d’une page blanche (aucune info sur Google si vous tapez « Appoline Femen ») et ainsi construire sa propre réflexion quant aux sujets abordés dans l’album. Un personnage de fiction m’offre aussi la liberté de créer son entourage selon les besoins de la narration ; le choix d’une Femen connue m’aurait obligé d’une part à choisir l’une d’elles (ce n’aurait pas été facile) et d’autre part à m’assurer que toutes les personnes citées soient d’accord de figurer dans l’album (ce qui, dans certaines scènes, risquait d’être assez compliqué). De même, l’album s’intitule « Journal d’une… ». Ce choix n’est pas anodin et a été posé dès les premiers roughs du projet, car il se centre bien sur le point de vue intime et subjectif d’une activiste. Enfin, choisir le biais de la fiction n’empêche pas de tenir une neutralité objective sur la façon d’évoquer les événements… et de les recueillir.

Au début, le one-shot écluse un peu lourdement les situations caricaturales… Etait-ce le seul moyen de révolter Apolline ?
Michel Dufranne : C’est amusant car cette séquence d’ouverture est (quasi) systématiquement évoquée par les lecteurs et jamais par les lectrices. Quand je les ai interrogées sur cette séquence, toutes m’ont dit qu’elles n’avaient pas relevé la séquence car elles avaient pris « l’habitude » de ne plus relever ce genre d’actes ou de réactions… Comme quoi ces situations ne sont peut-être pas aussi caricaturales que l’on veut bien le croire. Par contre, il est évident que les faits sont ramassés chronologiquement ; mais toutes ces « brimades quotidiennes » m’ont été évoquées par des femmes (et souvent plusieurs fois qu’une). Les contraintes de la bande dessinée et d’album de 120 pages m’obligent à amener l’idée de « la goutte qui fait déborder le vase » en très peu d’espace ; techniquement, il est préférable de concentrer les événements plutôt que d’abuser d’ellipses ou de pavés contextuels. Par ailleurs, je cherchais aussi à créer un sentiment d’exaspération chez le lecteur, soit en mode « c’est trop gros » soit en mode « c’est vrai mais je ne le vois plus », afin que la bascule dans l’activisme de l’héroïne corresponde aussi à un changement des rythmes de narration et de lecture.

Est-ce difficile de cerner un tel sujet ? Quels sont les écueils à éviter ?
Michel Dufranne : C’est un gros boulot ; c’est un travail très chronophage qui implique non seulement une grosse préparation dans la récolte de l’information, une grande réactivité, car il s’inscrit dans l’actualité, mais aussi une grande vigilance dans son écriture. Le risque est de se perdre en route, d’oublier son objectivité, de s’abandonner à son sujet en oubliant le lecteur final, d’oublier de raconter une histoire pour privilégier de l'étalement factuel ou du name dropping. Ce n’est pas un projet confortable, mais c’est pour ça que c’est excitant à écrire.

Alors que l’Ukraine est en guerre et que ce pays est à l’origine des Femen, on ne parle plus trop de ce mouvement dans les médias. Sais-tu pourquoi ?
Michel Dufranne : Concernant l’Ukraine, le mouvement Femen a été décapité, les militantes sont (presque) toutes réfugiées politiques en Europe occidentale. Par ailleurs, Moscou a récemment mené quelques campagnes de com’ en utilisant des « fausses Femen ». Je n’ai pas tout compris à la manœuvre, mais c’était amusant à observer. Pour les médias, les modes passent vite… Le livre de Valérie T. éclipse la rentrée littéraire, elle sera à son tour éclipsée par un truc plus « fun » qui lui-même tiendra quinze jours… Ainsi va le rythme des médias et de la consommation de l’information aujourd’hui. Cela dit, abonnez-vous à des listes d’info avec « Femen » comme mot clé et vous serez quotidiennement abreuvé de vidéos, de débats, d’info, etc. pro/contre les activistes et leurs actions.

Tu ne donnes pas de leçon, tu ne prends pas parti, tu décris surtout ce qui te semble le plus proche d’une possible réalité. Or, puisque les Femen dénoncent toute forme de sexisme, il n’est sans doute pas interdit d’être un homme Femen. Donc au fonds, es-tu un Femen ?
Michel Dufranne : Il y a des hommes dans le mouvement ; il y a même des hommes impliqués dans la fondation du mouvement (je vous renvoie vers les débats/polémiques liées à Viktor). Si vous le désirez, vous pouvez devenir membre de leur association (Loin 1901). Afin de conserver ma neutralité et mon objectivité, je n’ai jamais adhéré à Femen (et elles ne m’ont jamais demandé de le faire !). En évoquant le sexisme ordinaire, je me rends compte que jusqu’à aujourd’hui, alors que l’album semble titiller la presse, Séverine n’a jamais été contactée par le moindre journaliste (parfois-même on me demande de parler pour elle)… C’est l’un de ces petits constats révélateurs que déclenche le livre.

Comment Séverine Lefèbvre s’est-elle imposée sur le dessin de ce one-shot ? Son style collait-il ou était-elle sensibilisée par ce militantisme ?
Michel Dufranne : Séverine n’a pas dû s’imposer. Il était évident qu’on le ferait ensemble car on se connaît depuis longtemps et on s’apprécie. De plus, je m’entends bien avec son compagnon et il était rassuré sur le fait que je ne coucherais pas avec elle, ni ne la forcerais à me montrer ses seins ! Cette dernière remarque vous semble déplacée, même si elle est faite sur le ton de l’humour ? Imaginez ce que nous avons vécu pendant les deux ans de boulot… En amorçant le projet, je m’étais fixé comme contrainte de travailler avec une dessinatrice 10 ans plus jeune que moi, sachant que les FEMEN ont toutes 20 ans de moins que moi. Je voulais quelqu’un qui puisse suppléer mes faiblesses, mes incompréhension, qui puisse maîtriser l’expression du corps féminin sans excès d’érotisation ni vulgarité. Je reste convaincu qu’un gars qui dessine des seins… dessine des nichons. Dans tout projet le dessinateur est le premier lecteur. Dans un projet tel que celui-ci, c’était primordial d’avoir quelqu’un qui me propose des corrections en mode « Elle ne pourrait pas penser ça parce que… ». De même, il était primordial de travailler avec une éditrice (d’ailleurs tous les éditeurs à qui j’ai proposé le projet l’ont refusé). Quant aux idées politiques ou militantes de Séverine, posez-lui la question…

Des activistes Femen ont-elles lu ce Journal… qu’en ont-elles pensé ?
Michel Dufranne : Oui. À l’exception de quelques petits détails, tantôt nés de mon incompréhension, tantôt issus de mon besoin de simplifier ou fluidifier le récit, elles sont impressionnées par le travail et la façon dont nous avons perçu et compris leur quotidien.

Y-a-t-il d’autres « combats », sociaux ou politique, que tu aimerais évoquer en BD et si oui, lesquels ?
Michel Dufranne : Oui… Mais ce n’est ni le lieu ni le moment pour en parler. La bande dessinée est une grande famille incestueuse, il est parfois bon de conserver ses petits secrets.

As-tu d’autres projets à venir en matière de « fictions de genre » ? Lesquelles ?
Michel Dufranne : Si l’on parle de projets en termes hypothétique, oui… Mais plus pragmatiquement, je n’en sais encore rien ! Des choses se discutent. J’ai dans mon disque dur d’autres projets à (très) long termes (type Triangle Rose ou Journal d’une Femen), qui nécessitent beaucoup de travail en amont, soit en termes de recherches documentaires soit en termes de prises de contact ; mais pour pouvoir être menés à bien, ces projets réclament en contrepartie que je puisse aussi m’investir dans des projets plus légers en parallèle. Ce qui implique de trouver aussi du temps et des opportunités éditoriales pour ces projets. Cela dit, ces dernières années ont été marquées par quelques beaux coups de pu*** qui m’ont un peu dégoûté des pratiques de la grande famille de la BD ; dès lors, depuis peu, germe aussi une hypothèse alternative : arrêter d’encombrer les étals des libraires et tirer ma révérence.

Plus généralement, quelles sont tes inspirations ? Tes auteurs phares ?
Michel Dufranne : Tout ce que je lis ou vois m’inspire à un moment ou un autre. Je n’oserais dès lors pas évoquer d’auteurs phares. J’avoue que je suis assez sensible au travail de Fabien Nury et Kris qui parviennent à rendre limpides (et intelligentes) des problématiques qui m’intéressent et sur lesquelles je me suis cassé les dents. J’apprécie aussi le boulot de Jean-David Morvan pour sa plasticité et sa capacité à se montrer curieux de tout. Quant à l’écriture-même, je suis toujours attentifs aux productions de Luc Brunschwig, Wilfried Lupano, Sylvain Runberg, David Chauvel, Denis Bajram et David Vandermeulen (m*** que des hommes !) qui ont développé une réelle précision technique de la narration.

Si tu avais le pouvoir cosmique d’entrer dans le crâne d’un autre auteur de BD (pour comprendre son génie ou ses astuces narratives, par exemple), qui irais-tu visiter ?
Michel Dufranne : Andreas ! Cet homme est la quintessence de la bande dessinée. Ses récits sont juste parfaits avec des choix narratifs rarement égalés.

Y-a-t-il des questions qu’on ne te pose jamais et auxquelles tu aimerais pourtant beaucoup répondre ?
Michel Dufranne : Coquin… Vous ne voudriez pas que je fasse votre travail quand même ?!

Merci Michel !