interview Bande dessinée

Ralph Meyer

©Dargaud édition 2021

Depuis quelques années, la série Undertacker est devenue une référence incontournable dans la BD western. Ralph Meyer, Xavier Dorison et Caroline Delabie ont modernisé le genre avec des thématiques d’actualité sous-jacentes, une place de premier rang pour les personnages féminins tout en préservant la dimension « grande aventure » des histoires. Ralph Meyer, inspiré des grands maîtres comme Jijé, jean Giraud ou encore Christian Rossi a su imposer son style réaliste de haute volée. Rencontre au festival Quai des Bulles de Saint Malo avec celui qui s’est vu décerner le Grand prix de l’affiche et a l’insigne honneur de réaliser celle de l’édition 2022.

Réalisée en lien avec l'album Undertaker T6
Lieu de l'interview : Quai des Bulles (St Malo)

interview menée
par
28 novembre 2021

Bonjour Ralph, pour les rares personnes qui ne te connaissent pas, peux-tu te présenter ?
Ralph Meyer : Je suis Raph Meyer, dessinateur de bandes dessinées. J’ai commencé ma carrière en 1997 avec le premier tome de Berceuse assassine sur un scénario de Philippe Tome. Aujourd’hui en 2021 je suis sur une série qui s’appelle Undertaker dont le 6° tome vient de paraître sur un scénario de Xavier Dorison et des mises en couleur de Caroline Delabie.

On compare souvent Undertaker à Blueberry. Quelle est la filiation ?
Ralph Meyer : Elle est évidente d’un point de vue graphique, je ne me suis jamais caché d’être dans cette famille graphique là. Maintenant en arrivant au tome 6 on prend une direction qui est assez différente de Blueberry ne serait-ce dans les thématiques de récit où on est moins sur une aventure pure liée à des faits historiques avérés. Aujourd’hui on est plus sur des récits à thématique qui essaient d’avoir un écho par rapport à l’actualité. Par exemple dans le premier diptyque d’Undertaker on est sur le récit d’un riche minier qui décide d’en finir pour des raisons particulières et qui veut être enterré avec son or. Fondamentalement c’est tout à fait légal, on ne peut rien lui reprocher c’est son or mais est-ce que c’est juste ? Ce premier diptyque aborde cette thématique tout en restant de la grande aventure. Mais en sous-texte, c’est important pour nous que cette thématique là fasse écho avec le monde d’aujourd’hui et notamment les licenciements en masse dans certaines sociétés et les parachutes dorés indécents de certains dirigeants. On est de cette manière dans un western plus moderne, en tout cas plus contemporain.

Copyright Ralph Meyer, Dargaud


Comment se déroule ta collaboration avec Xavier Dorison ? Est-ce que vous intervenez tous les deux sur le travail de l’autre durant le processus créatif ?
Ralph Meyer : Sur Undertaker, on peut dire que nous sommes à trois vu que Caroline Delabie, la coloriste, fait partie des débats que l’on a sur l’aspect scénaristique du récit et sur l’avenir de la série. On en parle à trois, c’est un jeu de ping-pong. A partir du moment où l’on termine un diptyque, on se voit et on discute sur les envies de chacun. De ces échanges, Xavier réussit à en tirer une thématique qui peut être intéressante à développer. A partir de ce moment là c’est un jeu de ping-pong permanent sur les propositions de Xavier, les contre-propositions de Caroline et moi. Au final on arrive à un résultat qui est le scénario très abouti. On fait une dernière lecture à voix haute pour être vraiment sûrs que nous sommes bien calés et à partir de là, j’entame le storyboard qui est vraiment la partie très importante. C’est là que vont se jouer tous les problèmes de mise en scène, de fluidité de la narration, et je le propose à Xavier qui jette un œil dessus. En règle générale, il est plutôt très satisfait mais peut me donner des indications sur un détail qui lui paraît perfectible.

Quelles sont les plus grosses difficultés à dépasser quand on réalise un western ?
Ralph Meyer : Au tout début la plus grosse difficulté a été de faire un western. Je me suis interdit le genre pendant très longtemps du fait de la filiation graphique que l’on évoquait auparavant avec Jean Giraud. C’est très compliqué de passer après quelqu’un comme lui qui a un peu vampirisé le genre et surtout qui a eu un tel niveau graphique. J’ai eu un jour une discussion avec un ami qui m’a dit de prendre du recul par rapport à ça et de voir que Giraud s’inscrivait également dans une tradition franco-belge qui part de Jijè, passe par Christian Rossi, Boucq, Michel Blanc-Dumont. Cela m’a détendu et permis de passer le cap. Le western est un genre très exigeant à partir du moment où on le fait de manière très réaliste. De part cette tradition et ces grands auteurs qui sont passés derrière, il y a une pression.

Copyright Ralph Meyer, DargaudDans les 2 premiers diptyques il y avait 2 personnages féminins forts très attachants. Dans le 3° elles n’apparaissent plus, est-ce pour les faire mieux réapparaître dans les prochains albums ?
Ralph Meyer : Sans doute. Même si elles n’apparaissent pas dans le dernier diptyque, il y a 2 personnages féminins importants. Salvaje qui est très intéressante à développer comme personnage parce qu’elle n’est pas complétement blanche non plus : elle a des vraies zones d’ombre, une vraie dureté notamment dans l’apprentissage de la vie avec son fils. Cela nous importe d’avoir des femmes fortes. Cela fait aussi partie d’une nouvelle manière d’envisager le western aujourd’hui où les personnages féminins ont une place essentielle et pas un rôle de potiche.

La série se déroule en cycles de 2 albums. Est-elle vouée à continuer sur ce rythme ?
Ralph Meyer : A priori oui. C’est un format qui nous convient très bien et notamment à Xavier. Ca lui permet d’arriver avec un récit assez étoffé en termes de péripéties et de rebondissements, mais surtout d’avoir le temps, la place d’avoir des personnages qui ont une complexité assez importante même dans des seconds rôles. Si nous étions sur des récits en un volume, nous n’ariverions pas à avoir cette complexité dans les personnages qui est pour nous très importante.

Peux-tu nous en dire davantage sur le prochain cycle ?
Ralph Meyer : Je peux juste vous dire que le tome 7 est complétement écrit sur une thématique difficile et va encore nous faire passer un cap sur la manière d’investir le western.

Au moment où est apparu Undertaker, Stern, un autre croque-mort a fait son apparition dans la BD. Avez-vous eu l’occasion d’échanger avec les auteurs ?
Ralph Meyer : Oui. Pour moi le western des frères Maffre est vraiment une excellente série qui prouve que sur un même personnage, une même époque, on peut avoir des récits qui n’ont rien à voir. Si on dépasse le fait que ce soit un croque-mort, que cela se passe à la fin du XIX° dans l’ouest américain, après c’est totalement différent. On en avait discuté auparavant avec notre éditeur quand nous étions en train de préparer Undertaker et eux de préparer Stern. On s’est rencontré : nous avons échangé chacun sur ce que nous souhaitions faire et nous sommes sortis rassurés car nous partions dans des directions différentes.

Undertaker a un réel potentiel pour le cinéma. Est-ce envisagé ?
Ralph Meyer : C’est sans doute envisageable, après le cinéma c’est une autre planète compliquée. De notre coté on ne peut être qu’en attente de propositions mais ce n’est pas de notre ressort. Pour être franc, je n’ai pas de fantasme particulier par rapport au cinéma. Je serai ravi, cela me ferait certainement très plaisir de voir ça mais ce qui m’importe c’est le médium BD et la manière dont on peut l’utiliser.

As-tu d’autres projets en cours ?
Ralph Meyer : Maintenant qu’Undertaker est plutôt bien installé, je vais pouvoir penser à d’autres projets qui se mettent tout doucement en place.

Avec Xavier Dorison ?
Ralph Meyer : Non ce seraient d’autres collaborations.

Si tu avais la possibilité de travailler avec n’importe quel auteur, même aujourd’hui décédé, avec qui aimerais tu collaborer ?
Ralph Meyer : Avec Pratt. C’est un auteur qui me fascine depuis toujours. Sa manière de raconter, le fait d’être tendu dans l’intrigue mais également toujours avec le détachement de Corto, cela me fascine. L’écriture d’Hugo Pratt est quelque chose que j’adore.

Merci Ralph.

Copyright Ralph Meyer, Dargaud