Nous avions déjà interviewé l’italien Roberto Ricci en 2004, pour parler de sa série Les âmes d’Helios (voir en bas de page)… Nous avons récidivé en 2008, à l’occasion de la sortie de Moksha, une histoire entre le polar mafieux violent et le conte mythologique indien. Dans cet album, Roberto montre une facette graphique nouvelle, recourant à deux ambiances graphiques antinomiques, deux techniques de peinture intéressantes, et résultantes d’un travail colossal (et de beaucoup de talents) ! Une interview avec les mains…
interview Bande dessinée
Roberto Ricci
Salut Roberto ! C’est donc la deuxième fois que nous t’interviewons… On va éviter de te reposer les mêmes questions qu’il y a 4 ans. Pour commencer, on m’a dit que tu allais venir t’installer en France ?
Roberto Ricci : Oui avec ma copine qui dessine aussi et qui a un projet pour Dargaud Edition.
Comment ça s’appelle ?
Roberto Ricci : Pour l’instant, le titre est provisoire, donc je ne le dis pas. Nous avons commencé à travailler il y a 4 mois. Ce sera en deux tomes, mais je ne sais pas encore quand ça sortira. C’est toujours en compagnie de Marco D'Amico, mon scénariste sur Moksha. Moi je fais le story-board, et elle dessine.
Elle est française ?
Roberto Ricci : Non, elle est italienne. Pour l’instant, elle n’a jamais rien publié. Ça sera publié en novembre, chez Nocturna Editions, ce sera une petite histoire sur le jazz, sur une chanteuse américaine des années 50. C’est une BD avec deux CD dedans. Ca donne un format étrange : les deux CDs sont empilés l’un au dessus de l’autre, ça donne du 12 cm sur 24 cm.
Ça s’est bien passé ta journée de dédicaces hier à Strasbourg ?
Roberto Ricci : Oui, tranquille. Pas comme ma recherche d’appartement sur Paris : ça c’est dur. Pour l’instant, je cherche en banlieue, à Savigny sur Orge, dans le sud de Paris. Paris, c’est trop cher.
Es-tu toujours un peu hard rockeur ?
Roberto Ricci : Avant, j’y ai passé beaucoup de temps. Maintenant, j’ai un groupe ou je fais les percussions. Je ne fais plus trop de guitare depuis mes soucis avec les tendons. J’ai du arrêter de jouer à cause de cela. Mais coup de bol : je dessine de l’autre main, donc ca ne me pose pas de problème ! Mais je faisais ça pour m’amuser seulement.
Et ton genre musical ? Toujourshard-rock ?
Roberto Ricci : Non, en fait, le métal, au bout d’un moment, c’est un peu toujours pareil. A la longue c’est moins intéressant…
On va tout de même parler de ta nouvelle BD, Moksha ! Qu’est ce qui vous a motivé à Marco D'Amico et toi pour raconter cette histoire à mi-chemin entre le conte mythologique indien et le pur polar mafieux ?
Roberto Ricci : Cette histoire m’est venue quand j’étais en train de faire le 3e tome d’Hélios. J’avais commencé à l’écrire moi, mais sur un thème complètement différent : le thème du « déjà vu ». Comme une image que tu as dans ta tête et que tu vas revivre beaucoup de fois dans ta vie.
D’où t’es venue cette idée de raconter une histoire sur ce thème du « déjà vu » ?
Roberto Ricci : En fait, quand tu es dessinateur, tu es toujours sur la table. Et ça c’est du déjà vu ! ? J’ai toujours un crayon dans la main, de la même manière ? En fait, je n’avais pas trop de temps pour développer mon idée, entre le dessin, mon travail de professeur de dessin à Rome. Et j’ai demandé à cet ami à moi, qui est aussi un ancien élève de l’école ou j’enseigne, s’il avait des idées, et s’il en avait envie. Il est dessinateur, mais il a un peu laissé tomber cela pour écrire. Moi j’avais envie de faire une BD avec plusieurs styles dedans. Donc, on a imaginé quelque chose avec deux mondes parallèles, comme ca, j’étais content ! Au début, il devait y avoir un troisième style, pour les tableaux dans la BD. Mais la maison d’édition m’a dit non, trop compliqué. J’avais demandé à Gradimir (NDLR : Gradimir Smudja, ami de l’auteur et auteur du Cabaret des muses) de faire les tableaux. Mais bon. On a fait évoluer ce thème du « déjà vu » vers celui de la réincarnation. On a donc pris l’ambiance issue de la mythologie indienne non plus, du Ramayana et de la Mahâbhârata, deux textes fondateurs, non finis.
Du coup tu t’en es beaucoup imprégné ?
Roberto Ricci : Oui, mais nous sommes resté à la surface des choses. On ne voulait pas faire une BD sur la mythologie indienne. Ça mériterait un projet à part entière, et nous, on voulait faire une BD d’aventure.
Combien de tomes fera ce projet ?
Roberto Ricci : 3 tomes pour le premier cycle. Et on espère un gros tome pour le 2nd cycle.
Vous avez signé pour tous les tomes déjà, avec Robert Laffont ?
Roberto Ricci : Non, on signe tome par tome.
Pourquoi Robert Laffont et pas Delcourt, avec qui tu avais fait les âmes d’Helios ?
Roberto Ricci : Delcourt, j’aimerai encore travailler avec eux. Mais quand je change de style de dessin, je trouve que c’est bien de changer d’éditeur. Et puis, ca m’intéresse de voir différentes façons de travailler, rencontrer d’autres gens. J’aime beaucoup les projets actuels chez Delcourt, la collection Mirage par exemple. J’aimerais bien faire aussi un Donjon avec Trondheim !
Tu es en contact avec lui ?
Roberto Ricci : Oui, mais il faudrait que j’ai un style un peu plus … synthétique.
C’est intéressant de se frotter comme cela à tous les styles !
Roberto Ricci : Oui, surtout que moi, je n’ai pas de style. J’aime changer tout le temps, je n’aime pas coller à un style particulier. J’aimerais aussi faire une chose plus en noir et blanc.
Dans cette BD, c’est intéressant le changement de style. Le fond des planches passe du noir au blanc, de la réalité au conte. Tu as dessinées chaque type d’univers d’un coup chacun, ou en parallèle ?
Roberto Ricci : Au début, je dessinais les deux mondes en parallèle, et puis au bout d’un moment, c’était trop compliqué de passer de l’un à l’autre. Donc j’ai fait fini par faire une partie en entier, et puis l’autre. La partie mythologique est plus difficile pour moi. Du coté réalité, j’utilise de l’aquarelle avec des retouches de gouache. De l’autre, il y a de la gouache, mais avec beaucoup de matière, très peu diluée, très sec. Il y a donc une façon de faire complètement différente. Ma façon de traiter les blancs est aussi très différente.
Tu travailles sur papier ?
Roberto Ricci : Oui, sur un papier allemand, de 54cm sur 44 cm. Plus qu’Hélios, où je travaillais à moins de la moitié. Si vous voulez voir, je fais une expo à un petit festival : celui de Paré. Ce sera les 11 et 12 octobre, et il y aura aussi le travail d’Eric Liberge. Il a d’ailleurs fait une BD sur le Louvre récemment, chez Futuropolis !
Sinon, toi tu as recours à beaucoup de documentation ?
Roberto Ricci : Effectivement, j’ai passé beaucoup de temps sur ce sujet. C’est un peu étrange d’ailleurs, parce que j’ai fait une BD sur les années 20, mais j’ai beaucoup intégré de détails datant des années 30. Dans l’imaginaire des gens, probablement aussi à cause des films, il y a ce mélange, et c’est ce qu’attendent les gens. Si j’avais utilisé des objets vraiment des années 20, ca n’aurait pas forcément fonctionné. Par exemple, il y a une lampe à pétrole, clairement des années 30. Dans les années 20, les lampes étaient avec des tubes droits. Mais on ne voit jamais cela dans les films. Donc je ne l’ai pas mis ! Toute la déco de la maison date généralement des années 30. J’ai travailler l’ambiance, plus qu’une exactitude historique. Et puis je me suis aussi beaucoup concentré sur la couleur dans cette BD.
En parallèle de Moksha, tu prépares d’autres séries ?
Roberto Ricci : Oui, mais pas comme dessinateur, puisque cette série me prend beaucoup de temps. Je suis donc sur mon projet avec ma copine chez Dargaud. J’enseigne aussi en Italie. Quand je vais m’installer en France, en septembre 2009, je vais continuer à donner des cours : j’ai déjà trouvé des élèves ! J’ai pas mal d’anciens élèves qui commencent à travailler en France, donc il y a beaucoup de projets. J’ai aussi un projet avec un français, mais je ne peux rien en dire pour l’instant ? Je suis aussi en contact avec Dargaud pour participer à la nouvelle série XIII Mystery, mais pour l’instant je ne sais pas.
D’après ce que j’ai compris, les 4 prochains tomes sont déjà en phase de finition par des duos déjà bien identifiés. Il en resterait 6 dont les scénarios ont été validés par Jean Van Hamme, mais qui n’ont pas encore trouvé les dessinateurs exacts…
Roberto Ricci : Alors j’attends : parce que faire un XIII, c’est quelque chose ! J’ai aussi des projets de jeux vidéo, notamment avec un ami qui va venir avec moi sur Paris, et qui est informaticien. Mais déjà, il faut venir en France, parce qu’il y a plus de possibilités ici. Dans la BD, dans le jeu vidéo, dans le cinéma. Donc on va rester ici 5-6 ans, et on verra après. Pourquoi pas ne pas partir ailleurs !
Maintenant la série terminée, quel regard portes-tu sur les Ames d’Helios ?
Roberto Ricci : C’est assez étrange parce que c’est vraiment une toute autre ambiance et une toute autre technique que ce que je fais maintenant. C’est ma première bande dessinée, et j’ai un rapport particulier avec cela, en tant que premier travail. J’ai beaucoup de bons souvenirs sur la série. Mais c’est vrai que j’aimerai changer des choses dans le dessin… Il y a vraiment des grosses fautes parfois…
Tu penses cela parce que tu as pris de la maturité ?
Roberto Ricci : Sûrement, parce que j’ai fait un gros effort pour changer. La narration est aussi complètement différente maintenant. J’essaie de me rapprocher du cinéma, dans la façon de raconter à travers le dessin. Par exemple, je suis passé de 10/12 cases par planches à 7 environ. C’est un choix artistique. Mes dessins sont maintenant moins détaillés, donc j’ai besoin de plus d’espace pour raconter quelque chose. Sur le tome qui arrive, ça va changer un peu. Il y aura plus de dialogues. Mais il me manque toujours des aspects classiques de la BD, comme des onomatopées par exemple ! J’aimerai faire une BD plus dans ce style prochainement… Mais Moksha m’a apporté beaucoup de choses. J’ai énormément compris sur la couleur par exemple. C’est très fatiguant d’ailleurs.
Ça te prend combien de temps pour réaliser une planche ?
Roberto Ricci : Je ne fais pas l’encrage, donc je gagne du temps là-dessus. Pour colorier, je mets parfois deux jours, mais en général, il m’en faut 3. Le crayonné préalable, ça va assez vite. C’est surtout le travail sur la couleur qui me prend tout mon temps.
Tu crayonnes aussi sur les passages liés au conte ?
Roberto Ricci : Oui, et je recouvre le tout avec la peinture. Sur ces planches, il y a un gros travail de crayon, pour le travail des ombres. Plus que sur les autres planches. Mais je recouvre tout à la fin.
Ça ne doit pas être évident de faire des planches entières sans bordures de cases, d’harmoniser le tout avec des masses équilibrées ?
Roberto Ricci : Oui, c’est pour ça que je prends plus de temps à faire ces séquences que les autres. C’est un peu un travail d’illustration en fait ! C’est très facile de faire des fautes, il faut bien lier les images avec les dialogues : et ca, justement, ça n’est pas très facile ! Pas facile non plus à colorier. Quand je commence une planche, je dois travailler partout en même temps, et non une case après l’autre. Il faut aussi que j’équilibre le tout avec les couleurs. C’est long, c’est difficile, mais c’est amusant !
Aujourd’hui tu as signé pour le tome 2 ?
Roberto Ricci : Oui, j’espère le sortir en septembre 2009. Ça va être dur, une année bien remplie, avec mon déménagement en France. Mais j’ai fait une dizaine de planches déjà. Les deux mois qui arrivent (octobre / novembre) vont être consacrés beaucoup à la dédicace. Je vais aux festivals de Paré, puis Saint Malo, puis BDessinée, à Isac, près de Mulhouse. Et aussi un petit tour dans le Sud, Marseille, Toulon. Tous ces allers-retours Italie-France, ça prend du temps ! L’éditeur est un peu inquiet pour le tome 2 du coup, mais ca va aller… J’ai d’ailleurs beaucoup de contacts en France, on me demande beaucoup de choses, mais on me dit aussi que tant que je ne suis pas en France, je ne peux rien vraiment entreprendre. C’est aussi pour ça que je veux déménager l’année prochaine.
Quelles sont tes dernières lectures en matière de BD ?
Roberto Ricci : J’aime beaucoup la dernière BD de De Metter, chez Casterman. Plus globalement, j’aime beaucoup le concept de la collection dans laquelle c’est sorti : l’adaptation de romans noirs. J’aimerais faire l’adaptation de livres de John Fante, notamment son dernier, la grande fraternité du vin. C’est le dernier livre qu’il a écrit quand il était malade. Il l’a fait écrire par son épouse, parce que lui il était aveugle. Il lui a dicté. Et aussi Lonsdale !
Et en matière de BD, quelles sont tes idoles ? A part Gimenez ?
Roberto Ricci : J’aime surtout les auteurs américains, dont beaucoup ne sont pas connus ou édités en Europe. Au niveau du dessin, ils sont vraiment des maîtres. Un jour, j’espère arriver au même niveau, mais y’a encore du boulot. Sinon, j’aime beaucoup Boucq, surtout pour les cadrages. Lauffray aussi. Mais dans la BD franco belges, je trouve qu’il n’y a pas beaucoup de nouveaux auteurs d’exception. Donc, c’est toujours les mêmes figures qui ressortent, comme Boucq justement. Je ne l’ai jamais rencontré, mais j’espère que ça arrivera un jour. Je lui ferai un cadeau !
Merci Roberto !
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[Interview de septembre 2004]
Bonjour Roberto ! Comment ça va ? Pas trop pénible d’enchaîner les dédicaces sur le salon ?
(NDLR : l'interview a été initialement enregistrée en septembre 2004 lors du festival Delcourt et actualisée depuis, en novembre 2005)
Roberto Ricci : Bien ! Un peu fatigué mais bien.
Pour faire connaissance, peux-tu nous raconter ton parcours ? Quand, comment, pourquoi as-tu commencé à faire de la BD ?
Roberto Ricci : J’ai toujours dessiné, même très petit. Mais j’aimais surtout jouer à la guitare. Je voulais être musicien. Puis j’ai eu un gros problème de santé. J’ai du laisser tomber la guitare et la musique. J’ai donc commencé vraiment à dessiner à 18, 19 ans.
Comment as-tu rencontré Saimbert ? Pourquoi toi, pourquoi lui ?
Roberto Ricci : Je l’ai rencontré par Internet. Un ami m’a laissé un message : il y a un scénariste français qui cherche un dessinateur ! Si tu veux essayer… Avant de travailler dans la BD, je travaillais pour un magazine américain (Heavy Metal), avec des histoires brèves. Mais j’étais surtout attiré par la BD. J’ai découvert ce monde via l’édition italienne de Métal Hurlant. J’ai donc essayé, avec Philippe, et ça s’est bien passé. On a fait 5, 6 mois de croquis et d’essais, puis on s’est lancé.
Comment cette idée des Ames d’hélios vous est-elle venue ?
Roberto Ricci : L’histoire est plus de Philippe, mais il y a quelques unes de mes idées dans son scénario. Et dans mon dessin, on retrouve des idées de Philippe.
Comment travaillez vous ensemble ?
Roberto Ricci : Je lui envoie les planches crayonnées, avant l’encrage et la colorisation, que je réalise. Mais il m’est difficile de séparer les différentes étapes du dessin.
Ta bio nous a appris que tu étais fan de Hard rock. Tu travailles en musique ?
Roberto Ricci : Oui, la musique est pour moi très importante. J’adore le métal, mais en général, j’aime toute les musiques… Actuellement, je suis en train de vivre un moment plus Jazz !
Changes-tu la musique en fonction de ce que tu dessines ?
Roberto Ricci : Oui, j’aime bien créer une ambiance en fonction de ce que je dessine.
Tu es influencé principalement par Gimenez ? As-tu d’autres influences ?
Roberto Ricci : Quand j’ai commencé à travailler sur Hélios, les travaux de Gimenez m’ont beaucoup aidés à créer l’univers, surtout parce que c’est ma première histoire longue. C’était difficile de commencer sans une base, donc j’ai calé des choses avec un autre dessinateur. Maintenant j’écris une histoire avec un ami… et après Hélios j’espère pouvoir commencer à travailler sur celle-ci ! Ce sera un polar « indien » ! Je n'en dis pas plus...
Pourquoi la BD ne perce t-elle pas plus en Italie ?
Roberto Ricci : J’aimerai bien travailler pour l’Italie, mais le marché du travail est vraiment désastreux. Il y a une seule grande maison d’édition, Bonnelli. Mais si tu travailles pour eux, tu dois reprendre des personnages déjà existants, en noir et blanc car ils ne font que des séries déjà existantes. Il existe des petites maisons d’éditions, où tu peux faire beaucoup de choses. Mais ils ne paient pas beaucoup. Les âmes d’Hélios ne me suffisent pas pour vivre, donc je dois faire des petits boulots d’illustration, enseigner… Et en ce moment, je supervise même diverses séries de BD.
Si tu étais un bédien, quelles seraient les BD que tu aimerais faire découvrir aux terriens ?
Roberto Ricci : J’ai eu envie de faire de la BD grâce à Ronin de Frank Miller et Arzach de Moebius ou encore Georges Pratt. Mais aujourd’hui, j’apprécie beaucoup Kent Williams et John J Muth qui a fait aussi beaucoup de choses pour les enfants. Et puis il y a des auteurs un peu plus artistiques que j’aime bien. Mais pour le dessin, c’est vraiment Georges Pratt et Kate Williams. Pour une BD entière, ce serait Ronin.
Si tu avais le pouvoir cosmique de te téléporter dans le crâne d'un autre auteur de BD, chez qui aurais-tu élu domicile ?
Roberto Ricci : Dur ! Kent Williams. Pas Moébius, car il est trop haut pour moi ! Si on essaie de faire comme lui, on fera forcement une mauvaise copie.
Merci Roberto !