interview Bande dessinée

Steve Baker

©Ankama édition 2016

De ses premiers pas sur Voltige et Ratatouille en 2004 à ceux réalisés aujourd'hui sur Bots, le parcours de Steve Baker est d'une régularité à toutes épreuves. Avec un style visuel original hérité des différentes écoles de la bande dessinée, il a pu mettre en scène des registres très différents allant du gag en une page à un récit futuriste où les robots dominent le monde. Avec Bots, l'artiste normand a pu réunir toutes ses qualités et servir une nouvelle série aussi passionnante qu'intelligente. De quoi susciter chez nous l'envie de lui poser quelques questions...

Réalisée en lien avec les albums Bots T1, Inoxydable, La vie en slip T1, Les démons de Dunwich T1
Lieu de l'interview : Le cyber espace

interview menée
par
14 avril 2016

Steve Baker Voltige et Ratatouille Pour commencer, est-ce que tu peux nous raconter comment tu as débuté dans la bande dessinée ?
Steve Baker : Un rêve de gosse, je lisais Pif Gadget, puis j'ai vraiment eu le déclic en lisant Léonard : j'ai tout de suite trouvé que la BD était un art riche et complexe et complet. J'ai suivi un cursus artistique classique sans trop de BD puis j'ai franchi le pas en passant le concours de l'institut St Luc à Bruxelles que j'ai obtenu pour intégrer la section Bande dessinée. J'ai passé trois années assez géniales à y apprendre plein de choses (anatomie, dessin d'observation, scénario, histoire de l'art...), j'ai obtenu le diplôme et puis je suis parti à Paris en quête d'éditeur avec des projets. Après une année et demi à vendre des glaces dans un cinéma on m'a proposé d'illustrer mon premier album chez Milan : Voltige & Ratatouille, scénarisé par Pascal Jousselin.

Quelles sont les auteurs qui t'ont influencé ? Sont-ce les mêmes qu'aujourd'hui ?
Steve Baker : Des influences de partout : Otomo, Watterson, Mignola, Blain... J'ai lu et je lis de tout.

La première fois que j'ai vu ton nom orné une bande dessinée, c'était sur le second tome de Voltige et Ratatouille. Avais-tu travaillé sur d'autres projets précédemment ?
Steve Baker : Non c'était bel et bien mon premier projet de BD publié. De très bons souvenirs, je devais aller vite parce que c'était prépublié dans "Tout à lire" , Pascal m'a beaucoup aidé et j'ai énormément appris à son contact. Je garde beaucoup de tendresse pour cet album malgré ses nombreux défauts (par mon manque d'expérience).

Steve Baker Les Démons de Dunwich Sur Voltige et Ratatouille, tu as pris la suite de Pascal Jousselin aux dessins. Comment as-tu géré ton approche graphique du coup ?
Steve Baker : On a un dessin qui se ressemble mais de toute façon, le but de cette série était de changer d'auteur à chaque album.

Il y a eu aussi Les démons de Dunwich, un titre que tu as scénarisé. Tu ne voulais pas l'illustrer ?
Steve Baker : J'avais commencé à écrire et illustrer mes premiers gags pour La vie en slip, mon copain Joël Jurion aimait bien et m'a demandé si on ne ferait pas un truc ensemble, c'est ce qui a donné naissance aux Démons de Dunwich (série qui devait s'appeler ROSE, titre beaucoup plus frais et léger, c'est quand même une série d'humour, l'éditeur s'est opposé à ce choix pour nous imposer celui que vous connaissez).

Arrive ensuite La vie en slip, une série prépubliée dans Pif Gadget où tu t'es essayé au gag en une page, un exercice loin d'être facile. Quel regard portes-tu sur cette série ?
Steve Baker : Faute de scénariste je me suis tourné vers l’exercice qui me paraissait le plus simple pour commencer à écrire : de l'humour et une histoire par page. Bon en fait c'est très compliqué puisque pour un album il te faut 50 histoires avec au minimum autant de gags... Exercice que j'ai complexifié à partir du tome 2 pour rajouter une histoire en fil rouge et une évolution de rapports entre les personnages... C'était bien, excitant mais épuisant. Je suis ravi de l'avoir fait, si Dupuis avait comme il l'était prévu initialement, honoré un quatrième tome, mes personnages auraient vieillis et j'avais encore plein d'aventure à leur faire vivre. Au lieu de ça j'ai au dernier moment choisi une fin très ouverte pour que le lecteur ne soit pas lésé.

Steve Baker La vie en slip Après La vie en slip, il y a eu Inoxydable, un récit assez différent de ce que tu avais réalisé jusqu'ici et qui montre une empreinte visuelle assez différente. Comment juges-tu l'évolution de ton trait sur ce titre ? Es-tu à la recherche perpétuelle de nouveaux défis ou de nouveaux univers en tant que dessinateur ?
Steve Baker : Inoxydable est une aventure artistique assez différente en effet. je voulais voir si je pouvais raconter ce qui m'avait toujours fait rêver en bande dessinée: De l'aventure, du suspens, de l'action (et puis un hommage à mes nombreuses lectures de comics, ce plaisir coupable). J'ai pour cela dû mettre au point un dessin avec de nouvelles proportions plus semi-réalistes, un challenge qui me tenait à cœur. Mon objectif étant à terme de pouvoir tout raconter avec mon dessin, qu'importe le récit.

Inoxydable est un album qui sortait du cadre franco-belge pour offrir notamment une pagination plus longue. Qu'est-ce que cela a changé en terme artistique pour toi ?
Steve Baker : La pagination a changé ma production , même si je passais beaucoup de temps à soigner mes pages noir et blanc, je devais tomber de la page. J'y ai d'ailleurs fait ma transition du traditionnel au tout numérique. Ce long marathon m'aura permis de peaufiner la narration sur pas mal d'exercices, avoir le temps et la place c'est important, on peut prendre le temps et dilater les moments pour les mettre en valeur ou au contraire sur-découper pour tout accélérer.

Depuis 2015, tu travaillais secrètement sur Bots. Comment est né le projet ?
Steve Baker : Aurélien m'a contacté parce qu'il avait vu mes pages d'Inoxydable (pour Casterman) et trouvait ça chouette. Il m'a proposé un scénario qui n'avait rien à voir à des robots, j’ai fait des tests (j'étais assez excité de travailler avec lui, l'un de mes coups de cœur BD étant The Grocery) qui ne lui ont pas paru concluant compte tenu du sujet, il ne me sentait Steve Baker Botspas à l'aise et en accord avec ce qu'on devait raconter. Il avait vu mes robots et m'a demandé si ça me plairait de d'illustrer un Road movie avec des robots ? En effet ça ressemblait beaucoup plus à un projet sur mesure et c'est comme ça qu'il a commencé à me l'écrire. J'ai lu le premier chapitre et j'ai retrouvé mon regard de lecteur: il y avait de l'aventure, du suspens, je devais absolument connaitre la suite. Bots était né.

L'univers de Bots foisonne de références. Qui en a été l'instigateur ? Toi, Aurélien, les deux ?
Steve Baker : C'est un bon gros mélange de nos références et de nos passions mutuelles pour les jouets (de robot notamment). Quand Aurélien écrit une séquence, je lui fais mon retour sur le sujet, il appuie sur les choses auxquelles il tient à tout prix et sur sa vision des choses et je viens y greffer ou suggérer mes impressions. Cette étape se passe vraiment à chaque fois très vite, parfois seulement quelques minutes avant que nous ne reprenions nos longues conversations ciné/jouet/photo/littérature/etc... qui peuvent elles durer des heures...

Le design de tes robots est très réussi, alliant froideur mécanique et aspect très mignon. Comment as-tu façonné ton approche ?
Steve Baker : J'ai essayé de transformer mon handicap de dessin, pas réaliste, en atout. Avoir des robots fonctionnels : s'il y a des détails il faut qu'ils aient une raison d'être là. S'il sont si lisses c'est parce que je ne sais pas ou n'ai pas envie de dessiner les robots ultra détaillés avec des tuyaux partout. Je préfère l'efficacité d'Astro à la pseudo complexité d'un Chappie. Je préfère le design fonctionnel et cohérent des robots du dessin animé Transformers plutôt que le n'importe quoi des films du même nom. Je suis plus marqué par le symbolique que par le réalisme. Je pense que c'est comme ça que se sont façonnés de manière "personnelle" mes robots (désolé, je trouve ça prétentieux mais je ne voyais pas comment le dire autrement) qui sentent bon le boulon. A tout cela vient fusionner la couleur, qui est très importante quand je dessine, parce que plein de choses sont directement dessinées à la couleur.

Bots Steve Baker


La palette d'émotions est très grande pour des robots, cela a t-il été difficile de les dessiner ?
Steve Baker : Il le fallait parce qu'on est face à une histoire d'humanité, c'est de ça que ça parle, mes boîtes de conserve devaient être incarnées. Mon dessin rond se permet de tordre l'acier et de le rendre expressif au delà du réalisme, on ne retirera pas de ce dessin les années de travail cartoon sur la vie en slip. Par contre entre le début et le fin de l'album on peut voir que j'apprivoise mes personnages, ils bougent, mais ce long travail fait qu'ils ont maintenant leur vie propre est ont pris leur autonomie.

Les robots te poursuivent souvent dans ta carrière artistique. As-tu peur qu'ils envahissent le monde ?
Steve Baker : Le robot c'est quelque part le mythe du surhomme, il nous renvoie à nos propres défauts, nos limites, c'est un fantasme en quête de sensible. J'aime l'idée que les robots puissent être le yin/yang de l'homme, avec des fonctionnements et des appréhensions du monde antinomiques et complémentaires. C'est une image du monde comme je le vois, cette perpétuelle quête d'un monde qui restera incomplet/imparfait/incompris... Je ne sais pas si c'est clair ?

Bots Steve Baker


As-tu eu des coups de cœurs récents en BD, comics, manga ? Si oui, lesquels ?
Steve Baker : Carnet de santé foireuse. J'étais déjà hyper fan du dessin de Pozla pour la série Monkey Business mais là il laissé éclater son génie graphique au service de son histoire (si jamais ce livre n'est pas un succès, ou pas tant que ça, ce sera à cause du prix exorbitant, là ils ont déconné tout simplement). J'ai beaucoup d'admiration et d'affection pour les récits et le graphisme synthétique de Benjamin Adam. Je suis en train de lire The Wrenchies qui a un drôle d'univers... J'ai hâte de lire Morgane de Stéphane Fert, je suis sont superbe travail tout en couleur depuis un moment et j'ai hâte de le voir raconter des choses. J'ai aussi mon copain Thomas Priou qui doit sortir Trappeurs de rien (très mignons) aux éditions de la Gouttière et j'ai vraiment hâte de voir ça !

Si tu avais le pouvoir de visiter le crâne d'un autre artiste pour en comprendre le génie, qui irais-tu visiter et pourquoi faire ?
Steve Baker : Alan Moore. Pour savoir si la magie existe vraiment.

Merci Steve !

Bots Steve Baker