Encreur, dessinateur et même scénariste sont quelques unes des casquettes que le canadien Tom Fowler porte régulièrement au sein de l'industrie des comics. Laissant vagabonder son style au gré des titres et des genres sur lesquels il œuvre, nous avons pu le rencontrer lors de sa tournée française organisée par l'éditeur Bliss Comics pour accompagner la sortie du premier volet de Quantum & Woody. Jouissant du cadre magnifique offert par le Lyon Comic Gone,Tom Fowler a pris le temps de répondre à nos questions alors que de nombreux projets sont en gestation pour lui.
interview Comics
Tom Fowler
La traduction de cette interview a été réalisée par Alain Delaplace.
Peux-tu nous dire qui tu es et comment tu as débuté dans l'industrie des comics ?
Tom Fowler : Je m'appelle Tom Fowler. Cela fait maintenant 20 ans que je travaille dans l'univers des comics. J'ai commencé... Je ne suis plus très sûr comment ! [rires] J'ai en gros débuté en faisant 6 semaines dans l'animation avant de décider que je détestais ça et de partir vers les jeux de rôle. Ensuite, petit à petit, je suis passé des jeux de rôle vers les comics. Finalement, ce qui m'a fait entrer dans l'industrie des comics, c'est que je portais des costumes, lors des conventions. De très jolis costumes. Remarque que ça, c'était il y a vingt ans de ça, avant que les hipsters ne viennent tout gâcher. Et, donc, quand tu te retrouvais à une convention, en costume et au milieu d'une vingtaine de Klingons, c'était toi qui sortait du lot. J'ai donc montré mon portfolio à de nombreuses personnes et en particulier à Mike Allred et à Richard Bruning qui était éditeur chez DC Comics. Et, ce soir là, il dînaient avec Bob Schreck qui, à l'époque, dirigeait Oni Press. Ils lui ont dit qu'ils avaient bien aimé ce qu'un gamin leur avait montré, un grand gars en costume ! [rires] Et, le lendemain, un type avec un t-shirt Oni Press et gérant le stand de Matt Wagner m'attrape par l'épaule et me dit « Je suis Bob Schreck, retrouve-moi là-bas dans une demi-heure ! » et, à peu près quatre mois plus tard, je travaillais dans les comics.
Quelles-sont tes influences ?
Tom Fowler : Il y en a eu beaucoup ! Quand j'étais petit, ma mère ne voulait pas que l'on lise des comic-books car elle craignait que l'on devienne accrocs. Mais mes parents étaient plus qu'heureux de nous offrir des Astérix, des Tintin, ce genre de choses, parce que, pour eux, il ne s'agissait pas de comic-books, c'était un format différent. Mais ce sont des comic-books, tous. On en a donc lu beaucoup. Mon frère et moi, on est allé chez un ami de mon père, un prof, et ils nous ont sorti une caisse entière de comics, histoire de nous occuper. Moi et mon frère, on avait les yeux ouverts comme des soucoupes, on était tellement excités devant ça ! Mes parents ont tirés une tête pas possible et là, leur ami prof est allé les voir l'un après l'autre pour leur expliquer que les comics, c'était bon pour les enfants, que ça les incitait à lire, etc, etc. Après ça, notre père est allé à une brocante et nous a ramené tout un tas de comics Star Wars édités par Marvel ainsi que quelques autres bouquins. Donc, ma toute première et véritable introduction en matière de comics, ça a été Howard Chaykin, Tom Palmer et Carmine Infantino. Plus vieux, j'ai adoré John Byrne, Alan Davis, ce genre d'artistes... C'est plus tard que j'ai réalisé que la plus grande partie de ce qui faisait mon style, c'est un peu d'Albert Uderzo mais surtout une sorte de combinaison de Jack Davis et de Wally Wood. Je connaissais les EC Comics et les vieux Mad Magazine, les Tales from the Crypt et ce genre de choses mais c'est en les relisant, plus tard, que j'ai réalisé l'ubiquité de l'œuvre de Jack Davis, en Amérique : on la retrouve partout ! Que ce soit dans la publicité – il a œuvré dans ce domaine pendant un long moment – comme par exemple celles pour l'insecticide RAID ou celles qu'on retrouvait dans les comic-books pour les Charleston Chews – une marque de chewing-gum [NDT : en fait, ce sont des barres chocolatées] –, tout ça, c'est lui. J'ai donc réalisé que pendant toute ma vie j'ai eu l'œuvre de ce mec sous les yeux et que, d'une façon étrange, j'en ai assimilé certains éléments. On a donc de la BD française des années 70, des comics américains des années 50, des illustrateurs britanniques des années 40 et 50 – du genre Punch magazine, ce genre de choses –... Tout ça s'est frayé un chemin jusqu'à moi et il en a résulté un style artistique absolument invendable en termes de comics américains. [rires]
En fait, à l'origine, ma question suivante était : comment décrirais-tu ton propre style ?
Tom Fowler : Je crois que je viens d'y répondre ! [rires] La version ultra-brève serait celle qu'Howard Chaykin m'a confiée, un jour : on dirait Jack Davis, encré par Wally Wood. Et je vais m'y tenir, parce que ça vient d'Howard Chaykin. En gros, c'est l'enfant bâtard de Jack Davis et de Wally Wood, s'ils avaient été élevés en France ! [rires]
Du Wally Davis, quoi.
Tom Fowler : C'est ça, avec un peu d'Uderzo.
Durant ta carrière, tu as collaboré avec nombre d'auteurs comme – arrête-moi si je me trompe – Paul Dini. Parmi toutes ces collaborations, laquelle t'as laissé le meilleur souvenir ?
Tom Fowler : Honnêtement, je dirais Jeff Parker. Je crois que j'ai plus travaillé avec Fred Van Lente et c'est un type incroyable et on est très bons amis. Mais Jeff, c'est un peu mon grand frère. Quand j'ai débuté dans l'industrie, lui et Steve Lieber m'ont pris sous leurs ailes. Et par là, j'entends qu'il m'ont encouragé quand il le fallait et qu'ils m'ont aussi calmé quand je commençais à faire n'importe quoi. J'ai vraiment de l'affection pour ces deux-là.
Tu as été encreur puis dessinateur. Quel poste préfères-tu ?
Tom Fowler : Je ne me suis jamais vu comme un crayonneur. Je l'ai fait pendant un temps très court car j'y ai été forcé, il y a des années de ça. En fait, je crayonne rarement mes propres comics. Ce que je préfère, dans la réalisation de mes comics, c'est la mise en page dans sa forme la plus brute et l'encrage. Je fais la plupart de mes illustrations à l'encre, directement. Ce qui se passe, c'est que je fais une mise en page très, très complète. Je la scanne, je la bricole et je finis avec une version complète avec ses lignes bleues et j'encre directement. De cette manière, je peux typiquement crayonner un numéro de 24 pages en 4 jours, juste histoire d'avoir une version consolidée de ma mise en page. Et après ça, je sors le pinceau. Le fait est que la plupart des traits présents sur la version finale n'ont jamais été crayonnés. Je hais les crayons, c'est pour ça. C'est laborieux, ça revient à re-dessiner la même chose, encore une fois. C'est ça, avec les comics : tu finis par dessiner le même truc, cinq fois. Alors si tu peux t'économiser quelques unes de ces copies à l'aide de ton ordinateur ou encore si tu peux t'affranchir du crayonnage au maximum, alors fais-le ! [rires]
Parmi les séries sur lesquelles tu as travaillé, une de mes préférés est Hulk : Season One que j'ai trouvée excellente. Est-ce difficile de revisiter les origines de Hulk après tout ce qui a déjà été écrit sur le sujet ?
Tom Fowler : Ce qui est marrant avec Hulk et, ça, tout le mérite en revient à Fred [Van Lente], c'est qu'on s'est débarrassé des origines elles-mêmes dès la page 4 ! Tout le monde s'en fiche ! Ce qu'il y a de magnifique, avec ce personnage, c'est que la toute première série, dans les années 60, n'a duré que, quoi, cinq ou six numéros, avant de disparaître un moment. Puis il est revenu et il était devenu vert. On s'est donc efforcés de passer entre les gouttes en se disant « Ok, c'est bon, tout le monde connaît le coup de la bombe, de Rick Jones, etc. Tout ça est réglé page 4 et après, on peut raconter ce qu'on veut ». Donc, plutôt que de se taper les origines plutôt, disons-le franchement, ennuyeuses, du personnage, on s'est mis à raconter comment Bruce Banner est passé d'un humain se transformant en monstre la nuit à un humain se transformant en monstre quand il entre en colère. Et c'est une histoire bien plus intéressante, que personne n'avait jamais racontée. On s'est donc retrouvés en Terra Incognita et on a pu entièrement re-concevoir le personnage de Betty Ross, ce qui a été incroyable car la toute première version était juste pathétique.
Pendant la conception du titre, as-tu bénéficié d'une totale liberté, dans ton approche graphique ?
Tom Fowler : Pendant les dix dernières années de ma carrière, je me suis impliqué le plus possible dans le processus d'écriture des histoires : je jette un œil, je demande des changements, j'apporte mes propres modifications... Je fais ça en collaboration avec les autres membres de l'équipe, je demande l'autorisation avant de le faire et je négocie avec mon éditeur et avec l'auteur. Une grande partie de ce qui est sur la page provient de moi, au même titre que de Fred ou de James [Asmus] ou de Jeff ou de l'auteur avec qui je travaille alors. C'est un peu un requis, quand on veut travailler avec moi : si tu vas écrire quelque chose que je vais illustrer, alors prépare-toi à ce que j'apporte ma touche à l'histoire, je vais apporter des changements. Attention : jamais en douce, toujours ouvertement, au gré d'une conversation. C'est comme ça que fonctionne une collaboration ou du moins c'est comme ça que ça devrait toujours se passer. Aujourd'hui, je suis passé de l'autre côté et j'écris des histoires qu'un autre va illustrer. Là, j'écris pour la série de comics Rick & Morty, je crois que la série animée est disponible sur Netflix, ici, en France.
Pas encore. [NDR : erreur de votre serviteur]
Tom Fowler : Mais c'est ce que tout le monde me dit, pourtant ! [rires] Enfin, bon, j'écris le comics adapté de la série et ça a été très instructif que de se retrouver de ce côté-ci de l'écriture.
En France, on a récemment découvert ton travail sur Quantum & Woody. Comment présenterais-tu la série ?
Tom Fowler : Je présente souvent la série de la même manière aux gens : c'est une série qui parle de deux frères adoptifs qui se détestaient mais qui ont été réunis par la mort mystérieuse de leur père et ils sont obligés de rester ensemble, la faute à des bizarreries scientifiques. Ils sont obligés de vivre côte à côte pour le restant de leurs vies sous peine de cesser d'exister. En plus de ça, c'est loufoque, scientifiquement barré et aussi une satire des super-héros – ce qu'on a tous les deux [avec James Asmus] voulu faire, particulièrement.
Ton style a changé pour ce titre, si je le compare à Hulk ?
Tom Fowler : En général, quand je parle à des étudiants en art, je leur dit souvent « Comment je développe mon style ? Le style, c'est de la merde, ça n'existe pas. Si on vous dit le contraire, soit le type vous ment, soit il n'y connaît rien. ». On dessine, c'est tout. Tu dessines. Tu illustres quelque chose et tu le dessines. Si tu regardes ce que j'ai fait sur Quantum & Woody ou ce que j'ai fait pour Mad Magazine ou autre chose, c'est toujours la même technique ! Je fais toujours la même chose. Il faut juste savoir où se placer sur une échelle allant du réalisme à quelque chose de plus lâche, dans le genre de l'animation et ce suivant ce dont le client a besoin. Mais l'exécution en elle-même est toujours la même. Si tu te contentes de regarder le trait et le dessin dans n'importe lequel de mes bouquins, ce sont toujours les mêmes. Ils se sont développés avec le temps mais ce sont toujours les mêmes. Qu'il s'agisse de Monroe, pour Mad Magazine, ou Howtoons ou Quantum & Woody ou Hulk. Ça revient vraiment à se demander ce que le job en question requiert : où est-ce que je me place sur mon échelle de réalisme pour faire passer le message que le job me demande de faire passer ? Avec Quantum & Woody, c'est plutôt réaliste pour que les éléments les plus basiques donnent l'impression d'être réels mais c'est aussi satirique et il faut laisser un peu d'espace pour des éléments de plus grande échelle, des expressions plus exagérées... Tandis que Hulk est bien plus sérieux, il n'y a pas de satire. C'est un peu comme au cinéma où on choisit tel ou tel acteur ou actrice selon que l'on sente qu'il sera capable de délivrer la performance adéquate. C'est la même logique.
Est-ce que James et toi vous aviez anticipé la popularité de la Chèvre, dans Quantum & Woody ?
Tom Fowler : Tous les titres Valiant d'aujourd'hui sont des re-créations de leurs versions issues de années 90. C'est le cas de Quantum & Woody. Le Bouc, dans la version originale, était incroyablement populaire et ils l'avaient nommée Vincent Van Goat [NDT : goat = bouc] et c'était un super-héros, tu vois le genre... Je ne suis pas super-familier avec la série originelle et je n'ai pas l'habitude de faire des recherches sur les séries que je reprends car je souhaite que l'on fasse quelque chose d'original, qu'on se l'approprie. Notre bouc est un bouc complètement différent de l'original avec une histoire bien à lui et on raconte ses origines dans ce qui est, je crois, le troisième volume de Quantum & Woody. Mais, tu sais, du moment que tu balance un truc aussi banal qu'un bouc en plein milieu de la folie hystérique d'une série comme Quantum & Woody, tu peux être sûr qu'on va le remarquer. En particulier si le bouc a des super-pouvoirs. [rires]
En France, la première série, celle des années 90, n'a jamais été publiée.
Tom Fowler : Oui, c'est tout neuf pour ce public et c'est plutôt cool. Vous n'avez pas tout ce bagage à vous balader. À l'époque où les Valiant originels sont sortis, je travaillais dans une boutique de comics et je n'avais pas le temps de les lire ! [rires]
Je sais que tu as travaillé sur pas mal de projets, depuis Quantum & Woody. Tu as notamment financé un ouvrage via Kickstarter.
Tom Fowler : Oui, c'est un truc que j'ai lancé il y a des années et sur lequel je continue de bosser, intitulé D&D&D, Dungeons and Dragons and Doodles [NDT: « doodles » = « gribouillis », en v.f.]. C'est un site web dont je m'occupe. Il y a quelques années, je me suis retrouvé à détester dessiner. Et ça, c'est parce que je ne dessinais plus pour moi. Tout ce que je dessinais, c'était pour les autres et, du coup, je ne me sentais plus connecté à ce que je faisais. Je ne voulu plus faire ça. Ma femme m'a suggéré de trouver un truc pour me défouler, un projet auquel consacrer du temps. Comme je jouais à Donjons et Dragons, j'ai commencé à faire des petits dessins autour de ce thème. Petit à petit, ces petits dessins sont devenus grands, plus jolis. J'ai commencé à les mettre en ligne, pour les partager. Et ce que j'ai réalisé, c'est que j'avais effectivement réussi à trouver du temps pour dessiner pour moi. Comme quand j'étais enfant et que dessiner était un refuge. Chaque jour, j'ai pris le temps de m'asseoir, de ne pas penser à un seul client, à une quelconque directive ou encore à un public particulier, juste pour moi. Donc on a pris D&D&D et on en a fait un livre. C'est financé, presque finalisé – je crois que ça part bientôt à l'imprimerie – et quand ça sortira, ce sera pas uniquement dispo via le Kickstarter mais aussi via mon distributeur, Cadence Select, pour... Je ne sais même pas pour combien. [rires]
Si tu avais la possibilité de visiter le crâne d'un artiste célèbre, passé ou présent, afin de comprendre son art, ses techniques ou simplement sa vision du monde, qui choisirais-tu et pourquoi ?
Tom Fowler : C'est une bonne question ! Je dirais Frank Frazetta. Je vais faire dans la controverse mais en fait je n'aime pas du tout ses peintures, mais ses dessins, que ce soit à l'encre ou au crayon, sont incroyables ! J'essaie toujours de m'approcher de ce qu'il parvenait à faire au pinceau et à l'encre et j'aimerais vraiment savoir comment il faisait ! [rires] Peut-être qu'il avait de meilleurs pinceaux que moi mais j'aimerais bien savoir comment il percevait l'espace et les formes et pouvoir injecter ça dans ce que je fais.
Merci Tom !