interview Bande dessinée

Callède et Denys

©Delcourt édition 2003

Jeunes auteurs à l'origine de Comptine d'Halloween et de Dans la nuit, Joël Callède (au scénario) et Denys (au dessin) se sont imposés par un style graphique réaliste, allié à des ambiances d'épouvante dignes des meilleurs thrillers de cinéma.

Réalisée en lien avec l'album Dans la nuit T2
Lieu de l'interview : Festival Delcourt de Paris-Bercy

interview menée
par
8 octobre 2003

Callède et Denys, ça sonne un peu comme Tom et Jerry, Tif et Tondu, Heckel et Jeckel… Vous êtes inséparables ?
Callède : Au départ, on ne se connaissait pas. C'est l'éditeur qui nous a fait nous rencontrer. Ce n'est donc pas un mariage d'amour mais un mariage de raison. On a appris dans le temps à travailler ensemble. Dans ces cas, parfois la sauce prend. D'autres fois, c'est moins évident. Aujourd'hui, ça fait 5 ans qu'on travaille ensemble. On fête nos noces de... Canson ! Et puis pour l'instant, on a toujours des projets communs qui nous intéresse autant l'un que l'autre.

Et sinon, vous avez aussi des projets séparés ?
Denys : Moi, avec personne d'autre que Callède. Avec lui, on réfléchit à d'autres trucs. Rien de très précis pour l'instant, mais certainement un peu différent quand même.
Callède : On va essayer de développer l'univers de Denys, plus proche de Tarantino, John Woo. Un polar décalé, délirant et humoristique. L'ambiance de Dans la nuit est très structurée, ça impose des contraintes graphiques. On va donc essayer de mener d'autres projets en parallèle un peu tarantinesque. On n'en est qu'aux premières ébauches pour l'instant…

Mais au départ, l'épouvante, c'est votre registre ?
Callède : Disons plutôt que ce sont les projets dans ce registre que les éditeurs ont retenus, plutôt que des projets pour enfants que j'avais proposés par exemple chez Dupuis. L'épouvante n'a pas encore été beaucoup exploitée en BD. On a pris le créneau et peu de gens nous ont suivi. En tout cas, le genre thriller, épouvante, horreur, apporte une atmosphère qui nous plait pas mal.

Dans Comptine d'Halloween et dans Dans la nuit, à chaque fois, le héros est une jeune femme innocentes et fragile. C'est votre grand truc, ça, les jeunes femmes innocentes et fragiles ? Ça fait parti des ficelles du genre qu'il faut respecter ?
Callède : Les ficelles du genre, ce serait plutôt la bimbo un peu idiote, avec des gros seins, qui se fait dégommer en trois secondes. Par exemple, nous on n'a jamais voulu montrer Betsy nue, ce qui est rare en BD. On veut sortir des poncifs du genre. Ce sont des choix de scénaristes. Mais dans le tome 2 de Dans la nuit, y'aura deux blondes. On évolue !
Denys : Par exemple, en dédicace, je ne dédicace jamais Besty nue.

En combien de tomes est prévu Dans la nuit ?
Callède : On ne sait pas encore, en fait. Dans la nuit est composé d'une histoire différente à chaque tome. Pour nous, le tome 1 est une histoire close. Ca été mal présenté par l'éditeur. Il n'a pas précisé que les récits étaient indépendants. Certaines BD sont parfois vendues avec le sticker " Histoire complète ". On aurait du présenter la série comme cela. C'est un argument de vente très fort, et on est un peu passé à coté. Mais Delcourt ne pense pas que ça posera problème pour la suite de la série. D'ailleurs, nous aussi on a oublié de mettre 'Fin' à la dernière planche. On espère que les lecteurs du tome 2 - qui se passe dans un parking souterrain, plus du genre parking hanté - ne seront pas trop désorientés. Peut-être que la gamine réapparaîtra dans un autre tome, mais elle n'est pas un personnage récurrent. Quelques personnages seront récurrents, comme les flics ou l'animateur radio, le bon samaritain, qui sera l'amorce de chaque tome. Cette série va adopter le principe de La 4ème dimension, ou Les comptes de la crypte. L'idée est la suivante : des gens appellent un animateur de radio, et une fois qu'ils raccrochent le téléphone, qu'est ce qu'il se passe ? On va suivre les gens, comme des auditeurs nocturnes, " dans la nuit ". Au bout de 2, 3 tomes on espère que les lecteurs auront compris le principe. On compte sur les journalistes pour faire passer l'info !

Dans Comptines d'halloween, le théâtre de l'intrigue est une petite ville nommée Creeper Creek… Pourquoi pas Castle Rock ? Ca sent le Stephen King à plein nez, non ?
Callède : J'assume complètement, au moins pour Comptine d'Halloween, la référence à Stephen King, notamment pour la narration du début. C'était le choix d'emblée de piocher dans les références ultra-connues du genre, en y apportant notre petite touche. Dans Dans la nuit, un père qui devient fou et qui veut tuer son enfant, c'est clairement Jack Nicholson dans Shining. Pour le coup, on a même mis en note de bas de page que cette scène du film nous a directement inspiré. Sur le tome 2, il y aura moins de références connues.

Ne craignez vous pas de vous enfermer dans ce genre ? Qu'on vous colle l'étiquette Stephen King en BD ?
Callede : En tant que scénariste j'ai quelques autres projets, mais ce sera toujours du thriller contemporain, en moins horrifique. Ce ne sera pas aussi sombre. J'ai notamment un projet qui sort en mars chez Vent d'Ouest.

Est-il possible que vous fassiez un jour une série dans la collection vécu, sur la petite vie de famille d'Elizabeth d'Autriche (Sissi) ?
Callède : Moi, à la base, j'ai une licence d'histoire. Mais paradoxalement, la BD de genre historique ne m'intéresse pas du tout. En tous cas, je ne ferai pas ce genre de projet avec Denys... Je suis quelqu'un de très fleur bleue, très naïf. Je peux même écouter du Mariah Carey quand je fais ce genre de BD. Je tiens à le dire, tant pis pour nos ventes ! Denys est consterné par mes goûts. Il m'avait fait une compile avec la comptine de Betsy en pensant que ça m'influencerait. Mais je n'ai jamais travaillé avec car justement, quand on scénarise de l'horreur, pour ne pas péter un câble, il vaut mieux écouter du Carey.
Denys : Nos goûts se rejoignent dans l'épouvante, même si on n'a pas les mêmes goûts dans la vie de tous les jours. A la base, j'aime le polar. Callède, ce n'est pas trop son truc.

Et toi Denys, comment as-tu commencé ?
Denys : Publicité à Nantes. J'avais travaillé dans des fanzines sur Nantes, et puis sur Paris. Comptine d'halloween était ma première BD parue. J'ai eu d'autres projets, mais qui n'ont pas abouti. Je mets environ un an pour sortir un album, avec une vitesse de croisière de 4 à 5 planches par mois.

Comment travaillez-vous ensemble ?
Callède : J'envoie le découpage tous les mois par fax.
Denys : Dès que je reçois le découpage, je fais un story board et je lui re-faxe. Ensuite, on en discute. Il y a toujours une discussion, au niveau de la mise en scène. Globalement, on est d'accord à 90%. Sur les 10% restant, on discute, mais on ne se déchire pas.
Callède : Le plus étrange, c'est que dans la vie, je ne suis pas sur qu'on se retrouverait vraiment. On n'a pas les mêmes goûts, ni la même façon de voir la vie. Et paradoxalement, on travaille beaucoup plus facilement ainsi que d'autres auteurs. Denys est de Nantes et moi je suis à Pau. On ne se voit que dans les salons !

Si vous étiez des bédiens, quels seraient les bds que vous aimeriez faire découvrir au terriens ?
Callède : Voyage en Italie, de Cosey, dans la collection Aire Libre de Dupuis. C'est superbe. J'avais envie de pleurer à la fin ! Cette collection est magnifique. C'est un appel du pied !
Denys : J'aime bien Miller, la collection Semic book, Gaston Lagaffe. Mais si il ne faut en citer qu'une, lisez Torpedo de Bernet, principalement les premiers tomes.

Si vous aviez le pouvoir cosmique de vous téléporter dans le crâne d'un autre auteur de BD, chez qui auriez-vous élu domicile ?
Callède : Un auteur qui se fait plein de nanas ! Non, même réponse que précédemment : Cosey.
Denys : Au niveau du trait, toujours les premiers Torpedo de Bernet. J'adore son aisance au pinceau, son coté nerveux. En plus, il était très rapide, il alignait 3 planches par jours je crois. Ça m'impressionne carrément parce qu'en plus, c'est de grande qualité.

Et bien en tous cas, nous autres bédiens, aimons beaucoup frissonner grâce à vous. Et comme nous apprécions également les jeunes femmes innocentes et fragiles, nous vous souhaitons une collaboration des plus prolifiques. Un grand merci pour cet entretien !