Lorsqu'on se penche sur la biographie de Christian de Metter, on y trouve des adaptations de romans noirs (Shutter Island, Scarface, Figurec), des thrillers (L'œil était dans la tombe) ou des titres aux ambiances sombres ou étranges. Ainsi présenté, on pourrait imaginer un artiste écorché vif, insociable ou antipathique… Lors du festival d'Angoulême (cuvée 2009), nous avons au contraire constaté que c'était tout l'inverse ! En plus d'être très sympathique, Christian de Metter se marre tout le temps. Nous étions donc ravis de converser avec lui de son travail (entre autre) qui est un exutoire pour lui... et d'excellents moments de lecture pour nous. Interview d'un auteur réjouissant.
interview Bande dessinée
Christian de Metter
Bonjour Christian, peux-tu nous raconter comment tu en es venu à faire de la bande dessinée ?
Christian de Metter : En fait, c'est tout le sujet de mon travail. Comment certains font de bonnes rencontres et d'autres non. J'ai fait une école, il y a très longtemps, avec quelqu'un qui se nomme Frédéric Poincelet, qui travaille beaucoup pour Ego comme X. Il est éditeur et auteur. Il savait que j'avais un projet sur lequel je travaillais et qui s'appelait Emma. C'était ma première bande dessinée. J'avançais jour après jour, sans scénario. Au début, je pensais faire de la peinture, plus jeune, et comme je n'avais rien à raconter dans les toiles, j'ai commencé la BD. Ce qui m'intéressait, c'était les personnages. Frédéric m'avait montré ce que les américains faisaient en peinture mais aussi comment ils se servaient des aquarelles dans leurs comics. J'ai commencé à faire des trucs dans mon coin, jusqu'à ce que Frédéric me dise de lui filer un dossier. Il l'a emmené à Angoulême et donc c'est grâce à lui que j'ai pu exercer ce qui est aujourd'hui mon métier. Donc pourquoi certains font des bonnes rencontres et d'autres non, ce sont des questions auxquelles j'essaie de répondre dans mes BD.
Comment travailles-tu ton dessin ?
Christian de Metter : Ce n'est pas de la peinture dans le sens propre, c'est de l'aquarelle dans le sens acrylique. Je fais un crayonné assez rapide. Le plus rapide possible car je dessine de moins en moins bien. Je dessine faux, je trouve. Très vite, je prends le pinceau pour corriger le crayonné et rattraper les erreurs. Je suis plus à l'aise avec le pinceau parce que j'associe des volumes avec des tâches. Pour les personnages, je fais les têtes en terre. Cela me sert surtout dans les premières planches. C'est le pinceau et la tâche qui me permet de faire mon dessin. Après il y a des bidouilles, les accidents du bureau, des verres qui tombent. C'est l'acrylique qui permet de rehausser le tout.
Il y a une ambiance très sombre dans tes BD...
Christian de Metter : Je ne comprends pas, il y a beaucoup d'humour dedans ! (rires) En fait, je m'en sers comme d’un exutoire, une poubelle. Cela me fait sortir tout ce que j'ai de noir en moi. Je pose des questions dans mes histoires, je ne donne jamais de réponses. Cela m'aide dans mon quotidien, même si je ne suis pas noir non plus, je rigole en permanence. En même temps, mon dessin ne se prête pas beaucoup à l'humour. Pourquoi pas, un jour, peut-être… Je pense que je fonctionne plus à l'humour au quotidien qu'à me torturer l'esprit. Par contre, je n'arrive pas à l'écrire. J'avoue que cela me fait un peu chier.
Penses-tu avoir franchi un cap dans ta carrière ?
Christian de Metter : En fait, j'ai vraiment l'impression de régresser. Quand je vois des dessins que j'avais fait à 18, 19 ans... J'avais une passion amoureuse avec ma planche. Aujourd'hui, je suis moins romantique. J'ai peut-être gagné en savoir-faire. Je suis rentré dans un travail avec des délais et c'est peut être ça... Le dessin est à chaque fois différent sur mes BD, le trait est parfois plus forcé, on voit encore le crayonné. J'essaie de m'adapter en fonction des univers. Je n'ai pas le recul.
Et le choix des couleurs ?
Christian de Metter : Sur Shutter Island par exemple, mon rendu original est sépia. C'est en passant à l'impression que la teinte est devenue verdâtre. Je nettoie la peinture sur Photoshop car elle déborde des cases. Je place ensuite des filtres et les cases.
Quelles sont tes influences ?
Christian de Metter : Je n'ai pas trop de culture BD. Au niveau européen, Franquin est absolument grandiose, son trait est incroyablement vivant. Mes références viennent plutôt de la peinture, Lautrec, Manet, la famille Wyatt, Dave McKean, George Pratt... Tout ça mélangé fait partie de ma culture.
Combien de temps mets-tu à réaliser un album ?
Christian de Metter : Je vais assez vite et paradoxalement, je suis assez feignant. Je passe mon temps à faire de la musique, à glander. Et quand il s'agit de travailler, j'ai du développer une méthode efficace ce qui fait que je peux faire deux ou trois planches dans une journée. Je mets donc 9 mois, quelque soit le nombre de pages. Je n'ai jamais livré un album en retard, mon éditeur est plutôt content.
Comment es-tu arrivé sur Shutter Island ?
Christian de Metter : En fait, j'avais entendu parler de l'association Rivages Noir et Casterman depuis trois ans. Au début, Laetitia (mon éditrice) m'a demandé si je voulais me lancer dans une adaptation et je n'étais pas vraiment emballé. Je lis pas mal de romans noirs et le jour où l'association est devenu réalité, elle m'a redemandé. Comme j'ai vu que Dennis Lehane faisait partie du catalogue, je lui ai dit oui, à condition que se soit Shutter Island. Quand Rivages Noir l'a appris, ils ont dit que cela s'imposait ! Après, j'avais la pression !
Sur quoi travailles-tu aujourd'hui ?
Christian de Metter : Je suis sur un truc que j'écris, petit format comme celui de Shutter Island, 90 pages, couleurs directes. Ce sera sur Marilyn Monroe, un court passage de sa vie. En fait, ce sera totalement faux, mais avec de vrais éléments que j'ai pu vérifier. Je souhaite faire un portrait juste, poétique et assez bizarre. Je dois utiliser beaucoup de photos cette fois-ci, des docs. Il y a pas mal d'expressions que je bidouille quand même à partir de différentes bases. Je commence à bien la connaître, visualiser sa mâchoire, son front bien rond. Je préfère avoir une base photographique pour ce titre, ça se joue au millimètre.
Tu as d'autres adaptations sur lesquelles tu aimerais te pencher ?
Christian de Metter : Pour l'instant, il n'y a rien de concret. Chez Rivages Noir, il y a pas mal de choses qui me tentent bien, d'autres très casse-gueule… Je prends mon temps avant un projet, je suis un grand flippé avant de débuter.
Si tu avais une gomme magique, souhaiterais-tu l'utiliser pour corriger un détail ou une partie d'un de tes albums ?
Christian de Metter : Sur tous mes bouquins ! Je ne les ouvre plus une fois qu'ils sont sortis. Je regarde juste l'impression. Dès que j'ouvre, j'ai des suées, je deviens rouge et je le referme. Il faut que se soit mon gamin qui m'en parle, pour que je le regarde de nouveau. Quand on finit un bouquin, c'est le moment où on devrait le commencer. Je revendique le côté brinquebalent, ce n'est pas parfait mais je peux le revoir.
As-tu des auteurs qui te plaisent plus que d'autres ?
Christian de Metter : Je trouve que l'on ne parle pas assez de Rabaté. Alfred fait des trucs très intéressants. Les médias les plus importants ne parlent pas forcément des auteurs les plus intéressants, c'est dommage.
Quelle est la question qu'on te pose le plus ?
Christian de Metter : Quel est ton prochain projet ? En général, les gens sont étonnés de me voir joyeux. Un lecteur m'a même dit qu'il m'imaginait vieux et habillé tout en noir.
Quelle est la question que l'on ne te pose jamais et à laquelle tu meurs d'envie de répondre ?
Christian de Metter : Peut être des choses plus intimes. Je laisse pas mal de choses dans mes bouquins et il arrive parfois que certains m'en parlent. Je suis très content d'avoir été compris mais jamais de devoir en parler.
Quel personnage de BD aurais-tu rêvé créer ?
Christian de Metter : J'aime bien les trucs plus nuancés. J'avais une fois une BD sur Tomb Raider et je me suis dit que je me serais bien accaparé un tel univers pour en faire quelque chose d'autre. Sinon, Corto Maltese... J'aime bien faire des one-shots car cela me permet de travailler plein de personnages. Cela est parfois gênant lors de soirées, car pour beaucoup, lorsqu'on est auteur de BD, cela signifie avoir un personnage récurrent. Ce n'est pas mon cas.
Merci Christian !