interview Bande dessinée

Raphael Drommelschlager

©Delcourt édition 2004

Nous l'avions rencontré lors du festival Paris-Bercy 2003, en pleine réalisation d'une BD qui devait sortir près d'un an après. 365 jours plus tard, nous l'avons retrouvé au même endroit, avec un premier album paru chez Delcourt Les livres de Kaël, une BD poétique atypique. Tour d'horizon sur Raphaël et son travail...

Réalisée en lien avec l'album Les voyages de Kaël T1
Lieu de l'interview : Festival Delcourt à Paris-Bercy

interview menée
par
29 novembre 2004

Bonjour Raphaël, comment ça va ?

Raphaël Drommelschlager : Très heureux d'être là et de participer enfin au festival Delcourt. L'année dernière, j'y ai participé en touriste, l'ambiance était bonne. Ca me picotait les doigts de pouvoir dessiner et dédicacer. Il parait que cette année ce sera devant des femmes nues. Je ne sais pas si vous êtes au courant ? Bien sûr, je n'y touche pas. Je suis marié depuis trois mois... Ou alors c'est nous qui sommes nus, je ne sais plus...

Pour faire connaissance, peux tu nous résumer ton parcours ?

Raphaël Drommelschlager : Je suis né à Toulouse, à 15 ans, je suis parti en Angleterre dans un pensionnat assez strict. J'ai passé le bac anglais. Comme je ne savais pas parler l'anglais, j'ai du l'apprendre. Je suis revenu en France pour entrer à l'ESAG, l'Ecole Supérieur d'Art Graphique. J'ai fait 3 ans dans cette école, c'était une manière de travailler les bases du dessin. Puis une école de publicité, l'école du centre Pompidou à Beaubourg. Enfin, le CFT des gobelins, on était 900 à passer le concours et 25 étaient pris. Quand je repense à cette époque c'était assez difficile. Puis je suis devenu professeur d'histoire de l'art et de dessin. Et j'ai ouvert un atelier de dessin dans le centre historique de Toulouse. Puis je l'ai fermé une fois que Guy Delcourt m'ait contacté. Cette expérience était très enrichissante, mais c'est bel et bien fini aujourd'hui. Maintenant je me consacre de manière totale à la BD.

Pourquoi Delcourt ?

Raphaël Drommelschlager : Tout simplement parce que mes amis proches et ma femme ( pas encore ma femme à l'époque …) m'y ont poussé. J'ai envoyé une histoire à Dargaud, Glénat et Delcourt. Puis, un soir, en rentrant du cinéma, Guy Delcourt m'a rappelé en me disant : " Bonjour, c'est Guy Delcourt. Je serais très intéressé de vous publier. Pouvez vous me rappeler ? " J'ai passé une nuit les yeux grand ouverts, puis je l'ai rappelé. Le contact a été très fluide, c'était le premier à m'avoir fait confiance et j'aimais bien le catalogue Delcourt. Par ailleurs, il souhaitait devenir de plus en plus éclectique. J'ai donc choisi d'être publié par Delcourt, chose faite dans la collection Hors Collection. Ce qui était intéressant pour moi, c'est que j'ai eu carte blanche pour développer un univers ( onirique en l'occurrence ).

Comment travailles-tu ? Quelles sont les techniques que tu utilises ?

Raphaël Drommelschlager : D'abord je fais une ébauche au crayon bleu, qui me parait plus vivant, moins froid que le gris. Chaque case est faite à part. Je les recadre et je les colle par la suite. J'ai un photocopieur qui me permet de temps en temps de zoomer sur un dessin, si ça peut avoir une incidence positive sur l'histoire. Puis je fais un découpage qui change toujours. Parce qu'avec cette méthode, j'intervertis des cases alors que je les avais dessiné dans un autre ordre. Ca peut fonctionner mieux comme cela. C'est parfois tout simplement plus convainquant.

Comment travailles-tu pour le scénario ?

Raphaël Drommelschlager : D'abord il y a une idée de base que je soumets à Delcourt, qui me dit ok. Cette idée, je la veux toujours très simple pour qu'elle soit compréhensible de tous. Après, la manière dont je la traite peut compliquer le récit. Tout est dans le traité, la manière de mettre en scène l'idée. Puis des éléments imprécis ou secondaire deviennent principaux au fur et à mesure de l'avancement de l'histoire. Les choses se précisent dans ma tête. Dans cet album, il y a peu de décor, peu de personnages. Ça crée une atmosphère intimiste. J'aime bien ne pas noyer le lecteur dans une avalanche de détails qui brouillerait la lisibilité du récit. C'est pourquoi j'essaie d'humaniser les personnages, comme si ces personnages existaient avant qu'on les découvre dans l'album.

Combien de temps mets-tu pour écrire un scénario ?

Raphaël Drommelschlager : Très peu de temps : 15 jours. Et je dessine 8 pages par mois. Je vais essayer de passer à 10 par mois. Le prochain tome sortira en mai. J'en ai déjà fait 32 pages.

Le livre de Kaël contient beaucoup de rareté pour un seul album. Comment cette idée d'histoire fantastique t'est-elle venue ?

Raphaël Drommelschlager : Les lectures que j'apprécie ne sont pas dans le genre fantastique. J'aime bien ce qui est intimiste, comme ce que fait Cosey par exemple. C'est plus sentimental. C'est ce qui permet de donner un vécu, une intériorité au personnage, englobé dans une atmosphère générale. Si on adhère à cette ambiance, on peut vraiment pénétrer dans les pensées et sentiments du personnage. Souvent on s'identifie à lui parce qu'il a les mêmes traits physiques ou le même caractère que le lecteur. Ce que j'apprécie chez Cosey par exemple, c'est cette sorte de douceur entre les êtres. Je suis attiré par les ponts qui existent entre le réel et l'imaginaire. C'est pourquoi j'en suis venu à une histoire fantastique racontée sur un mode intimiste. Cet album se passe en automne. Je voulais que la mélancolie de Kaël soit palpable. Chaque album se passe dans une différente saison. Le prochain se passe en été et les couleurs seront plus franches. Ce deuxième album sera plus riche, car il y aura plus de personnages, plus de décors. Mais tout aussi fantastique. Le troisième ce sera l'hiver. L'histoire est déjà bien avancée. Puis après le printemps. Et après on verra. Peut-être une 5e saison ! Tout cela pour dire que cette série est une invitation au voyage sous toutes ses formes : le rêve, l'espace et le temps.

Est-ce que ça n'est pas trop difficile de travailler seul pour un premier album ?

Raphaël Drommelschlager : Non, au contraire. Je travaille en atelier, à l' " aquarium ". On est 4 - un auteur Glénat ( Dab's ) et des auteurs Delcourt. Dont Tony Valente, qui travaille avec moi sur Les 4 princes de Ganahan. Chez Guy Delcourt, j'ai trouvé l'éditeur qui me convenait, parce qu'il m'a mis peu de barrières. Tous les mois je lui envoie 8 pages. Les choses que j'ai racontées sont un peu autobiographiques. Je voulais parler de cette longue période un peu difficile que j'ai traversée, jusqu'à un point ou les choses se sont arrangées. Ce thème universel raconté à l'échelle individuelle permet aux lecteurs de s'y identifier. C'est un sujet ambitieux d'ailleurs, puisque ça traite du malheur, qu'on ne peut pas vraiment définir, et que j'ai personnifié.

Kaël est ton autoportrait. Pourquoi ce choix ?

Raphaël Drommelschlager : Non par égocentrisme ! Il y a peu de dessinateurs réalistes chez Guy Delcourt. J'étais en relation avec Patrice Pelerin, l'auteur de l'Epervier, chez Dupuis. Lui s'est également un peu dessiné dans cette série. Dans le paysage BD, il y a d'ailleurs beaucoup de gens qui se dessinent. Comme dans ce cas, c'était un tome autobiographique, qui mieux que moi pouvait représenter le personnage ? Mais c'est aussi un handicap pour les albums à venir, qui sont tout aussi onirique, mais plus inventé. Le fait qu'il soit moi ne m'autorise pas à tout faire. C'est juste plus facile à dessiner. Dans ce cas précis, je peux dire : Kaël, c'est moi. Quelque soient les traits que je lui aurais donnés, sa personnalité aurait été la mienne. La mélancolie est le trait de mon caractère le plus dominant, ce qui s'apparente à une sorte de douce rêverie. Pour moi ce n'est pas de la tristesse. On peut passer d'un état à l'autre, comme la tristesse ou la joie, mais la mélancolie est plus une nature. Ca me permet d'avoir une certaine sérénité, un recul. On a tous des choses qui nous sont propres et dont on use pour mieux vivre.

Pour te dessiner, tu travailles face à un miroir, ou par photo ?

Raphaël Drommelschlager : J'utilise des photos pour les bâtiments, qui peuvent faire l'objet d'un beau dessin. Pour le personnage, j'ai utilisé quelques photos pour les gros plans, mais j'arrive maintenant à le dessiner sans aucune difficulté. Le trait est épuré et c'est d'autant plus facile.

Kaël est violoniste. Toi aussi ?

Raphaël Drommelschlager : Je joue beaucoup moins bien que lui ! Un peu par éducation : dans ma famille, quand les Rolling Stones passaient à Toulouse, on s'en fichait pas mal. Par contre, quand Michel Plasson dirigeait un orchestre, il ne fallait pas rater ça ! Avec ma soeur, on a été baigné dans la musique classique jusqu'aux oreilles. J'adore ça.

Est-ce que tu crois que chacun de nous a un double maléfique, ou ton histoire est juste un conte ?

Raphaël Drommelschlager : Bonne question ! Je suis quelqu'un de très cartésien, je ne crois pas à l'au-delà, la vie après la mort… Je n'ai pas d'appétit pour ça. L'imaginaire ne me fait pas défaut. Je pense qu'on a une part de négation qui nous pousse à agir contre notre morale. Ce qui fait que je ne suis pas uniquement Kaël, mais aussi un peu Talim.

Certaines phrases de l'album sont un peu désabusées sur le monde. C'est toi qui penses cela ?

Raphaël Drommelschlager : Je me livre plutôt rarement, uniquement à mes proches. La BD me permet en effet un peu de dire ce que je pense sur la crainte de la mort, la fuite du temps, le désir amoureux, oui. J'ai un besoin d'exprimer ces choses là, en faisant rigoler ou en extériorisant des choses plus violentes ou plus rythmées. Le second tome est pour cela plus profond que le premier. Kaël a des faiblesses, ça le rend plus humain.

A la fin du tome 1, le livre de Taïlm a disparu. Où vas-tu nous mener maintenant ?

Raphaël Drommelschlager : Cette histoire est finie pour moi. Mais je pense que je réutiliserai Talim, sans aucuns doutes.

A la fin du tome 1, Kaël rencontre une femme. Toi aussi tu as rencontré une femme ?

Raphaël Drommelschlager : ...

Plus sérieusement, Kaël s'en sort grâce à une femme. Est-ce que tu crois que l'amour nous sauve du désespoir ?

Raphaël Drommelschlager : C'est un sujet intéressant. A certains moments, je me suis rappelé à l'ordre en me disant : ne pas frôler la ligne de la mièvrerie. Parce que je m'attaque à des choses très sentimentales. L'amour est vainqueur sur le malheur, sur tout ce qui est négatif, c'est en effet le message que j'ai voulu faire passer. C'est profond, et j'ai essayé de le dire de la manière la plus sobre possible. Beaucoup de femmes m'ont dit avoir été touchées, voire bouleversées par l'album. Les hommes sont plus modérés, ils ont bien sur compris l'image du malheur. Mais la déclaration d'amour de la fin, elle, est moins facile à dire.

Dans une de tes biographie, tu dis que la technique doit être au service de la sensibilité. C'est bien de toi ?

Raphaël Drommelschlager : Oui, c'est bien de moi. C'est une phrase géniale, non ? Y'a des choses qui sont glacées, froides, mais bien dessinées. Je voulais que l'album soit très sobre et épuré et que le dessin serve le propos de l'histoire. Bien évidemment, il y a des éléments qui gravitent autour du personnage, mais tout est secondaire en rapport à l'évolution émotionnelle du récit. Quand quelque chose m'a plu, je m'explique pourquoi je l'ai aimé, et c'est rarement à cause de la technique.

Ces jours-ci viennent de sortir Les 4 princes de Ganahan. Mener deux projets de front n'est pas trop difficile ?

Raphaël Drommelschlager : J'ai voulu faire quelque chose de plus grand public, plus aéré avec Les 4 princes de Ganahan. C'est plus Héroïc-Fantasy, moins intimiste que Les voyages de Kaël, mais tout de même. Le premier tome se lit très vite, c'est une sorte d'introduction. On présente les personnages, on présente l'histoire. Je voulais quelque chose de limpide et clair. Ce qui a séduit Guy Delcourt, c'est l'histoire, avec un coup de théâtre, un véritable retournement de situation qu'on ne peut pas soupçonner, à la fin. C'est en 4 tomes. On part sur une piste, mais on est à des années lumière de s'imaginer le coup de théâtre final. Intriguant non ?

Si tu étais un bédien, quelles seraient les BD que tu aimerais faire découvrir aux terriens ?

Raphaël Drommelschlager : Pour moi, la BD la mieux réalisée, loin devant les autres, c'est la Nuit du Chat, de Frank, le numéro 3 de la série Broussaille. J'aime également beaucoup les albums de Cosey, comme à la Recherche Peter Pan, ou encore Dupuy et Berberian. Une des séries les plus magiques pour moi, reste Théodore Poussin de Franck leGall. Tanigucci est aussi un grand auteur japonais, avec l'homme qui marche ou Quartier lointain.

Si tu avais le pouvoir cosmique de te téléporter dans le crâne d'un autre auteur de BD, chez qui aurais-tu élu domicile ?

Raphaël Drommelschlager : Frank, je pense.

Merci Raphaël !