interview Bande dessinée

Zanzim

©Glénat édition 2022

L’un des albums les plus récompensés en 2020 fut Peau d’homme, de Hubert et Zanzim : grand prix RTL, grand prix de la critique ACBD, prix Landerneau ou encore prix des libraires CanalBD. La critique a encensé cet album, traitant de questions contemporaines, en passant par le prisme du conte et d’une autre époque. Nous sommes partis à la rencontre du dessinateur Zanzim, pour découvrir comment cet album a vu le jour.

Réalisée en lien avec l'album Peau d'homme
Lieu de l'interview : Quai des Bulles (St Malo)

interview menée
par
17 février 2022

Bonjour Zanzim, peux-tu te présenter pour les lecteurs qui ne te connaissent pas encore ?
Zanzim : Donc moi je suis auteur de bandes dessinées, je m’appelle Zanzim. Donc à la base “Zanzim” c’était Zanzim Glouton, ça venait d’un pseudonyme que j’avais au lycée, et ça s’est transformé en Zanzim, c’était un peu plus simple. Et puis sinon j’habite depuis plusieurs années à Rennes, aux alentours de Rennes. Je suis dans un atelier qui s’appelle l’atelier Pépé Martini avec une dizaine d’auteurs de bande dessinée. Voilà, je pense que je suis là aujourd’hui pour parler de Peau d’homme qui a eu un gros succès de critique.

Est-ce que tu peux nous rappeler l’histoire de cet album ?
Zanzim : C’est l’histoire d’une jeune fille à la Renaissance qui doit se marier avec un futur prétendant, il est plutôt jeune, plutôt beau. Mais elle aurait bien aimé le connaître avant de se marier, et sa marraine lui dit : écoute on a une peau d’homme qui se transmet de mères en filles, et si tu enfiles cette peau, tu pourras aller à la rencontre de ton futur mari. Sauf que son mari va beaucoup aimer ce petit homme, qui est sa feme transformée.

Pour ce titre, tu as collaboré avec Hubert, un grand scénariste, comment s’est passé cette collaboration, pourquoi avez-vous eu envie de travailler sur ce projet ?
Zanzim : Alors en fait, on s’est rencontrés aux beaux-arts, Hubert et moi, et on se connaissait pas vraiment, c’est Yoann le dessinateur de Spirou, qui nous a re-présentés, et on a pu travailler ensemble. Hubert avait beaucoup d’histoires à raconter, et puis moi j’étais sur plutôt l’illustration pour enfants, et puis on a commencé nos premières collaborations comme ça, jusqu’à Peau d’homme. Mais il avait travaillé avec beaucoup de collaborateurs, et à un moment je lui ai dit, si un jour tu veux faire quelque chose de plus personnel, un truc qui parlerait de ton homosexualité, moi je voyais quelque chose qui se passerait en 1970-1980, bah j’aimerais bien être le dessinateur de cette histoire-là. Et puis il m’appelle un jour, complètement énervé, et aussi en colère, il avait peur, après les manifestations à Paris contre le mariage gay. Donc il a dit je vais écrire une histoire, qui s’appelait Débaptisez-moi. Et il m’a demandé : est-ce que tu veux bien la dessiner ? Et j’ai trouvé ça un peu trash. Et trois mois après il m’a rappelé et il m’a dit : écoute j’ai tout changé. Finalement je reviens sur un truc en costume, une histoire tirée d’un conte, ça va s’appeler Peau d’homme. Et il allait parler des mêmes choses, de ses préoccupations, mais d’une manière moins frontale.
Copyright Zanzim, Glénat
Est-ce que le fait que l’histoire se déroule à une époque très éloignée de la nôtre, ça permet d’aborder des thématiques très contemporaines en mettant une certaine distance ?
Zanzim : Exactement, c’est ça qu’il a voulu faire. Quelque part, on parle de peau, on parle de travestissement, et lui son travestissement c’était de pouvoir utiliser des époques, de, par exemple, parler de lui, alors qu’il parle d’une personnage féminin. Voilà c’est quelque chose qu’on retrouve souvent dans l'œuvre d’Hubert.

Sur cet ouvrage on est sur une pagination très importante : ce projet t'a plu tout de suite ?
Zanzim : Oui il m’a plu tout de suite, donc c’est vrai que j’ai un peu tiqué quand j’ai su que ça allait être 150-200 pages, on savait pas trop. Normalement c’était ce qu’on appelle un roman graphique. Moi j’ai plutôt fait trois albums qui se suivent. Parce que je pense qu’un roman graphique c’est plutôt une liberté d’écriture, c’est un truc assez libre, je sais pas comme Coco a fait, un genre de livre comme ça. A deux, je trouve que c’est un peu moins un roman graphique, je trouve que c’est plus un gros album, même si c’est un thème qui est très à la mode en ce moment. En tout cas c’était un assez gros boulot, et puis bah à côté, je suis enseignant dans une école d’art, d’illustration, et donc du coup bah j’ai mis un peu de temps à le faire. Je préfère me concentrer, être vraiment serein pour faire les choses plutôt que de me presser.

Combien de temps cette collaboration a-t-elle mis avant d’aboutir à Peau d’homme ?
Zanzim : A peu près, entre quatre et cinq ans en fait. Et puis en fait, il y avait toutes les planches à faire, et on a décidé de faire des grandes pages, et je me suis bien amusé. Et c’est aussi moi qui faisais les couleurs, donc bah il fallait que je compte en plus ce temps de travail, que j’avais pas trop prévu à la base.
Copyright Zanzim, Glénat

Du coup, l’histoire se passe à une autre époque, les décors sont très différents de ce qu’on a l’habitude de voir actuellement, les costumes aussi : comment tu t’es documenté sur cette période pour retranscrire cette ambiance ?
Zanzim : En fait Hubert à chaque fois qu’il travaillait avec quelqu’un, il lui donnait énormément de documentation. Donc là c’était des docs sur la Renaissance, l’architecture, des portraits d’époque et tout ça, des peintures. Mais aussi des photos de l’Italie, de Florence notamment. Et donc généralement moi je m’imprègne de tout ça, et ensuite je le mets de côté, pour essayer de voir ce que je peux en retenir, pour pas que ça fasse un copier-coller. Et l’idée c’était aussi de faire en sorte qu’il y ait des corrélations entre les représentations d’époque et aujourd’hui, donc je me suis amusé à faire des petits clins d'œil. Et puis de toute façon, une fois qu’on avait planté le décor, on voulait un jeu qui soit très théâtral, donc il fallait qu’on sache où on est au début, et puis après qu’on oublie complètement. Et que ça soit au lecteur d’imaginer le décor quelque part. Et le lecteur se fait sa propre histoire, et il y a quelque chose de magique qui se passe, et ça c’est chouette.

A partir du scénario d’Hubert, lorsque tu as commencé à faire les illustrations, il y avait des allers-retours, tu lui montrais les planches, ou pas forcément, tu étais plutôt autonome ?
Zanzim : Alors d’habitude c’est vrai qu’on faisait pas mal de ping-pong, mais sur ce projet-là, étonnamment, déjà son scénario était parfait, moi j’ai rien redit derrière. Et il n'a rien redit sur mes dessins. Comme si on était arrivés sur une sorte de maturité tous les deux, de travail, mais aussi de connaissance, car c’était aussi un ami, on se connaissait. Donc le fait de bien se connaître, et de savoir que l’autre évolue aussi. Par exemple, moi je lui ai souvent reproché d’être très bavard, dans les cases, de mettre trop de dialogues, et il a essayé d’enlever ça. Moi j’ai aussi enlevé tous mes petits tics de dessins, mes petites hachures, les trucs qui servent pas mal à se rassurer. Mais finalement quand on fait un trait assez simple et fluide, il faut se faire confiance et du coup ça donne une légèreté au récit.
Copyright Zanzim, Glénat

Comment as-tu construit la physionomie de tes personnages principaux ? C’est quelque chose que tu avais en tête avant de débuter l’illustration de l’album ?
Zanzim : Hubert m’avait parlé de la peau qui était un peu plus teintée que la peau de Bianca, mais ce n’était pas très dur vu qu’elle avait la peau très très blanche. Mais la seule chose qui ne devait pas changer, c’était la couleur de leurs yeux, qui devaient rester bleus. Mais on est partis tous les deux sur l’idée, comme si Lorenzo, une fois que Bianca avait enfilé la peau, soit comme un frère jumeau. Et jouer sur le côté éphèbe du personnage. J’aurai pu très bien faire un personnage qui soit très grand avec des poils, et qui a rien à voir avec le charisme de Bianca, mais non, l’idée c’était d’être un peu perdu. De mélanger les genres.

Et toi, si tu avais l’occasion d’avoir ce pouvoir que détient Bianca, de pouvoir revêtir une peau de femme, tu le ferais ?
Zanzim : Ah bah oui oui, je pense que c’est un peu le rêve de pas mal de gens, au moins sur une courte durée pour voir déjà comment c’est. Mais là, à travers cet album je l’ai un peu fait. Quand je dessine un personnage j’essaie de l’incarner. Donc au départ j’étais une femme, j’étais Bianca, et puis alors c’était très étrange, parce qu’après, quand elle enfilait la peau, ellel était un homme. Moi j’étais devenu une femme en homme. Et après quand elle redevient Bianca, je me disais, oh non pas la fille j’ai pas envie d’y retourner, et puis en même temps, bah elle avait déjà évolué. Parce qu’au début elle fait un peu naïve comme ça, et puis après c’est un personnage qui se construit. Et ça c’était chouette, c’était déjà un jeu de travestissement.
Copyright Zanzim, Glénat

Tu le disais, cet album a été multi-récompensé, ça a été un gros phénomène, vous vous attendiez à autant de succès ?
Zanzim : Alors en fait, avant que l’album sorte, il y a eu une espèce de brouillon de luxe on va dire, l’album est sorti avec toutes les planches, et la moitié en couleur, et cet objet, ça s’appelle un blade premium, c’est un truc qui a été donné aux journalistes et aux libraires. Et, ils ont eu un coup de cœur, ils se sont dit qu’il y allait avoir un truc qui allait se passer. On s’attendait à un succès BD, mais on s’attendait pas à un succès généraliste, c'est à dire que la librairie généraliste s’est emparée de la bande dessinée. Donc je reçois pleins de gens qui me disent : moi je connaissais rien à la BD, mais ce thème m'intéresse. Et c’est aussi ça qui a fait que les ventes ont bien décollé. Après, Hubert a malheureusement mis fin à ses jours avant la sortie de l’album, donc il n'a pas pu profiter du succès, mais je pense qu’il serait quand même très fier du message qu’il a porté jusqu’au bout.

Et toi, personnellement en tant qu’artiste, car ces derniers temps beaucoup de tes livres ont été réédités, est-ce que tu as vraiment vu un avant et un après Peau d’homme ?
Zanzim : Ah bah oui, c’est complètement fou, tout a été réédité, dans des nouvelles versions. Il y a des gens qui croient que c’est des nouveautés. Et puis là je devais dédicacer demain (sur le festival Quai des Bulles de Saint Malo), et c’est annulé car il n’y a plus d’albums, tout est parti. Donc en fait, ça veut dire que ça fonctionne, donc c’est chouette. Mais après, tout ce succès je l’ai vécu de manière assez sereine, parce que comme Hubert n'était pas là, c’était un ascenseur émotionnel très fort. A chaque fois que je recevais un prix j’étais hyper content, et à la fois j’étais hyper triste. Et donc ça m’a posé sur une espèce de ligne d’horizon, une ligne intermédiaire, pour affronter tout ça et porter le bébé, qui est un gros bébé.

Si tu avais le pouvoir cosmique de rentrer dans le crâne d’un autre auteur, chez qui irais-tu voir le monde et pour y trouver quoi ?
Zanzim : Alors déjà ça serait le crâne d’une autrice, déjà. Et j’aimerais y découvrir, bah tout ce que je peux pas palper vraiment, tout ce que je pense être une femme, mais qui ne l’est pas vraiment… En fait on imagine ce qu’une femme peut penser, mais si ça se trouve on pense complètement à côté. Donc ça serait vraiment une autrice. Une en particulier… Ouais genre Florence Dupré la Tour elle me fait bien marrer, j’aime bien Lisa Mandel, Anouk Ricard, toute cette veine.

Merci Zanzim !