Tiburce Oger creuse un sillon bien à lui dans le microcosme du 9ème art, en tant qu’auteur complet (La piste des ombres, Gorn…) ou aux côtés de scénaristes parfois étonnants (La forêt avec Vincent Perez, Orull avec DP Filippi…). À partir d’un trait délié d’une belle maîtrise, son style graphique semi-réaliste est riche, pour ne pas dire luxuriant. En tous cas, parfaitement adapté aux univers de légende qu’il semble apprécier par-dessus tout. Et il le prouve une fois encore aujourd’hui, en adaptant en BD les romans d’heroïc-fantasy à succès Les chevaliers d’Emeraude, aux côtés de la romancière qui les a créés, Anne Robillard. On profite de l’occasion pour lui poser quelques questions…
interview Bande dessinée
Tiburce Oger
Pour te présenter auprès des lecteurs qui ne te connaissent pas, peux-tu revenir sur ta formation et ton parcours dans le milieu de la BD ? Comment en es-tu arrivé à en faire ton métier ?
Tiburce Oger : Un bac arts plastiques, les beaux-arts d'Angoulême, trois années de dessin animé (Les tortues ninjas, Lucky Luke...) puis le premier tome de Gorn en 1992, après avoir reçu l'Alph'art avenir au festival d'Angougou.
Quelles sont tes séries, leurs inspirations ? Quels « sentiments » en conserves-tu, avec du recul ?
TO : De Mickey Parade à Pif, puis des Tuniques bleues à Comanche d'Hermann et Greg, Enki Bilal, Jean Giraud, Morris, Hugo Pratt… et tant d'autres. Je les aime et les admire toujours tous, si différents soient-ils, justement.
Tu sembles avoir fait du « médiéval fantastique » ta spécialité… Est-ce l’univers qui te semble le plus riche en terme de paysages, de possibilités graphiques, d’héroïsme ?
TO : Non, c'est un pur hasard. J'aime l'aventure, les grands espaces et la liberté. Le monde fliqué et sclérosé actuel de Big Brother ne me fait pas rêver et m'afflige.
Y a-t-il des chances pour qu’on te lise dans d’autres univers ? (science fiction ? chronique sociale contemporaine ? polar ?)
TO : Oui... dans La piste des Ombres, un western, dans Canoë bay et L'auberge du bout du monde avec Prugne, ambiance 1800, dans Deux vies avec Didier Eberoni au dessin, un polar futuriste sombre, dans des adaptations de chansons de Brassens, Ferré, Piaf... et j'ai d'autres projets contemporains et historiques.
Tu as commencé par faire des BD seul, puis maintenant, tu t’adjoins les services de divers scénaristes. C’est un parcours un peu inhabituel : c’est plus souvent l’inverse qui se produit, non ?
TO : J'ai travaillé avec Denis-Pierre Filippi sur Orull il y a des années, j'ai écrit une dizaine de scénarii pour d'autres. C'est un hasard si Les chevaliers d'émeraude avec Anne suivent la série La forêt que Vincent Perez a écrit. Je fonctionne à l'affect, les deux projets m'ont plu et les scénaristes sont adorables.
Aujourd’hui, tu t’attèles à l’adaptation en BD des romans Les chevaliers d’Emeraude. Comment s’est faite la jonction entre ces romans et leur adaptation ? As-tu hésité avant d'accepter le projet ?
TO : J'ai attendu deux ans, puisque je n'avais pas fini La Forêt. Je ne connaissais pas encore Les Chevaliers d'émeraude et je n'avais pas rencontré Anne Robillard. J'ai par la suite appris qu’Anne ne voulait pas d'autre dessinateur, je ne pouvais pas refuser ! Ce n'est pas une simple adaptation des romans car Anne ne voulait pas. Pour cette BD, elle a écrit une histoire inédite.
Connaissais-tu la série avant de l’adapter ? Comment s'est passée la rencontre avec Anne ?
TO : On s'est rencontrés au salon du livre de Paris, on a bien mangé et bien rigolé. Comment voulez-vous refuser une collaboration après ça ?
Y a-t-il eu des difficultés lors de la transposition de l'univers en BD ? Des personnages plus difficiles à mettre en scène que d’autres ? Ou au contraire, plus plaisant à faire ?
TO : La difficulté était de ne pas trahir la vision que les lecteurs et Anne ont de l'univers D'Enkidiev et des personnages. De plus, les lecteurs sont influencés par les visuels très forts de Patrice Garcia pour les couvertures des romans, ainsi que par leur propre interprétation à la lecture. Il a aussi fallu que je dessine les chevaliers âgés de 5, 10 et 15 ans.
Y-a t-il déjà un nombre de tomes bien défini pour la série ?
TO : Le premier cycle est de trois tomes, un second est bien avancé sur Onyx, autre personnage clé de la saga et je crois qu’Anne a déjà d'autres idées. Je prendrai des vacances un jour... mais quand ?
As-tu joué un rôle de conseil auprès d’Anne Robillard pour la réalisation d'un scénario BD ?
TO : Elle me laisse entière liberté sur le découpage dessiné, ma seule condition… et d'ailleurs elle me fait entièrement confiance. Pour l'écriture du scénario, elle a très vite assimilé le rythme à donner, les descriptions des scènes etc. Elle a compris que tout le texte narratif d'un roman disparait dans le dessin, afin d'éviter un côté redondant. Les sentiments que des mots peuvent décrire apparaissent dans une BD à travers une ambiance, une couleur, un regard... Elle a su effacer les mots au profit du récit visuel.
As-tu d’autres projets en tête pour après ? (ou en même temps ?)
TO : Tout plein, mais quand...
Quelles sont tes inspirations ? As-tu des auteurs de référence ?
TO : Tout plein, ceux de mon enfance comme des « plus jeunes ». De tous les styles, toutes les tendances, classiques ou underground, du moment que c'est fait avec passion. Bluch, Blain, Pratt, Herman, Prugne, Pellos, Rabaté, Al Foster, Tehem, Marini etc. Il y en a des centaines que j'admire, tous uniques. Et puis il y a les romans, Cormac McCarthy, la peinture, le cinéma, la vie. C'est un métier tellement prenant, tellement difficile et enivrant à la fois.
Si tu avais le pouvoir cosmique de vivre quelques instants dans le crâne d’un autre auteur, qui choisirais-tu de visiter ? Et pour y trouver quoi ?
TO : Aucun, sont pas nets tous ces gens-là !
Merci Tiburce !